23 septembre 2017

L’État garant de l’Ordre ou responsable du Désordre

Par Bernard Plouvier

L’équité se définit comme la justice en valeur absolue. Pas plus que le bien ou le mal ne sont définissables, le juste et l’injuste ne le sont dans l’absolu. On ne peut demander à l’organisation judiciaire d’agir en équité, mais on doit exiger qu’elle fasse respecter une législation, en principe fondée sur l’ordre public. Justice et ordre ne vont pas obligatoirement de pair, alors qu’ils devraient le faire.

Justice

Si l’on accepte cette évidence : « une société… produit nécessairement ordures et déchets » (Nietzsche, in Volonté de Puissance), le droit pénal est, par définition, chargé de combattre et de punir tous ceux qui troublent la paix intérieure d’un État, aussi bien ce qui menace la production de biens et le commerce que les paisibles activités des honnêtes membres d’une société. « La justice n’est pas une fin en soi. Sa fonction est de maintenir l’ordre dans la société, sans lequel il n’y a ni civilisation ni progrès ».

Un Droit inefficace est invalide. En ce sens, la phrase de Goethe déjà citée non seulement se comprend bien, mais s’avère fort sage : « Je préfère une injustice à un désordre ». C’est l’inefficacité de la justice qui réalise le summum du désordre dans un État, car elle désespère l’honnête citoyen. À terme, l’accumulation d’injustices répétées, la constatation de l’inefficacité des maîtres de l’État, surtout s’ils sont corrompus, justifie l’insurrection, droit reconnu aux Nations opprimées ou malheureuses depuis l’Antiquité. Le bon citoyen doit être protégé et le mauvais puni ou mis hors d’état de nuire : c’est là l’essence du Droit. Toute autre conception du juste et de l’injuste est absurde.

De fait, les fondements du Droit sont des variables sociales, dépendant pour l’essentiel de l’idéologie dominante. Tour à tour, triomphent le sentiment religieux ou sa variante laïcisée : la niaiserie humanitaire, l’égoïsme économique ou un dogme politique. Les codes de lois sont aussitôt adaptés aux lubies des maîtres et les juristes suivent le mouvement sans trop se soucier de l’équité, notion plutôt pernicieuse à qui veut faire une belle carrière. C’est ainsi que, selon les endroits et les périodes, le Droit sacralise ou diabolise l’esclavage, la peine de mort, le suicide, le divorce, les frasques sexuelles, l’avortement de complaisance, la guerre, le vagabondage, la mendicité ou la raison d’État.

La Justice a pour finalité de différencier l’ami de l’ennemi, en matière d’ordre public et de la production de biens et de services. Est « ami » de la société qui est honnête et productif ; en sont « ennemis », le voleur, l’escroc, le plagiaire, l’assassin, le violeur, le trublion politique ou religieux.

Il est de bon ton depuis le XVIIIe siècle de disserter sur la proportionnalité du crime et de la peine. Comment punir l’assassinat, si l’on ne peut plus condamner à la peine de mort un homme qui a volontairement pris la vie d’autrui ? Comment se comporter face à des terroristes qui tuent des innocents ou commanditent ce genre de meurtres, multiples et prémédités ? Tant que les citoyens de l’Europe actuelle n’auront pas répondu à ces questions et aux autres du même type (car les narcotrafiquants sont des meurtriers potentiels à grande échelle), les sociétés européennes seront fragiles et instables, en plus d’être indignes de leurs grands ancêtres… en clair, le désordre continuera de régner.

Dépité par la justice des hommes, pas toujours efficace et parfois monstrueusement erronée, le croyant peut toujours espérer en une justice divine, tandis que l’athée bafoué n’a d’autre perspective que la résignation, à moins qu’il ne se décide à rendre justice lui-même ou à s’insurger contre les « maîtres » défaillants, ce qui est, bien sûr, interdit par la loi et confine au désordre absolu, soit l’anarchie. L’état de droit se définit par son résultat : la paix civile et sociale, soit les composantes fondamentales de l’ordre.

L’harmonie d’une vie ne peut provenir des seules satisfactions personnelles. La célèbre interprétation par Martin Heidegger du mot allemand Dasein ne signifie rien d’autre que l’établissement par chaque être humain non idiot de sa propre conception du monde. L’intelligence humaine prend conscience de l’Univers, à commencer par l’étude, la compréhension et l’utilisation des autres humains. Selon ce que lui dicte son programme génétique, elle le fait de façon contemplative ou active.

Ce qui est très efficace pour calmer l’angoisse existentielle, c’est de se plier à un dogme et à des rites, et l’on voit à quel point religion et politique sont de même essence. L’obéissance et la routine conjuguent leurs effets pour libérer l’homme de ses tourments principaux, qui sont en grande partie l’essence même de toute existence : le libre arbitre et l’élément aléatoire, source de désordre, voire de chaos.

L’ordre, la norme calment l’angoisse et génèrent l’ennui ; l’aléatoire, le désordre font exactement l’inverse. Entre ennui et angoisse, il faut choisir. L’avantage des esprits libérés réside dans l’intermittence de leur choix : ils se sentent libres de quitter temporairement le monde des normes et du dogme pour celui de l’aléatoire, puis de revenir à un monde de régularité hautement prévisible, après avoir goûté un moment de haute fantaisie.

Si l’homme voué aux grandes aventures collectives est fanatiquement dévoué à l’ordre idéal qu’il s’est choisi, l’individualiste est trop souvent tenté de faire sienne la phrase d’un grand amateur de paradis artificiels : « Pour autant qu’il reconnaisse mon importance, l’ordre des choses est bon » (Aldous Huxley, Le meilleur des mondes).

Bibliographie sommaire

  1. Ardrey : Le territoire. Enquête personnelle sur les origines animales de la propriété et des Nations, Stock, 1967
  2. Ardrey : La loi naturelle. Une enquête personnelle pour un vrai contrat social, Stock,1971
  3. J. Bachofen : Du règne de la mère au patriarcat, Éditions de l’Aire, Lausanne, 1980 (compilation de textes écrits de 1861 à 1887)
  4. Brugger, R. E. Graves : Right hemispacial in attention and magical ideation, European Archives of Psychiatry and Clinical Neuroscience, 1997, vol. 247, p. 55-57
  5. Cuénot : La genèse des espèces animales, Alcan, 1911
  6. D. McLean, R. Guyot : Les trois cerveaux de l’homme, Laffont, 1990
  7. Nietzsche : Le livre du philosophe, Aubier-Flammarion, 1969 (textes de 1872 et 1873)
  8. Poincaré : La science et l’hypothèse, Flammarion, 1902
  9. Scarani : Initiation à la physique quantique, Vuibert, 2003
  10. Sperry : Science and moral priority, Blackwell, Oxford, 1983

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Philippe Randa,
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