Dans un rĂ©cent article des Cahiers philosophiques, FrĂ©dĂ©ric Allemand propose que, dans un moment oĂč est critiquĂ©e lâUnion europĂ©enne pour sa faible lĂ©gitimitĂ©, soit privilĂ©giĂ©e une redĂ©couverte de son sens philosophique originel : la restauration de lâhomme dans toute sa dignitĂ©. Il considĂšre que « la pensĂ©e humaniste constitue une source dâinspiration et un cadre intellectuel qui innerve la structure, ainsi que ses rapports entre les Ătats membres de lâUnion et les citoyens ». Vaste programme aurait pu ajouter MongĂ©nĂ©ral, quelque peu dubitatif, lui qui considĂ©rait que lâEurope (celle des Six) Ă©tait un rĂŽti : « Le rĂŽti câest la France et lâAllemagne. Avec un peu de cresson, lâItalie. Et un peu de sauce, le Benelux. »
Les Philosophes au secours de lâEurope ? Pourquoi pas⊠Encore que⊠Mais quoi ?
Je vous prie de mâexcuser car jâentends dĂ©jĂ des ronchons, et non des moindres, qui prĂ©tendent que lâintelligentsia est infaillible tant quâelle ne gouverne pas.
DĂ©jĂ , au SiĂšcle des lumiĂšres qui, soit dit en passant, sâĂ©clairait Ă la chandelle, FrĂ©dĂ©ric II, pour se distraire, pratiquait ces esprits illuminĂ©s. Il notait malicieusement : « Si je voulais punir une de mes provinces, je la ferais administrer par un philosophe. »
Rivarol, qui pourtant ne travaillait pas pour le roi de Prusse, avait pour sa part reniflĂ© les piĂšges de cet humanisme bĂ©at qui ne pouvait conduire quâĂ la rĂ©volution : « Les philosophes ont confondu lâĂ©galitĂ© avec la ressemblance. Les hommes naissent en effet semblables, mais non pas Ă©gaux. »
Faut-il rappeler que les Philosophes des LumiĂšres prĂ©tendaient libĂ©rer lâHomme des chaĂźnes de lâignorance et de lâobscurantisme. Goethe, qui nâĂ©tait pas la moitiĂ© dâun boute-en-train, avait dĂ©jĂ diagnostiquĂ© les effets secondaires de ce traitement prĂ©tendument universel : « à libĂ©ration de lâhomme, je te salue ! Tu es la plus grande catastrophe de lâhistoire. »
ProphĂšte de malheur, devinait-il quâen son nom seraient commis les plus grands gĂ©nocides de lâhumanitĂ©. La LibĂ©ration du Cambodge par Pol Pot, le pote de Jean Lacouture, en sera, Ă lâindice de performance, la plus significative.
Devant ces monceaux de cadavres on pense immédiatement à une remarque pertinente de Rivarol, encore lui : « Les philosophes sont plus anatomistes que médecins : ils dissÚquent et ne guérissent pas. »
On pourrait ajouter, en emboĂźtant le pas de Goethe, que pour accĂ©der Ă la salle de travail, ils passent par lâentrĂ©e des fournisseurs. Dâailleurs Jean Anouilh, toujours aussi grinçant, notera que « ceux qui parlent trop souvent de lâhumanitĂ© ont une curieuse tendance Ă dĂ©cimer les hommes. »
Vinrent plus tard les Hegel, Feuerbach, qui par leur rĂ©flexion ouvrirent la voie Ă lâĂ©laboration de vĂ©ritables doctrines politiques. Au nom dâun humanisme Ă gĂ©omĂ©trie variable, Engels et Marx en dĂ©veloppĂšrent le concept. Ă ce stade, il convient de citer lâextrait dâune lettre du joyeux Karl Ă son compĂšre Friedrich : « Je me fous probablement le doigt dans lâĆil. Mais, dans ce cas, on peut toujours sâen tirer avec un peu de dialectique. Jâai bien sĂ»r disposĂ© mes batteries de façon Ă avoir Ă©galement raison dans le cas contraire. »
De telles confidences ne pouvaient que conforter Edouard Herriot, membre du Parti radical et figure de la IIIe RĂ©publique, pour qui « les doctrinaires ont cet avantage quâils nâont pas besoin de penser. »
Le philosophe Alain le confirme Ă sa maniĂšre en affirmant que « RĂ©flĂ©chir, câest nier ce que lâon croit. »
Et pourtant, que de fois nos Ă©lites dirigeantes se rĂ©fĂšrent Ă lâidĂ©al dâune philosophie politique pouvant dĂ©gager les horizons Ă©blouissants de lendemains qui chantent (on notera pourtant la dĂ©finition dâIbn Kanoun le RostĂ©mide parcourant le Grand Erg : « Lâhorizon câest une ligne imaginaire qui recule lorsquâon avance »).
LâĂ©crivain Paul ValĂ©ry ne dit rien dâautre lorsquâil affirme : « La politique est la forme la plus vulgaire de la mĂ©taphysique. Toute doctrine politique est une prophĂ©tie. »
Desproges, lâhumoriste sceptique, stigmatisait ces penseurs par un prĂ©tendu constat aussi fielleux quâinvraisemblable : « Quand un philosophe me rĂ©pond, je ne comprends plus ma question ». Câest vraiment mesquin !
Mais rien ne saurait altĂ©rer notre bonne humeur aussi gauloise que lĂ©gendaire. Sportivement, laissons pour conclure la parole Ă Schopenhauer, lâhumoriste allemand bien connu : « Vous nâavez aucune chance. Saisissez-la. »
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Philippe Randa,
Directeur dâEuroLibertĂ©s.