21 septembre 2016

La philosophie au secours d’une Europe qui peine

Par Jean-Pierre Brun

Dans un récent article des Cahiers philosophiques, Frédéric Allemand propose que, dans un moment où est critiquée l’Union européenne pour sa faible légitimité, soit privilégiée une redécouverte de son sens philosophique originel : la restauration de l’homme dans toute sa dignité. Il considère que « la pensée humaniste constitue une source d’inspiration et un cadre intellectuel qui innerve la structure, ainsi que ses rapports entre les États membres de l’Union et les citoyens ». Vaste programme aurait pu ajouter Mongénéral, quelque peu dubitatif, lui qui considérait que l’Europe (celle des Six) était un rôti : « Le rôti c’est la France et l’Allemagne. Avec un peu de cresson, l’Italie. Et un peu de sauce, le Benelux. »

Les Philosophes au secours de l’Europe ? Pourquoi pas… Encore que… Mais quoi ?

Je vous prie de m’excuser car j’entends déjà des ronchons, et non des moindres, qui prétendent que l’intelligentsia est infaillible tant qu’elle ne gouverne pas.

Déjà, au Siècle des lumières qui, soit dit en passant, s’éclairait à la chandelle, Frédéric II, pour se distraire, pratiquait ces esprits illuminés. Il notait malicieusement : « Si je voulais punir une de mes provinces, je la ferais administrer par un philosophe. »

Rivarol, qui pourtant ne travaillait pas pour le roi de Prusse, avait pour sa part reniflé les pièges de cet humanisme béat qui ne pouvait conduire qu’à la révolution : « Les philosophes ont confondu l’égalité avec la ressemblance. Les hommes naissent en effet semblables, mais non pas égaux. »

Faut-il rappeler que les Philosophes des Lumières prétendaient libérer l’Homme des chaînes de l’ignorance et de l’obscurantisme. Goethe, qui n’était pas la moitié d’un boute-en-train, avait déjà diagnostiqué les effets secondaires de ce traitement prétendument universel : « Ô libération de l’homme, je te salue ! Tu es la plus grande catastrophe de l’histoire. »

Prophète de malheur, devinait-il qu’en son nom seraient commis les plus grands génocides de l’humanité. La Libération du Cambodge par Pol Pot, le pote de Jean Lacouture, en sera, à l’indice de performance, la plus significative.

Devant ces monceaux de cadavres on pense immédiatement à une remarque pertinente de Rivarol, encore lui : « Les philosophes sont plus anatomistes que médecins : ils dissèquent et ne guérissent pas. »

On pourrait ajouter, en emboîtant le pas de Goethe, que pour accéder à la salle de travail, ils passent par l’entrée des fournisseurs. D’ailleurs Jean Anouilh, toujours aussi grinçant, notera que « ceux qui parlent trop souvent de l’humanité ont une curieuse tendance à décimer les hommes. »

Vinrent plus tard les Hegel, Feuerbach, qui par leur réflexion ouvrirent la voie à l’élaboration de véritables doctrines politiques. Au nom d’un humanisme à géométrie variable, Engels et Marx en développèrent le concept. À ce stade, il convient de citer l’extrait d’une lettre du joyeux Karl à son compère Friedrich : « Je me fous probablement le doigt dans l’œil. Mais, dans ce cas, on peut toujours s’en tirer avec un peu de dialectique. J’ai bien sûr disposé mes batteries de façon à avoir également raison dans le cas contraire. »

De telles confidences ne pouvaient que conforter Edouard Herriot, membre du Parti radical et figure de la IIIe République, pour qui « les doctrinaires ont cet avantage qu’ils n’ont pas besoin de penser. »

Le philosophe Alain le confirme à sa manière en affirmant que « Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. »

Et pourtant, que de fois nos élites dirigeantes se réfèrent à l’idéal d’une philosophie politique pouvant dégager les horizons éblouissants de lendemains qui chantent (on notera pourtant la définition d’Ibn Kanoun le Rostémide parcourant le Grand Erg : « L’horizon c’est une ligne imaginaire qui recule lorsqu’on avance »).

L’écrivain Paul Valéry ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme : « La politique est la forme la plus vulgaire de la métaphysique. Toute doctrine politique est une prophétie. »

Desproges, l’humoriste sceptique, stigmatisait ces penseurs par un prétendu constat aussi fielleux qu’invraisemblable : « Quand un philosophe me répond, je ne comprends plus ma question ». C’est vraiment mesquin !

Mais rien ne saurait altérer notre bonne humeur aussi gauloise que légendaire. Sportivement, laissons pour conclure la parole à Schopenhauer, l’humoriste allemand bien connu : « Vous n’avez aucune chance. Saisissez-la. »

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