18 août 2016

Les mots sont les armes chocs de la guerre révolutionnaire

Par Jean-Pierre Brun

Pour Emil Cioran « on n’habite pas un pays, on habite une langue. »

Ce constat peut paraître paradoxal pour un étranger qui n’écrivait plus qu’en français depuis 1949. Il n’est pas anodin : dans la Roumanie communiste, le philosophe ne se sentait plus chez lui.

Cette affirmation pour le moins audacieuse devrait redonner le moral à des instances européennes soudain trop craintives devant la résurgence de bas instincts nationaux au sein même de l’Union.

En effet, une voie s’ouvre à elles : celle qui permettra la déstabilisation du fanatique de l’État Nation en affaiblissant et dénaturant sa langue officielle. Coupé de celle-ci, l’individu deviendra ainsi un « sans domicile fixe ». II pourra dès lors trouver asile dans un foyer d’accueil : l’Europe.

Des esprits sagaces objecteront que le processus est déjà en cours avec ces incitations diverses au développement des langues régionales, notamment celles qui, comme le Basque ou le Catalan, enjambent allégrement les frontières. Certes, mais pour sauver l’Europe, sinon la construire, il faut aller beaucoup plus loin.

Qu’est-ce qu’une langue ? Un puzzle dont les innombrables pièces, correctement assemblées, permettent à ses pratiquants de communiquer entre eux. Plus qu’avec les langues, il convient donc de jouer avec les mots pour créer cette confusion indispensable à l’instauration d’un ordre nouveau. La politologue Suzanne Labin l’affirme dans une formule on ne peut plus martiale : « Les mots sont les armes chocs de la guerre révolutionnaire. »

Sans remonter aux temps bibliques et à la Tour de Babel, il est bon d’en appeler aux Anciens, pour mieux illustrer notre propos.

Un Rivarol on ne peut plus fine mouche, a su déceler l’effet dévastateur de cette pratique insidieuse : « Changer le sens des mots, c’est produire la confusion, l’obscurité et la méfiance avec les instruments de l’ordre, de la clarté… Changer le sens des mots, c’est déplacer les meubles dans la maison d’un aveugle. »

Pour Gaxotte l’historien, prophétisant le pire, « La duperie des mots prépare les égarements de l’esprit. »

Camus, pour sa part stigmatise une erreur tout aussi dévastatrice, celle qui consiste à croire que contourner un obstacle, tout en feignant de ne pas le voir, permettrait de l’éliminer définitivement : « Ne pas nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. »

C’est ainsi, par exemple, que pendant plus de vingt ans à ne pas vouloir traiter frontalement le cas des gangs des banlieues, les pouvoirs publics, prétendant n’y voir que des « incivilités de jeunes », ont laissé les « zones de non-droit » (encore un néologisme) se créer. Leur prolifération, rythmée par les slams et autres raps porteurs d’appels au meurtre (toujours des mots), est le meilleur vecteur de la peste qui emportera les États et, par conséquent, avec eux, les Nations. Encore un petit effort…

Beaucoup plus pragmatique, Jaurès intègre les possibilités illimitées qu’offre le vocabulaire dans la manipulation politique : « Faute de changer les choses, on change les mots. »

Ainsi, en ce début de troisième millénaire, lorsque la classe politique constate la disparition du civisme, elle enterre le qualificatif « civique » qui s’y rattache et lui substitue celui très générique de « citoyen ». Désormais, l’acte doit être citoyen. Une initiative pour qu’elle soit belle ne peut être que citoyenne. Une marche « blanche » (encore une nouveauté) est obligatoirement citoyenne. J’arrête là mon énumération car cette diarrhée risque de devenir elle-même citoyenne.

Une autre façon de manipuler les esprits consiste à affadir le sens des mots jusqu’à ce que la perfusion anesthésiante ainsi administrée neutralise le discernement.

Jacques Perret l’analyse magistralement : « Le chemin du diable est toujours tapissé de nuances. La nuance dégrade : elle arrondit les angles, altère les couleurs, efface les contours, ménage, transige et renonce. La nuance est l’ébauche du mensonge et le baume de l’erreur et, de nuance en nuance, on arrive à nuancer le soufre pour le humer comme verveine. »

Xénocrate d’Athènes, ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que « l’euphémisme est à l’idée ce que le tarama est à la médecine : il apaise, mais ne guérit pas. »

Aux grands mots, les grands remèdes ! Face à la prolifération des métastases europhobes, le recours aux « antisceptiques » s’avérant illusoire, il reste la voie de l’ablation. Des premiers succès ont été enregistrés dans ce domaine avec la « Patrictomie ». On retire cet appendice aussi irritable que sensible, avant de greffer un logiciel de valeurs européo-républicaines totalement artificielles donc indolores.

Ces expériences sont encourageantes et comme le précisait déjà voici plus de deux mille ans Krassos de Corinthe en fourrant sa pita d’œufs de poisson, « le mulet pourrit par la tête, Athènes pourrira par les mots. »

Vous avez aimé cet article ?

EuroLibertés n’est pas qu’un simple blog qui pourra se contenter ad vitam aeternam de bonnes volontés aussi dévouées soient elles… Sa promotion, son développement, sa gestion, les contacts avec les auteurs nécessitent une équipe de collaborateurs compétents et disponibles et donc des ressources financières, même si EuroLibertés n’a pas de vocation commerciale… C’est pourquoi, je lance un appel à nos lecteurs : NOUS AVONS BESOIN DE VOUS DÈS MAINTENANT car je doute que George Soros, David Rockefeller, la Carnegie Corporation, la Fondation Ford et autres Goldman-Sachs ne soient prêts à nous aider ; il faut dire qu’ils sont très sollicités par les medias institutionnels… et, comment dire, j’ai comme l’impression qu’EuroLibertés et eux, c’est assez incompatible !… En revanche, avec vous, chers lecteurs, je prends le pari contraire ! Trois solutions pour nous soutenir : cliquez ici.

Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

Partager :