3 juillet 2023

Les animaux peuvent-ils inspirer les philosophes ?

Par Jill-Manon Bordellay

Les philosophes ont plutôt réfléchi sur l’homme, ses comportements, sa culture, ses valeurs. Il y en a peu qui ont été accompagnés d’animaux et encore moins qui ont été influencés par eux au point d’écrire sur leur sagesse.

Pourtant, dès l’Antiquité, des philosophes comme Aristote et Pythagore, Porphyre, ont défendu le végétarisme en dénonçant la nourriture carnée et les sacrifices rituels.

Mais Diogène de Sinope, dit « le chien » (illustration : Diogène dans sa jarre par Jean-Léon Gérôme. 1860) , fonda sa morale sur les comportements naturels des canidés. Alors pourquoi ne pas mordre les mollets, lever la patte sur les richesses et aboyer devant les instances morales et politiques ? En effet, le sage diogénien prône un mode de vie marginal en rejetant les institutions sociales. La postérité retiendra de lui son caractère cynique et provocateur.

Quelques siècles plus tard, Montaigne, chasseur à cheval accompagné de chiens en meute, apprend toutefois à aimer sa chatte : « Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi plus que je ne fais d’elle ? Nous nous entretenons de singeries réciproques. Si j’ay mon heure de commencer ou de refuser, aussi a elle la sienne ». Ses jeux avec l’animal le délassent de ses lourdes obligations administratives.

Mais au XIXe siècle, Arthur Schopenhauer, lecteur des Védas et des Upanishads, va être sensible à la cause animale et critiquer l’absence de droits pour les animaux. « Les animaux sont principalement et essentiellement la même chose que nous. »

Toujours accompagné d’un caniche qu’il nomme « Atma », qui veut dire en sanscrit « âme du monde », le philosophe de « parerga paralipomena » n’oublie pas de faire de son chien l’un de ses héritiers dans son testament. Ce geste ne doit pas être interprété comme le signe de sa misanthropie, mais plutôt comme la preuve d’une véritable compassion à l’égard des animaux. Il écrit dans l’ouvrage précédemment cité : « Le plus grand bienfait des chemins de fer est qu’ils épargnent à des millions de chevaux de trait une existence misérable. »

Son fidèle admirateur Friedrich Nietzsche présenta un bestiaire philosophique dans Ainsi parlait Zarathoustra. Le personnage de Zarathoustra communique en effet constamment avec des animaux tels l’aigle et le serpent qui l’assistent dans sa convalescence et surtout le conduisent à la naissance du surhumain.

L’auteur a pu être inspiré lors de ses promenades sur le sentier caillouteux près du petit village d’Eze. Nietzsche a été fasciné par le survol des aigles royaux et les couleuvres qui se lovent près des pierres pour se réchauffer. Toute la mythologie nietzschéenne semble née dans ce lieu où la végétation luxuriante abrite chaque animal qui exprime sa force vitale. Nietzsche reconnaît que la gestation de son œuvre, un peu comme Zarathoustra dans celle de la caverne, contribue à lui redonner le goût de la vraie vie. La vie telle qu’il l’entend pour l’homme qui sait se dépasser pour exister pleinement en faisant naître le surhumain.

« J’ai bien dormi, j’ai beaucoup ri et j’ai retrouvé une vigueur et une patience merveilleuses. »

Devant son chat, être nu peut particulièrement être troublant, comme l’a écrit Jacques Derrida dans L’animal que donc je suis : « Souvent je me demande, moi, pour voir, qui je suis – et qui je suis au moment où, surpris nu, en silence, par le regard d’un animal, par exemple les yeux d’un chat, j’ai du mal, oui du mal à surmonter une gêne. »

Alors si vous vous sentez philosophe, n’oubliez pas d’être accompagné d’un animal qui peut davantage vous apprendre sur vous-même que bien des thérapeutes !

Jill-Manon Bordellay a publié aux éditions Dualpha : 

Souffrance animale & responsabilité humainepréface de Christian d’Andlau-Hombourg
Animaux : halte à l’hécatombe !préface de Christian d’Andlau-Hombourg
L’enrôlement des animaux durant les guerrespréface de Michel Quinton, postface de Jocelyne Donsanti
Mort et création chez Gérard de Nerval et Edgar Allan Poe
Le symbolisme de l’amour et de la mort durant la renaissance italiennepréface de Pierre Moussy, postface de Bastien Loukia

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