16 octobre 2016

Aboulique ! Aboulique vous-même !

Par Jean-Pierre Brun

À un extraterrestre qui se désespérait de l’aboulie de la classe politique, un parlementaire européen répondit qu’il ne voyait pas en quoi le cumul des mandats pouvait être associé à un appétit du pouvoir dès lors que, dans leur immense majorité, les citoyens refusaient de briguer le moindre mandat électoral, fût-il seulement associatif ou syndical. Réponse hors sujet, sauf que…

De l’aboulie à la boulimie, il y avait là plus que la coquille d’un typographe de naguère. Coquille que certains de nos élus ou journalistes ne sauraient d’ailleurs relever (l’un de ces derniers n’a-t-il pas attribué à notre actuelle ministre « le marocain » de l’Éducation nationale ?). Mais nous traiterons de l’inculture de la classe médiatico-politique un autre jour…

En psychopathologie, l’aboulie est un trouble mental caractérisé par la diminution ou la privation de volonté, c’est-à-dire par l’incapacité d’orienter et de coordonner la pensée dans un projet d‘action ou une conduite efficiente. Qui oserait poser aujourd’hui un tel diagnostic pour mettre en doute l’excellence de la santé de la plupart de nos eurocrates ?… Ils n’arrêtent pas de réglementer, de normaliser trois chiffres après la virgule, de coordonner, de planifier. La preuve ? Il paraît que plus de 80 % des textes de loi votés par notre Parlement ne sont que la transcription de textes européens en droit français.

Certes, des pédants grincheux pourraient invoquer Georges Clemenceau qui, en 1899, soulignait « l’effroyable crise d’aboulie que traversait le pays » et Charles Maurras qui en 1914, dans son Kiel et Tanger dénonçait « la régression militaire et maritime de la France qui stigmatisait un état d’anémie et d’aboulie sociales profondes »Oui, mais c’était avant ! Et ces deux vieux croûtons n’étaient déjà que les survivants gâteux d’un passé hexagonal révolu. D’ailleurs, sondez donc un panel d’élèves de terminale… Au mieux, Clemenceau est une rue, une avenue ou un square… Ne parlons pas du mot « race », auquel est curieusement accolé le prénom Charles… Les instances académiques l’interdisent.

Aujourd’hui, grâce à Dieu, nous vivons dans une Union Européenne libérée. Le terme « aboulie » est tout naturellement tombé en désuétude du jour où le mal qu’il désignait a lui-même disparu. Qui, aujourd’hui, sous nos climats, hormis quelque rat de bibliothèque, se souvient du « mal des Ardents » ou du « vomito négro » ? L’aboulie, c’est pareil.

C’est pourquoi mon sens civique aigu me pousse à souligner le danger qui consiste à interpréter trop légèrement, sinon malicieusement, des faits dont on ne peut, en parfaite connaissance de cause, apprécier la portée. Les Eurosceptiques ne manqueraient pas d’en faire leurs choux gras.

Non, nos élites européennes ne manquent pas de volonté. Elles font au contraire preuve de cette grande sagesse qui incite à la prudence en recourant aux principes de précaution. Celui dit de « conservation des élites » qui les concerne, ne vise rien d’autre que leur maintien en parfaite forme et la prolongation de leur espérance de vie. Rivarol qui ne parlait pas pour ne rien dire, notait d’ailleurs que « rien n’est plus fatigant que la paresse ». Alors ! Si comme le prétendait Krassos de Corinthe « La paresse est la mère de l’ingéniosité », nos édiles bruxellois ne sauraient être traités de fainéants.

Un Président du Conseil de la IVe, qu’une louable modestie poussait à garder l’anonymat, avait délivré cet autre principe de saine politique : « Il n’y a pas de problème qu’une absence de décision ne parvienne à résoudre. »

Récemment, un conseiller élyséen ne disait rien d’autre en soulignant que « c’est dans les heures graves qu’il faut que chacun se dépêche d’attendre. »

Mieux, Rivarol, déjà cité, avait déjà pu constater que c’était « un terrible avantage de n’avoir rien fait ». Il limitait cependant son propos en précisant : «… mais il ne faut pas en abuser. »

Décider hâtivement en matière de politique peut devenir très vite regrettable, que ce soit au plus haut niveau ou dans les strates administratives plus subalternes. Mais il y aura toujours des plumitifs séditieux pour moquer cette prudence. Déjà en 1829, Le Globe taquinait Polignac : « Il est très résolu, mais il ne sait pas à quoi. »

Plus récemment, un journaliste fielleux prétendait que « Le Président ne demandait qu’à dissoudre l’Assemblée. Mais il ne savait pas dans quoi ». Mais comme aimait à le répéter Ibn Kanoun, le chroniqueur du royaume de Tahert : « Les hyènes ricanent mais les Rostémides règnent. »

À tous les manipulateurs qui jouent avec le spectre d’un mal heureusement vaincu, il faut opposer cette vérité de Xénocrate d’Athènes : « Les vapeurs enivrantes de l’activisme sont aux mâles effluves de l’action ce que le déodorant de la prostitution est aux huiles essentielles de l’amour. »

Il est donc plus que jamais urgent d’attendre.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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