Franck Buleux et l’Europe
Franck Buleux est enseignant et a publié récemment un ouvrage historique et politique sur « L’unité normande ». Depuis 911 jusqu’à aujourd’hui, la Normandie est une réalité territoriale française qui se bat pour conserver son identité et ses spécificités. Face à l’hégémonie du Grand Paris, la Normandie doit se mobiliser pour son identification, son art de vivre et son autonomie.
Quelle est votre position sur l’Europe ? Êtes-vous anti ou pro Européen ? Dans ce dernier cas de figure, êtes-vous pour une Europe fédérale ou une Europe de la coopération de nations souveraines, ou encore en avez-vous une autre conception ?
L’Europe est d’abord une réalité géographique, elle représente cette « Terre du bout du monde ». Terre du bout du monde, entre l’Atlantique et l’Oural où se sont concentrés, au fil des générations, l’esprit hellène, les conquêtes romaines, les divisions impériales, les haines guerrières…
Entité géographique, c’est le territoire sur lequel l’Histoire du monde s’est ancrée. Les Européens sont les artisans du monde, ils ont véhiculé leur culture, leur savoir-faire…
Ils sont les ouvriers du monde, mais ils ont aussi prouvé leur manque de perspective unitaire via deux guerres civiles meurtrières au XXe siècle. L’Europe a été la principale victime des guerres « mondiales ». Ces guerres ont eu pour principal champ de bataille l’Europe continentale.
La géographie a identifié l’Europe ; l’Europe a engendré l’Histoire
Le reste du monde ? L’Amérique est la fille de l’Europe, l’Afrique lui doit son développement économique, l’Asie n’a-t-elle pas vu l’arrivée, voici six siècles, d’Indo-Aryens, venus initier un système de castes ?
Nier l’Europe, c’est adopter une attitude ethno-masochiste, certes emblématique de nos dirigeants socio-démocrates et libéraux.
L’Europe ne peut pas seulement se confondre avec une structure pluri-étatique comme l’Union européenne.
L’unité européenne, nécessaire quant aux intérêts du Vieux continent, ne doit pas être une contrainte pour les peuples. Il nous faut passer de la phase strictement économique (en échec) à la phase politique. Le concept de nation, pour nécessaire qu’il est, doit aussi passer par des accords, par des alliances politiques inter-étatiques, pas nécessairement à 27 ou à 28.
Les concepts politiques comme le souverainisme ou le fédéralisme n’ont de sens qu’à la condition de définir les contenus des politiques menées. Il ne faut rien exclure tout en restant vigilant sur les cadres proposés.
Pourquoi refuser a priori une fédération d’États qui se constituerait face à une migration sans limites ? Pourrait-on accepter une nation souveraine dont le spectacle permanent serait son avilissement ?
L’Europe a besoin d’énergie politique, incarnée par des hommes et des femmes ayant conscience de l’identité de ce territoire. À défaut, l’Europe deviendra un marché économique qui produira (avec des producteurs venant du monde entier) et sera une espèce de site touristique.
C’est la victoire de ce que Drieu la Rochelle appelait le parti de la Production.
Nos représentants sont des gérants économiques. L’Europe attend mieux.
Quelle que soit votre conviction, considérez-vous que rien n’arrêtera désormais la construction européenne sous sa forme actuelle ou sous une autre – que vous le déploriez ou l’espériez – ou, au contraire, que son échec est prévisible, voire même inéluctable ?
L’échec de l’Union européenne a commencé : une intégration sans limite, des résultats négatifs à certaines consultations électorales (comme la France en 2005), le départ annoncé du Royaume-Uni à la suite du Brexit… annoncent l’éclatement, ou à tout le moins une réforme à court terme du système désormais fragilisé, grâce aux peuples.
Les institutions européennes sont totalement inconnues du peuple européen et ne représentent pas suffisamment celui-ci. Même le Parlement, élu au suffrage universel depuis 1979, n’a pas permis l’identification des électeurs à ses élus. Des records d’abstention ont lieu lors de ces élections, c’est un signe de désintérêt patent (qui ne date pas d’hier).
L’échec économique se cumule à l’insignifiance politique. La politique actuelle vise à la surreprésentation des citoyens : rien ne se substitue, tout se superpose (chaque décennie voit l’arrivée de nouveaux représentants élus : les députés européens dans les années 1970, les conseillers régionaux dans les années 1980 par exemple). Il n’y a plus aucune visibilité sur « qui fait quoi ? ».
Or, ou une institution a un intérêt certain et elle se substitue à une autre ou bien elle se cumule et l’opinion publique ne comprend pas son intérêt.
En résumé, les institutions européennes n’ont pas su trouver leur place politique. Leur rôle est, certes, important mais on ne parle pas de « supranationalité » (peut-être n’ose-t-on pas d’ailleurs ?). Dans nos démocraties, tout est susurré, jamais exprimé. De deux choses l’une, ou le Parlement européen est l’organe législatif européen et il se substitue aux parlements nationaux ou il est une simple représentation sans pouvoir. Qu’en est-il ?
La clarté n’est pas la chose la mieux partagée dans nos démocraties.
Pour revenir à votre question, si l’échec des institutions européennes semble inéluctable à terme, il sera nécessaire de mettre en place des structures d’unités politiques entre nations.
Pourquoi ne pas profiter du Brexit ? Bien sûr, une certaine anglophobie pourrait rendre improbable une future union mais cela pourrait être une piste.
Que pensez-vous du Grand marché transatlantique (GMT), cette zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, actuellement en négociation ?
La négociation d’un grand marché transatlantique (GMT) entre les États-Unis et l’Union européenne confirme la détermination des libéraux et des sociaux-démocrates à transformer le monde.
Le premier problème est celui de la forme : qui négocie ? Où est la transparence ? Le mandat de négociation a été confié par le Conseil de l’Union européenne (les dirigeants) à la Commission européenne, c’est-à-dire à des commissaires qui représentent, non les Européens, mais les intérêts de l’Union. Il suffit d’écouter le commissaire français, Pierre Moscovici, pour comprendre qu’il ne tient pas compte des intérêts français.
Si j’évoque d’abord la forme, c’est pour indiquer que ce « vice » selon moi empêche de parler du fond. S’il s’agit de négociations menées par des commissaires, la portée en sera – démocratiquement – limitée.
Sans préalable démocratique, il n’est pas de traité international valable. Vous constaterez que ce n’est même pas le Parlement européen qui est mandaté, mais la Commission, c’est-à-dire là où réside le véritable pouvoir d’élaboration des textes au sein de l’Union.
Or, cette Commission est un organe « en trop » puisqu’il existe le Conseil (pouvoir exécutif des dirigeants) et le Parlement, organe législatif dont les membres sont élus. Je suis donc favorable à la dissolution de cette institution que l’on peut considérer soit comme faisant doublon avec le Parlement (croupion ?), soit comme totalement contraire au principe démocratique.
Les négociations avec les États-Unis (qui de toute façon vont se réduire, comme tenu de l’opprobre dont fait l’objet le nouveau président Trump, élu démocratiquement) doivent relever de négociations antiétatiques. À ce sujet, on peut penser que la Première ministre britannique est la mieux placée, politiquement, pour négocier avec Donald Trump.
L’avenir de l’Europe consiste-t-il à s’amarrer aux USA ou plutôt à resserrer les liens avec la Russie ? Ou aucun des deux.
Il n’existe pas de réponse prédéfinie.
L’Histoire nous démontre que des évolutions existent. Vous posez cette question aujourd’hui alors que le président Poutine est un leader incontesté et digne de ce nom. Il faut donc resserrer nos liens avec la Russie, comme le soulignent les principaux candidats à la présidentielle : Marine Le Pen, François Fillon et Jean-Luc Mélenchon. Mais, avant la chute du Mur, il aurait été, selon moi, indélicat d’avoir des liens privilégiés avec le PCUS (Parti communiste de l’Union soviétique) et dans cette situation, Mélenchon aurait apprécié les liens avec la Russie éternelle.
Comme moi, vous avez combattu contre le PC « F », financé par Moscou…
L’Histoire nous enseigne qu’il est indispensable de désigner l’« ennemi principal ». Aujourd’hui, c’est la conquête islamique qui menace l’Europe. C’est cela qui doit être notre fil conducteur en matière d’alliances étrangères. Or, un gouvernement faible comme le nôtre est totalement incapable de définir l’ennemi et d’identifier l’ami. En même temps, c’est l’aboutissement de la logique de la terreur islamique : le projet de l’islam politico-guerrier est le chantage suivant : « Soyez bienveillant avec nos frères, sinon nous frapperons les vôtres ! ». Un gouvernement faible a donc tout intérêt à être bienveillant pour éviter trop de « camions fous ».
Votre question « alternative » relève une réponse « Aucun des deux » (ni USA, ni Russie), évoquant la fameuse « Troisième Voie », chère à certains. Évidemment, la voie politique européenne pourrait être une voie -voix- nouvelle et identitaire mais une nouvelle fois, si elle représente la voie d’Angela Merkel et de François Hollande, ce n’est pas la mienne.
Sans révolution politique de fond, l’Europe n’a plus qu’une voix, celle de l’ethno-masochisme.
Qu’est-ce que l’Europe signifie pour vous ? Un rêve ? Un cauchemar ? Une nécessité géopolitique ? L’inévitable accomplissement d’un processus historique ? La garantie d’une paix durable pour le Vieux continent ? Ou rien du tout…
Pour reprendre votre première question, l’Europe est une réalité historique, culturelle et politique. Elle est l’essence du monde moderne. Imaginez un monde sans Europe, sans Européens…
L’expression « Vieux continent » est malheureusement l’expression consacrée pour limiter son influence.
La culpabilisation de nos élites me donne l’impression que l’Europe est juste faite pour permettre aux « autres » de vivre, de se développer, de consommer… Un peu comme un ancêtre veillant sur ses descendants avec cette différence qu’ici, il ne s’agit pas de descendance directe.
L’ancêtre attend la mort. Et l’Europe ? Il n’y a pas de civilisation qui ne soit pas mortelle.
Au-delà de ce sentiment pessimiste, il n’est pas exclu que cet ensemble de peuples créateurs, imaginatifs, conquérants ne reprenne pas en mains son destin.
L’avenir nous appartient, diront certains. Puissions-nous les entendre !
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.