L’Union européenne et les robots
« Le progrès n’est plus dans l’homme, il est dans la technique, dans le perfectionnement des méthodes capables de permettre une utilisation chaque jour plus efficace du matériel humain […] On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. […] La seule Machine qui n’intéresse pas la Machine, c’est la Machine à dégoûter l’homme des Machines, c’est-à-dire d’une vie tout entière orientée par la notion de rendement, d’efficience et finalement de profit. […] L’homme n’a de contact avec son âme que par la vie intérieure, et dans la Civilisation des Machines la vie intérieure prend peu à peu un caractère anormal », écrivait avec une stupéfiante préscience Georges Bernanos dans La France contre les robots.
Par-là, le polémiste voulait signifier deux inéluctables confluences : d’une part, que la Technique ou l’homme augmenté n’est qu’un avatar du capitalisme, d’autre part, que cette même Technique, monstrueuse engeance et bras armé du capitalisme est une redoutable machine à évider l’homme de ce qui le caractérise en propre comme roseau pensant, à savoir sa formidable capacité, à nulle autre pareille, à se mouvoir dans le monde métaphysiquement et spirituellement infini de sa conscience.
Le 12 janvier dernier, à l’instigation de Mady Delvaux, député européen luxembourgeois et vice-présidente de commission des affaires juridiques (JURI) du Parlement européen, a été adopté, au sein de cette dernière, un rapport d’initiative législatif qui sera soumis au vote des parlementaires européens à Strasbourg, en séance plénière, le 16 février prochain.
Avec le pharisaïsme et le double langage qui sied, idéologiquement, aux élites mondialistes, les députés ont appelé à la nécessité de règles « pour exploiter pleinement le potentiel économique de la robotique et de l’intelligence artificielle, tout en garantissant un niveau standard de sûreté et de sécurité », tout en exhortant à « la possibilité de créer un statut juridique spécial de « personnes électroniques » pour les robots autonomes les plus sophistiqués. »
En mai 2016, une proposition de résolution contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique soulevant « la question de la dignité humaine […] dans le contexte de la réparation ou de l’amélioration du corps humain (sic !) » considérait très sérieusement que « les lois d’Asimov [devaient s’appliquer] aux concepteurs, aux fabricants et aux utilisateurs de robots ». En substance, ces « lois » dégagées par le célèbre auteur de la monumentale Fondation, posaient les principes repris par les députés européens, de bienfaisance et de non-nuisance des robots à l’égard des humains.
À la lumière crue de ces folies prométhéennes et démiurgiques, l’on s’interroge : est-ce l’homme prétendument augmenté, dont il s’agit où, plus vraisemblablement, de l’augmentation des profits capitalistiques suraccumulés ? Lorsque Laurent Alexandre, le fondateur du site en ligne Doctissimo (propriété de Lagardère) et de DNAvision (société de droit belge spécialisée dans le séquençage ADN, leader européen) prophétise que « nous aurons la capacité technique de bricoler la vie, et rien ne nous empêchera d’user de ce pouvoir », parce que « de l’homme réparé à l’homme augmenté, il n’y a qu’un pas qui sera inévitablement franchi », il est difficile de croire que le mouvement aveugle vers un illimité absolu ait pour moteur une philanthropie désintéressée. Le transhumanisme (mêlant, tout à la fois, génétique et informatique, robotique et humanisme) apparaît, ainsi, comme la voie ouverte au techno-totalitarisme de l’homme réifié. Le « matériau » humain, commensurable à n’importe quel composant électronique, est voué à n’être que la variable d’ajustement d’un système qui aura parfaitement réussi sa révolution anthropophobique. Contrairement à ce qu’écrivait Lénine, ce n’est pas l’impérialisme qui est le stade suprême du capitalisme, mais le transhumanisme puisque l’administration des choses par les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) se sera insidieusement substituée au gouvernement des hommes, la « gouvernance » par les conseils d’administration des multinationales et les traders boursiers n’étant que l’étape intermédiaire.
Toutefois, il faut prendre garde de s’en tenir à la seule axiomatique de l’arraisonnement capitaliste. Comme nous y invite le philosophe Olivier Rey, « nous aurions tort de ne considérer le transhumanisme que comme une superstructure au service d’une infrastructure économique. Est-ce le marché qui en appelle à l’imaginaire et au pulsionnel pour mieux assurer son emprise, ou bien est-ce que ce sont l’imaginaire et le pulsionnel qui en appellent au règne du marché, dans l’espoir de se satisfaire ? Les deux sont vrais, et les deux se complètent. »
C’est précisément absoudre par avance une humanité qui reste commandée, en dernière instance, par sa psyché. Platon, Thomas More, Descartes ou Mary Shelley nous ont appris, sur les plans philosophiques et littéraires, combien cette dernière était déterminante dans le pouvoir créateur de l’homme. Elle est au fondement même de son libre arbitre. Mais la liberté n’a jamais évacué la responsabilité, ce que s’empresse pourtant de faire « l’imaginaire transhumaniste, […] dont Olivier Rey nous dit qu’elle est la technique la plus sophistiquée mise au service d’une régression. C’est le couplage monstrueux de la surpuissance et de l’infantilisme, la figure hideuse de l’immature surarmé. C’est la promesse que grâce à la technique, nous n’aurons plus à devenir adultes. »
Valet du mondialisme, l’Union européenne ne pouvait manquer de nous conduire sur cette voie du « progrès »…
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