De « Bruxelles » à « Imagine »
1958… C’était au temps où Bruxelles rêvait…
La traditionnelle Belgique joyeuse avait encore droit de cité, bien que l’Atomium projetât son ombre avant-gardiste sur les tours de Sainte Gudule.
Rue des Bouchers, régnant en maître dans son restaurant, Léon traitait ses clients sans que des fonctionnaires ne vinssent lui imposer des normes de friture ou de vieillissement de ses viandes fondantes. Il ne pouvait imaginer un instant les prophéties d’un ex-syndicaliste cul-béni parisien repenti qui, trois décennies plus tard, osera affirmer : « Dans dix ans, 80 % de la législation économique, peut-être même de la législation fiscale et sociale émaneront de Bruxelles. »
C’était au temps du cinéma muet…
Sur la Grand’Place et la Place Sainte Catherine, à grand renfort de gestes, voire de gnons qui valaient sous-titres, on s’expliquait véhémentement entre flamingants et wallons, loin d’imaginer qu’au début du troisième millénaire la langue vernaculaire de la capitale du royaume serait l’anglais et que les mœurs locales seraient remisées dans quelque fondation privée.
Alain Peyrefitte, le conservateur sourcilleux de Provins la Médiévale, s’en désolera en dénonçant l’emprise d’une conjuration aussi pateline que redoutable : « À Bruxelles 16 000 fonctionnaires coupés du monde, sans assise populaire, sans légitimité, passant leur vie et même leurs loisirs entre eux, finissent par se croire investis d’une mission providentielle. Ils sont au demeurant si compétents et si courtois qu’ils gagnent peu à peu les parlementaires ou ministres européens qui devraient les contrôler, et qui finissent par leur rendre les armes. Car le ministre court. Le député passe. Les fonctionnaires restent. »
C’était au temps où Bruxelles chantait…
« La Brabançonne » n’avait pas encore cédé la place à la IXe de l’irascible Ludwig. Celui-ci, en son temps, n’aurait d’ailleurs jamais pu imaginer le choix de l’une de ses œuvres, promue Hymne d’une Europe que les guerres napoléoniennes venaient de dévaster. Grâce à Dieu, s’il vivait encore, sa surdité lui éviterait d’entendre la plupart des candidats au concours de l’Eurovision qui, quelle que soit leur origine, régurgitent leurs âneries dans un pitoyable « angloricain ». Mais n’est-ce pas là, la manifestation la plus dérisoire de ce que Paul Valéry craignait : « L’Europe aspire visiblement à être gouvernée par une commission américaine : toute sa politique s’y dirige. »
C’était au temps où Bruxelles brucellait…
Alors que l’exposition universelle de 1958 fermait déjà ses portes aux accents entraînant du saxophone et de la clarinette de Sydney Béchet, l’enfant de la Nouvelle-Orléans, qui aurait pu imaginer Bruxelles devenir la capitale de l’Europe, mais surtout celle de l’univers impitoyable des lobbies économiques et financiers internationaux ?
Maurice Allais, notre Prix Nobel d’Économie, avait bien raison de nous mettre en garde contre les effets délétères de la politique économique de Jean Monnet et de ses disciples : « Les perversions du socialisme ont provoqué l’effondrement des sociétés de l’Est. Prenons garde que les perversions du libéralisme n’entraînent l’effondrement des sociétés occidentales. »
Est-ce pour cela que Jacques Brel s’est enfui du côté des Marquises avant de s’enfouir dans leur purgatoire insulaire ? On peut l’imaginer…
Hélas, les temps de cette joyeuse Belgique sont révolus. Ses histoires ne font plus rire personne. Et ce n’est pas Philippe Randa qui me contredira, lui dont le père, Peter, Prince du Fleuve Noir, est né à Marcinelle.
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Philippe Randa,
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