29 mars 2018

L’Union européenne contre les enfants Hallyday

Par Franck Buleux

 

Dans le litige familial qui oppose les enfants légitimes de Johnny Hallyday, Laura Smet et David Hallyday, et sa dernière épouse, veuve de la star française et représentante légale de leurs deux enfants adoptés, Laëtitia Smet, il a été évoqué de nombreux aspects, sauf un, l’essentiel : le droit international privé et son application.

Monsieur et madame Smets.

Monsieur et madame Smet.

Le droit international privé est la branche du droit qui représente les normes applicables lorsqu’il existe un élément d’extranéité au sein d’un règlement, voire un conflit, juridique : par exemple, je suis français, mais je détiens un bien immobilier au Maroc ou je suis russe, mais je me suis marié en Belgique (avec un contrat de mariage issu du droit belge) et mon lieu de résidence est en France… La mondialisation des échanges et une certaine « mode » ont développé la pratique de ce droit. Et comme toute pratique qui se développe, les litiges se sont accrus, le plus souvent dans la détermination du droit applicable, avant même d’apporter une solution.

En matière de succession, puisque c’est ce qui nous interpelle ici, le droit français a longtemps dérogé au principe de l’universalité du patrimoine. En effet, il est traditionnel de définir que le patrimoine d’une personne, vivante ou non, est constitué de l’ensemble de ses actifs et de ses passifs (dettes) : la différence constituant, en cas de solde positif, l’actif net.

Il apparaissait (vous noterez que j’écris au passé…) que l’ensemble des biens successoraux pouvait donc ne pas être soumis à une loi unique : les biens mobiliers étaient soumis au lieu de résidence et les biens immobiliers en fonction du droit du sol, c’est-à-dire du lieu de la situation de l’immeuble. Sans texte législatif, la France s’appuyait sur la jurisprudence de la plus haute juridiction judiciaire privée française, la Cour de cassation, qui opérait effectivement une distinction, parmi les biens successoraux, entre les meubles (soumis à la loi du dernier domicile du défunt) et les immeubles (régis par la loi de leur lieu de situation). Ainsi, le droit international privé français n’assurait l’unité successorale du patrimoine du défunt que pour la partie mobilière de la succession (meubles meublants, objets de valeur, mais aussi patrimoine financier constitué par exemple de comptes titres bancaires).

Cette double règle successorale de traitement permettait de limiter la fraude qui consistait, le plus souvent, à une manipulation du facteur de rattachement de la succession internationale. Ce type de fraude était aisé pour la succession mobilière puisqu’il était possible, pour le défunt, de changer la loi applicable en déplaçant sur dernier domicile, mais restait, toutefois, limité car elle ne touchait pas l’immobilier, par définition solidement ancré à la terre. Si l’on reprend l’exemple qui nous intéresse juridiquement ici, le défunt qui voulait déshériter ses enfants pouvait rédiger un testament en faveur de sa dernière épouse et établir son dernier domicile sur le territoire d’un État qui ne prévoit aucune réserve successorale, comme la Californie, État fédéré des États-Unis disposant de règles autonomes. Pour être concis et global, l’héritage, avec droit de réserve, comme en France n’existe pas aux États-Unis, quel que soit d’ailleurs l’État fédéré concerné. Les règles états-uniennes favorisent exclusivement la liberté contractuelle, ici le legs par testament permet de désigner un légataire, qui bénéficiera des biens transmis même si, la plupart du temps, il faudra passer devant un tribunal (« probate »). Et c’est ce dernier, en principe selon les vœux du défunt, qui va décider, in fine, qui va hériter.

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Revenons-en à la règle française de double traitement successoral qui permettait de dissocier les biens mobiliers des biens immobiliers. Dans notre cas d’espèce, l’affaire Hallyday, notre lecteur aura compris que les biens immobiliers détenus par Jean-Philippe Smet, auraient dû dépendre des lois nationales où ils se trouvent. Nous ne connaissons pas l’étendue du patrimoine immobilier du célèbre interprète national défunt, mais chacun d’entre nous a entendu parler de cette villa de 900 mètres carrés située à Marnes-la-Coquette, « le village des milliardaires » comme il est parfois désigné, dans les Hauts-de-Seine, dénommée La Savannah. Outre ce bien francilien luxueux, mis en vente pour 26 millions d’euros il y a quelques années – sans succès –, il y a aussi, notamment, la Villa Jade de Saint-Barthélemy, aux Antilles françaises, qui s’étale, quant à elle, sur près de 500 mètres carrés, et est proposée à la location entre 4 000 et 8 000 euros la nuit.

Que viennent faire alors les normes de l’Union européenne dans ce conflit familial, qui dépasse d’ailleurs largement ce cadre, compte tenu de la personnalité du disparu ?

Lorsque le décès du défunt est survenu à compter du 17 août 2015, les règles applicables sont celles édictées par le règlement issu de l’Union européenne n° 650/2012 du 4 juillet 2012 (règlement voté par le Parlement européen) relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen. N’allez pas chercher une forme de validation du droit français, les règlements adoptés par les institutions de l’Union s’intègrent dans les droits nationaux de 25 États (Le Royaume-Uni, le Danemark et l’Irlande ont su échapper à ces règles, c’est donc que cela est possible même sans Brexit, mais c’est un autre débat…).

Ce règlement européen est applicable aux successions des personnes qui décèdent à partir du 17 août 2015 en permettant de planifier sa succession en choisissant sa loi nationale pour régir la dévolution de ses biens. À défaut de choix explicite, est applicable la loi de la résidence habituelle du défunt. Dans les deux cas, la loi applicable à la succession s’applique quelle que soit la nature des biens (meubles ou immeubles) et quelle que soit leur localisation (en France ou à l’étranger, dans un pays appartenant à l’Union, ou non).

En 2009, la Luxembourgeoise démocrate-chrétienne Viviane Reding, promotrice de ce texte, alors vice‑présidente de la Commission européenne, déclarait que 12,3 millions de personnes étaient susceptibles de décéder dans un État membre différent de leur État d’origine, et qu’en outre, environ 450 000 successions internationales étaient enregistrées chaque année, pour un montant estimé à 123 milliards d’euros. Ainsi, toute personne ayant des liens extérieurs à notre pays peut opter pour une résolution successorale issue d’un autre pays. Voilà une voie légale pour appliquer des lois, par exemple, où la femme n’a aucun droit… Or, chacun sait que de nombreux Français sont originaires de pays au sein desquels les femmes n’ont pas le droit d’hériter en présence, par exemple, de frères. Mais cette assertion nous éloigne de notre cas, même s’il fallait que cela soit dit, le règlement européen n’ayant pas été, on s’en doute, pour la famille Smet.

Ainsi, à compter du 17 août 2015, la loi applicable à la succession d’une personne décédée dans l’un de ces pays sera celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès. Peu importe le lieu de situation des biens, la loi désignée sera compétente pour régir l’ensemble de la succession. Par ailleurs, peu importe également la nationalité du défunt, puisque la succession sera régie de la même manière, qu’il s’agisse d’un ressortissant de l’Union européenne ou d’un pays tiers, non partie au règlement européen. Le règlement européen est universel quant à son application… Ce qui ne gênera donc nullement la veuve Smet, bien au contraire.

Toutefois, la volonté personnelle des individus n’est pas laissée de côté puisqu’il sera toujours possible de désigner par testament l’application de sa loi nationale. Il s’agit d’une faculté importante permettant de faciliter certaines successions dans lesquelles seul le défunt vivait à l’étranger. En outre, la reconnaissance des testaments par les différents pays mis en cause dans la succession sera facilitée.

Une dernière question reste à soulever. En effet, une faculté de taille s’offrira aux individus souhaitant préparer leur succession. En l’état actuel du droit français, il n’est pas possible de déroger à la réserve héréditaire, sauf rares cas d’enfant indigne. Ici, le droit étranger (américain ou autres) permet, on le voit, de supprimer le droit national au profit d’un droit étranger, certes celui de la résidence, mais on sait que, dans certains pays, c’est un droit lié à la nationalité (et que la double nationalité n’existe pas, suivez ma pensée…).

Avec l’entrée en vigueur du règlement européen, il suffira pour les personnes concernées de s’installer dans un pays où la réserve héréditaire n’existe pas pour contourner cette obligation. Cela permet alors de déshériter, en toute légalité, un ou plusieurs de ses héritiers.

Au-delà du cas d’espèce Hallyday, cette affaire familiale nous concerne en dehors de tout voyeurisme franco-français. Les règles de l’Union européenne, même non transposées dans les droits nationaux, s’appliquent directement et automatiquement au cœur de nos droits ancestraux et s’opposent clairement à ces derniers. Qui l’a relevé ? Même nos biens immobiliers, ancrés sur notre territoire, peuvent se voir appliquer un droit étranger.

Et, entre nous, ce ne sera pas (souvent) le droit californien !

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