Ce lundi 19 dĂ©cembre 2016 restera comme un lundi noir, tristement marquĂ© par une vague dâattentats de Berlin Ă Ankara. Lâassassinat de 12 personnes dans la capitale allemande a pu paraĂźtre occulter, par un singulier effet dâoptique mĂ©diatique, celui de lâambassadeur de Russie en Turquie, AndrĂ©i Karlov, tombĂ© sous les balles dâun policier turc.
Que nous apprennent ces faits ? Rien que nous ne sachions dĂ©jĂ , Ă savoir que lâEurope nâen a pas fini avec le terrorisme mahomĂ©tan, dâune part, que la Turquie joue un jeu diplomatique des plus ambivalents en mĂ©nageant la chĂšvre europĂ©enne et le chou islamique, dâautre part. Or, est-ce, probablement, dans ce trouble jeu dâombres que se trame une nouvelle guerre froide.
Vladimir Poutine a vainement tentĂ© dâexpliquer que lâassassinat de son lĂ©gat relevait dâune entreprise de dĂ©stabilisation, pendant quâErdogan multipliait les dĂ©clarations de soutien Ă son homologue moscovite. Mais ni lâun ni lâautre nâignorent les dessous des desseins de chacun. Moscou est obligĂ© de compter sur Ankara dans le dossier syrien, quand le Grand Turc ne peut faire autrement que de se mĂ©nager ce partenaire incontournable qui sait tenir tĂȘte Ă lâUnion europĂ©enne et aux Ătats-Unis.
Poutine nâest Ă©videmment pas dupe du jeu turc en Syrie qui consiste moins Ă Ă©radiquer lâĂtat islamique et ses pseudopodes anti-Bachar El Assad, que dâen finir avec la lancinante question kurde. En atteste lâopĂ©ration Bouclier de lâEuphrate initialement dirigĂ©e contre les terroristes de Daesh sur le territoire frontalier, puis rapidement dĂ©viĂ©e pour endiguer la constitution dâun corridor kurde dans le nord de la Syrie et de dĂ©loger les Kurdes syriens de Manbij (Sputnik, 1er dĂ©cembre).
Dans son bras de fer avec Bruxelles, la Turquie sait quâelle fait figure dâĂ©pouvantail, posture qui nâest pas pour lui dĂ©plaire dâautant que lâUnion europĂ©enne, menĂ©e par lâAllemagne, sâest liĂ©e les mains Ă Ankara Ă propos de la crise des immigrants, prĂ©sentant, de ce fait, un dĂ©faut de puissance dans son imposante cuirasse technocratique. Sur les rives de la Volga, une prĂ©disposition culturelle Ă lâautoritĂ© conjuguĂ©e Ă une realpolitik faisant fi des bons sentiments droits-de-lâhommesques, inclineront Ă privilĂ©gier le virilisme anatolien Ă la miĂšvrerie Ă©molliente de lâOccident.
Il nâempĂȘche, et câest toute lâambivalence de cette diplomatie oĂč le double jeu et le double langage jouent un rĂŽle prééminent, entre nĂ©cessaire sauvegarde des apparences et prĂ©servation des intĂ©rĂȘts vitaux de chacun des « Ătats profonds », la Russie doit donner des gages Ă son opinion publique.
Ainsi, la levĂ©e des visas entre les deux pays a-t-elle Ă©tĂ© reportĂ©e sine die, la prĂ©occupation du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres Ă©tant centrĂ©e sur la protection des intĂ©rĂȘts et des ressortissants russes en Turquie. Il y a quelques mois, AndrĂ©i Karlov avait fait savoir son opposition Ă la libĂ©ralisation des visas, estimant que la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure de son pays Ă©tait loin dâĂȘtre satisfaisante, pointant implicitement, mais nĂ©cessairement, lâalliĂ© turc dont lâentrisme consulaire insistant pouvait sembler suspect.
Karlov mesurait-il lâimprudence dâun tel propos que chacune des parties pouvait interprĂ©ter et exploiter Ă son gré ? Les services moscovites pouvaient avoir un intĂ©rĂȘt Ă faire porter le chapeau Ă Ankara, la manĆuvre sâapparentant Ă un moyen de pression pour accĂ©lĂ©rer la rĂ©solution de la crise syrienne. De lâautre cĂŽtĂ© du Bosphore, on eĂ»t pu montrer quâon nâhĂ©siterait Ă reculer devant rien. MĂȘme le meurtre.
Dissuasion et terreur ne sont finalement que la poursuite de la diplomatie par dâautres moyens.
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Philippe Randa,
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