Richard Dessens et l’Europe
Richard Dessens, Docteur en Droit et diplômé de Philosophie et d’Histoire. Dirigeant de sociétés immobilières pendant 20 ans, puis conseil en entreprise et formateur des élus territoriaux pendant 10 ans. Enseignant (droit, économie, philosophie, géopolitique) en écoles préparatoires aux IEP, écoles de commerce et de tourisme (Bachelor et Master), et CNFPT depuis 12 ans. Créateur d’une compagnie théâtrale, guitariste, facteur de masques en cuir de comédie. Auteur de 5 livres, il vient de publier Henri Rochefort ou la véritable liberté de la presse aux éditions Dualpha.
- Quelle est votre position sur l’Europe ? Êtes-vous anti ou pro Européen ? Dans ce dernier cas de figure, êtes-vous pour une Europe fédérale ou une Europe de la coopération de nations souveraines, ou encore en avez-vous une autre conception ?
La survie de la civilisation européenne et de ses composantes, puis la reconquête de la place de l’Europe dans le monde, passent par la constitution d’une Europe fédérale des régions-nations (environ une centaine) et la disparition des États nés des idéaux rivaux économiques du XIXe siècle, après l’impulsion de la lente constitution de l’État français depuis le XIIe siècle dont l’objectif était alors de s’affranchir de la tutelle du Pape et de la « république chrétienne » européenne.
Cette évolution française est très significative d’une affirmation de souveraineté laïque face à la puissance spirituelle, avec des velléités séculaires, de la chrétienté, qui se voulait supranationale et européenne. Le Pape, successeur de l’empereur de Rome, représentait une autorité insupportable pour des royaumes naissants et balbutiants en quête de souveraineté, idée qui ne fut consacrée qu’au XVIe siècle. La lutte est millénaire entre l’idée d’une souveraineté européenne et celle d’une souveraineté des nations. Nations d’ailleurs fabriquées au fil des conquêtes et des usurpations, sources de guerres territoriales infinies.
Seule, la noblesse possédait alors un sentiment européen et ainsi transnational. Église et Noblesse – d’ailleurs longtemps opposée au pouvoir royal étatique et centralisateur –, représentent toutes deux les opportunités d’une Europe unie dans ses croyances, ses chefs et sa langue, le latin. Quoique l’on puisse penser, sur le fond, des effets dévastateurs, dans l’esprit européen, de la religion chrétienne, il convient de reconnaître le principe d’une autorité religieuse incontestable et intimement liée au pouvoir séculier.
Ainsi, les États européens, nés d’abord d’une volonté d’affranchissement d’une autorité papale, puis, au XIXe siècle d’une rivalité économique et colonisatrice, sont des créations factices, de circonstances, obéissant à des motivations de pouvoir local, politique ou économique et financier, et ayant des vocations expansionnistes génératrices de guerres intra-européennes. D’où la fameuse formule à l’emporte-pièce : « Le nationalisme c’est la guerre. »
La noblesse et l’Église furent deux fédérateurs puissants de l’idée européenne. L’une et l’autre disparues, du moins en tant que puissances politiques majeures, il convient de retrouver une nouvelle force fédératrice de l’Europe. Non pas un homme « providentiel », mais une idée et une puissante conviction. « La maison européenne » chère aux Russes, en est une ébauche peut-être, mais fondée sur les États. Le rétablissement des autonomies des régions-nations en est une autre, dans le cadre de la révolution anti-étatique qui ne peut avoir comme corollaire qu’un État central, fédéral, européen souverain et incontesté, porteur de l’idéal des valeurs de l’Europe.
- Quelle que soit votre conviction, considérez-vous que rien n’arrêtera désormais la construction européenne sous sa forme actuelle ou sous une autre – que vous le déploriez ou l’espériez – ou, au contraire, que son échec est prévisible, voire même inéluctable ?
Toute la question repose sur une vision optimiste ou pessimiste de la problématique européenne. L’analyse objective de la situation actuelle fait craindre que la construction européenne telle qu’elle est aujourd’hui, s’effondre peu à peu au profit du regain des États-Nations. Ce retour en arrière est dangereux et est l’aveu d’un échec, sauf s’il est une condition préalable à un nouveau départ sur des bases nouvelles. Mais un « nouveau départ » dans ces conditions semble peu crédible et, au contraire, un repli des États sur eux-mêmes ne pourrait que favoriser un appauvrissement supplémentaire de l’Europe et en faire une proie encore plus fragile pour ses adversaires politiques ou économiques. L’Europe est déjà une terre de conquête insidieuse pour de nombreux peuples extra-européens depuis des décennies ; elle basculerait dans une « néo-colonisation » à l’envers d’un type nouveau si les États qui la composent s’isolaient demain, comme on peut en constater la tendance.
Les mouvements dits « populistes » européens livrent un combat dépassé et d’un autre âge. Ils sont même incapables de s’entendre et défendent farouchement des identités nationales totalement décalées dans notre monde. Il ne peut exister que deux types d’identité : l’identité européenne d’abord, celle qui rassemble les valeurs de notre civilisation européenne, et l’identité charnelle des régions, véritables patries des peuples européens. C’est cette idée qui devra prévaloir si l’on veut éviter le caractère inéluctable de l’échec européen. L’un des écueils essentiels réside dans la Russie, indissociable de l’Europe, mais puissance nationaliste avérée. Serait-elle prête à quelques aménagements pour se fondre dans une Europe des nations régionales ? Peut-être…
L’échec de toute construction européenne semble donc inéluctable sans prise de conscience des acquis singuliers de l’Europe par l’ensemble de ses peuples, et, d’autre part, sans union avec la Russie blanche.
- Que pensez-vous du Grand marché transatlantique (GMT), cette zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, actuellement en négociation ?
Dans la lignée de l’ALENA (USA, Mexique, Canada), puis du TPP (pays bordés par le Pacifique), le GMT ou TAFTA boucle la grande manœuvre d’encerclement et de verrouillage du monde par les USA, au centre de ces trois Traités. Le continent américain, l’Asie (hors Chine) et l’Europe deviennent alors la « chose » des USA au faîte de leur domination du monde dans cette gigantesque manœuvre en tenaille. TPP et GMT entraînent l’isolement de la Chine ; le renforcement consécutif du rapprochement Chine/Russie et quelques autres. Autrement dit, le risque d’un conflit mondial sur fond économique s’accélère. Ceci étant, l’engouement initial en 2015 des douze premiers signataires du TPP, semble se ralentir. Les négociations sur le GMT piétinent et certains États européens comme la Belgique font un peu de résistance. D’autres, comme la France, affectent d’en contester quelques mesures. Il est vrai que les conséquences de l’ALENA pour le Mexique ne sont pas convaincantes et incitent peu à étendre ce type de traité où l’économique impose sa loi au pouvoir politique.
Car c’est bien là le problème. Le GMT est le dernier clou du cercueil de la souveraineté politique de l’Europe. Il signe la mise à l’écart de la Russie, après que le TPP a isolé la Chine.
Si les USA, déjà maîtres des communications, imposent leur économie, et partant encore plus leur politique, au monde, on peut préparer la 3e Guerre mondiale.
- L’avenir de l’Europe consiste-t-il à s’amarrer aux USA ou plutôt à resserrer les liens avec la Russie ? Ou aucun des deux.
Notre monde connaît une mutation fondamentale depuis le début des années 1980 et celui de la mondialisation et de la globalisation financière. Dans le même temps l’URSS s’effondre, laissant un monde unipolaire au bon vouloir des USA. Troisièmement, les anciens pays de la Conférence de Bandoeng, rebaptisés « pays non-alignés », pour un certain nombre anciennes colonies européennes, accèdent au rang de « pays émergents » en plein essor. Quelle redistribution du jeu mondial, de ses équilibres, ou déséquilibres, de la géopolitique. « New deal » fondé exclusivement sur des ressorts économiques et financiers, et donc fragile sur le long terme. La mondialisation ressemble plus à un « coup » qu’à la mise en œuvre d’une véritable réorganisation du monde. Certains ne s’y sont pas trompés d’ailleurs, au premier rang desquels, les acteurs de l’islamisme politique (ou radical) d’Al Qaïda puis de Daesh, et de beaucoup d’autres. La Chine, de son côté, qui tient enfin sa revanche sur les « Traités inégaux » du XIXe siècle et les humiliations subies jusqu’à Mao et sa reprise en main brutale de la Chine.
La mondialisation n’est pas une fin, il faut en être absolument convaincu, mais une manipulation ponctuelle économique et surtout financière sans lendemain politique structuré. Le problème réside donc dans « l’après-mondialisation » et le chaos qui risque de s’ensuivre.
Comment, dans ce nouveau contexte incohérent et déboussolé, l’Europe peut-elle continuer à honorer des alliances nées en 1945, sur les ruines de Berlin et du national-socialisme, puis sur le danger communiste ? Éternelle reconnaissance de 1945… ! Hitler, Staline, Khrouchtchev et tous les autres sont morts depuis longtemps ! Le monde a changé. Mais pas la politique européenne !
Il est grand temps de le comprendre et d’adapter nos politiques aux nouveaux enjeux. Les USA sont devenus un danger pour notre monde. Rempart militaire ? Contre qui ? Les Chinois à Paris ? Les Russes envahissant l’Europe ? L’Inde déferlant sur… quoi d’ailleurs ? Non, les véritables dangers de notre monde sont démographique, écologique et économique. Bien sûr, il ne faut pas être naïfs et il convient de s’armer contre de nouveaux déferlements migratoires aux différentes causes. De s’armer et de s’organiser aussi. La guerre n’est pas une fin. Mais l’Europe doit s’armer et atteindre sa souveraineté militaire au plus tôt, sans l’appui des USA, appui toujours aléatoire d’ailleurs en fonction des intérêts prioritaires des Américains.
L’alliance avec la Russie est une priorité, mais n’est possible que sans notre allégeance aux USA. Alliance de puissance à puissance. Pour cela aussi, il faut une Europe politique unie et déterminée dans ses valeurs et ses choix.
- Qu’est-ce que l’Europe signifie pour vous ? Un rêve ? Un cauchemar ? Une nécessité géopolitique ? L’inévitable accomplissement d’un processus historique ? La garantie d’une paix durable pour le Vieux continent ? Ou rien du tout…
Europe : le rêve du « rêveur casqué »… du casque d’Athéna aux emblèmes interdits. Europe, rêve millénaire, mêlant le mysticisme naturel des dieux païens, aux sangs répandus sans cesse des peuples d’Europe. Le rêve d’un nouveau Taureau blanc qui viole l’Europe pour l’unir à nouveau.
Le rêve de renouer avec les valeurs de l’Europe et la puissance de son rayonnement international, véritable nécessité géopolitique qui doit s’associer avec une communauté de destin avec la Russie. « Paix impossible, guerre improbable » proclamait Raymond Aron en 1948. L’union de l’Europe peut être un rempart ou un retardateur à des guerres qui n’ont jamais été improbables, mais auxquelles nos valeurs pourraient mieux résister que dans la déliquescence des beaux sentiments des européens de Bruxelles. Penser que la guerre n’est plus possible est une vanité « droit-de-l’hommienne » de démocrates libéraux. Au contraire préparons-nous à une guerre probable en nous unissant : c’est la seule manière de garantir la paix (Si vis pacem para bellum)
L’Europe de la repentance doit cesser de baisser la tête en baissant sa garde. C’est bien là l’objectif des fossoyeurs de l’Europe – à l’intérieur plus encore qu’à l’extérieur – qui tentent d’affaiblir l’Europe en la culpabilisant selon les bons préceptes chrétiens, en préparant son sol à se soumettre à d’autres valeurs, d’autres cultures, d’autres continents. Se soumettre et disparaître donc.
Le rêve se mue en cauchemar. Le poids géopolitique de l’Europe devient insignifiant, le centre du monde s’étant déplacé en Asie. Certains affirment que les puissances politiques suivent la course du soleil à travers le temps, avec les océans à leur centre. La Méditerranée fut le centre du monde avec Rome. Puis l’océan Atlantique à partir de 1492 signa la domination de l’Europe puis de l’Europe et des Usa sur l’autre rive… Depuis les années 1980, le Pacifique devient le nouveau centre du monde. Course inéluctable pour une Europe, puissance engloutie et réduite aux dernières concupiscences de l’extrême pauvreté du monde ?
Là encore, le redressement de l’Europe passe par une prise de conscience quasi révolutionnaire qui seule, peut inverser la course à notre effacement définitif.
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.