15 août 2016

Régions, Nations et Europe

Par Richard Dessens

 

Le dernier éditorial d’Alain de Benoist dans la revue Éléments aborde les rapports entre « régions, nations, Europe ». Mais Alain de Benoist ne définit pas le concept de nation ni celui d’État. Il faudrait s’entendre : la Nation recouvre-t-elle les peuples des anciennes régions ou « pays », au sens où l’on parle de « nations » pour l’Écosse ou le Pays de Galles, nations équivalentes à l’actuelle Occitanie, à la Bretagne ou à l’Alsace. Ou alors est-elle une création politique de l’instauration de l’État, et on évoquera ainsi le concept global politico-juridique d’État-Nation ?

La lente formation de l’État depuis environ le XIIIe siècle n’a pu se faire qu’au détriment des peuples-nations. Le slogan de la première unité « nationale » balbutiante à Bouvines en 1214 est une imposture historique rétroactive pour les besoins de justifications de cette « nation » imposée par la Révolution jacobine de 1789 au nom d’un État Léviathan cher à Hobbes. Quel sentiment « national » chez nos ancêtres des Pays Gascon, Lorrain, Provençal… autre que celui du peuple gascon, lorrain ou provençal ?

Pays de droit coutumier au Nord, de droit romain au Sud ; langue d’oïl et langue d’oc, multiplicité des dialectes et patois écrasés eux aussi par l’État, détenteur du monopole de cette violence dite légitime contre les peuples asservis dans leurs coutumes, usages, droit, vivre-ensemble, mentalités, ordre social, etc. L’image de la blouse grise imposée avec la langue « française » par la IIIe République au nom de l’égalité nivelante et destructrice des identités, est significative de l’imposture d’une Nation française créée pour les besoins d’un État français centralisé.

La Nation n’existe pas en tant que réalité sociologique, populaire, identitaire. La fameuse phrase qui invoque ces « quarante rois qui en mille ans firent la France » est également un travestissement de la réalité par un usage abusif des mots et des concepts.

En réalité, ces « quarante rois » ont recréé l’idée de l’État et d’une puissance qui se voulait à l’origine une « rénovation de l’Empire » romain, et un contre-pouvoir à la République chrétienne d’une papauté qui se voulait l’héritière de Rome (les juristes de Philippe le Bel ont largement œuvré en ces deux sens).

C’est le débat théologico-politique du Moyen Âge qui est à l’origine de cet État qui devait peu à peu se légitimer sur une Nation fictive et imposée, justificatif romantique au XIXe siècle du Droit de l’État.

La souveraineté se situe dans les régions (comme l’Écosse ou la Catalogne le revendiquent d’ailleurs), seules Nations identitaires, et non dans les États dont il ne reste pas grand-chose d’autre que l’illusion d’avoir été. La « Nation française » correspond-elle encore à une unité quelconque lorsque l’idée de « nationalité » n’est qu’une démarche administrative accordée à n’importe qui, d’où qu’il vienne, quel qu’il soit ?

L’idée d’être « français » n’a que deux siècles et a été martelée par la Révolution, son héritier l’Empire et les quatre républiques successives. Serait-il iconoclaste d’en débattre sereinement ?

La Nation possède un fondement culturel, la Patrie un enracinement charnel, l’État, simple délégation de la souveraineté des peuples, en est l’habillage juridique nécessaire. Les trois sont indissociables et leur partition ne peut qu’entraîner la perte de tous repères.

Dans ces conditions, et d’autant plus dans le monde globalisé qui est le nôtre, les États-Nations du XIXe siècle sont dépassés et inaptes à lutter pour des intérêts qui sont eux-mêmes délégitimés et délaissés par les peuples qu’ils recouvrent arbitrairement.

Dans ces conditions, seule une puissance civilisationnelle peut rivaliser avec les géants du monde dans une structure politique régalienne supra régionale investie des missions essentielles de sécurité de l’Europe ainsi que de la préservation des principes fondamentaux de sa civilisation. Là est le principe de subsidiarité bien compris.

Peut-on être encore « nationaliste » ou même « patriote français » autrement que par réflexe éducatif des héritiers du Mallet-Isaac ? Le plus curieux étant que ce sont le plus souvent des hommes de gauche qui font largement appel à la nation et à la Patrie d’une voix chevrotante sans oublier cette fameuse « unité nationale » qui les accompagne naturellement. Mais les vieilles recettes politiciennes du passé récent ont-elles encore cours aujourd’hui ?

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