François Marchand et l’Europe
François Marchand « a passé une quinzaine d’années au sein de l’administration centrale du ministère du Travail », dont il a démissionné pour se consacrer à l’écriture. Il connaît bien certains rouages des sphères administratives et politiques et se veut satiriste plutôt que pamphlétaire. Il a publié : L’Imposteur, Le Cherche-Midi, 2009, Plan social (prix du roman français) Le Cherche-Midi, 2010, Un week-end en famille, Le Cherche-Midi, 2012, Cycle mortel, Écriture, 2013.
Pour son entretien sur EuroLibertés après la publication de son recueil de nouvelles politiquement incorrect Enfilades (Le Rocher, avril 2016), cliquez ici.
Quelle est votre position sur l’Europe ? Êtes-vous anti ou pro Européen ? Dans ce dernier cas de figure, êtes-vous pour une Europe fédérale ou une Europe de la coopération de nations souveraines, ou encore en avez-vous une autre conception ?
S’il s’agit de l’Europe en tant qu’Union européenne, c’est-à-dire une manière comme une autre pour les bureaucrates de s’octroyer de gros salaires (expert détaché auprès de la représentation de son pays, cadre de la commission, député européen, etc.) tout en se retranchant, pour justifier leur existence, derrière un discours creux sur l’Europe qui est exactement équipollent à celui que l’on retrouve sur la scène nationale autour des « valeurs » de la République, il va de soi qu’il est difficile d’être « pour ». Cependant, le principal reproche qu’on lui fait, celle d’être « libérale », ou « uniquement économique », est à mon avis erroné. J’aimerais bien que la Commission européenne soit uniquement intéressée par le libéralisme et l’économie. Cela a d’ailleurs donné d’assez bons résultats dans le passé, du Traité de Rome jusqu’aux années quatre-vingt : le grand marché européen a permis l’émergence de grandes entreprises françaises (pour ceux qui en doutent, observez l’état des entreprises françaises en 1958). Si l’Union européenne était uniquement « technicienne » aujourd’hui, jamais la Grèce n’y serait rentrée, et jamais en tout état de cause elle n’aurait rejoint l’euro. Le choix de l’accepter dans l’euro est une décision purement politique, non économique. Donc, le principal défaut aujourd’hui de l’Union européenne est justement de se mêler de politique.
En tout cas, l’actuelle Union européenne donne une leçon importante à ceux – dont je ne fais pas partie, vous l’aurez compris – qui souhaitent construire une Europe politique : le principal défaut du processus de prise de décision dans l’actuelle Union européenne est la part exagérée donnée aux petits pays. Et d’ailleurs aux politiciens de ces petits pays. Songez à l’insolence du Luxembourgeois Juncker, issu d’un pays qui aurait peine à constituer un département français, lorsqu’il s’adresse à la France. Et c’est un autre Luxembourgeois, Santer le bien nommé, qui a été président de la Commission (c’est-à-dire le poste le plus important) pendant quatre années avant d’être contraint à la démission. C’est extravagant. Observez le poids du vote des petits pays dans les décisions qui relèvent de la majorité qualifiée. Cela signifie que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la France vont devoir s’agenouiller devant, par exemple, les Pays-Bas, c’est-à-dire en fait un pays qui n’existe pas, qui n’a jamais existé sur le plan géopolitique. Et plus le pays est petit, plus leurs représentants sont arrogants, le meilleur exemple étant la Tchéquie.
L’Europe politique devrait donc être dirigée par un nombre très réduit de grands pays. Libres ensuite aux petits états, dont la principale contribution à l’Histoire européenne est de provoquer des guerres régionales ou mondiales, de s’agréger à la structure ainsi conçue, sans aucun droit dans le processus de décision.
Bon courage donc aux partisans d’une Europe politique.
Quelle que soit votre conviction, considérez-vous que rien n’arrêtera désormais la construction européenne sous sa forme actuelle ou sous une autre – que vous le déploriez ou l’espériez – ou, au contraire, que son échec est prévisible, voire même inéluctable ?
Vladimir Bukovsky a merveilleusement répondu à cette question dans son ouvrage : « L’Union européenne : une nouvelle URSS ? » Il y explique notamment que l’Union Européenne, comme l’URSS, est condamnée à s’étendre indéfiniment. Lorsque l’extension s’essouffle, ce qui se produit aujourd’hui, elle s’écroule. D’un coup d’un seul.
Que pensez-vous du Grand marché transatlantique (GMT), cette zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, actuellement en négociation ?
Les deux zones étant déjà les premières partenaires l’une pour l’autre, ce traité ne prévoit pas de bouleversement majeur, hors l’apparition d’une procédure de résolution des conflits et l’abaissement éventuel de quelques barrières réglementaires. Sur ces dernières, j’ai du mal à comprendre tel politicien de gauche (mais il pourrait être au Front national car le discours est le même) hurler contre le « poulet au chlore » américain. Apparemment, les Français sont prêts à mourir pour leur poulet. Ils ne doivent pas en manger souvent, alors. Ce qui n’est pas très étonnant vu les prix pratiqués. Même chose pour le cinéma ; les gars qui ont peur pour nos cinéastes n’ont pas dû voir de film français depuis bien longtemps. Je ne vois pas ce qu’on perdrait à la disparition de notre actuelle filière avicole ou cinématographique, les deux étant d’ailleurs assez comparables : très coûteuses et non comestibles. Il y a de toute façon des invasions qui m’inquiètent beaucoup plus aujourd’hui que celle du poulet américain.
Ce traité ne mérite donc pas tellement qu’on s’y intéresse : nous avons en effet affaire à un texte négocié par des méga bureaucrates américains et européens. Un bureaucrate simple est quelqu’un qui rêve de voir son nom inscrit sur une loi, un décret ou une circulaire. Un super-bureaucrate bruxellois (fonctionnaire de la commission, par exemple) rêve de faire adopter une directive ou un règlement. Et le méga bureaucrate négocie au nom de l’Union européenne ou des Etats-Unis en rêvant à la conclusion d’un accord international. Mais le contenu et l’objet de ces textes n’ont absolument aucune importance. Ce traité TAFTA relève de la cuisine interne des méga bureaucraties. Elles ont d’ailleurs du mal à trouver quelque chose d’un peu neuf à mettre dedans. Par exemple, la procédure de résolution des litiges, qui pour des raisons étranges suscite un certain émoi en France, existe déjà depuis belle lurette à l’OMC sous le nom d’ORD (Organe de Règlement des Différends).
Si donc les négociations sont secrètes, ce n’est pas parce qu’il y a un complot contre les peuples, c’est parce qu’elles n’ont aucun intérêt. C’est un peu triste de voir tous ces gens se « mobiliser » contre le TAFTA, c’est-à-dire en fait contre des mégas-bureaucrates qui se nourrissent de papier et de rien d’autre, et qui ont déjà oublié ce qu’ils viennent d’écrire : demain, ils pondront un texte sur le réchauffement climatique. Aux Etats-Unis, d’ailleurs, tout le monde se moque éperdument de ce traité. En matière commerciale, ils ont bien d’autres chats à fouetter avec la Chine.
La vérité est qu’il n’y a pas d’obstacles réglementaires aujourd’hui à l’activité des entreprises Américaines dans l’Union européenne et vice-versa. On cite souvent à ce sujet le Buy American Act comme exemple de l’arbitraire américain envers nos entreprises, mais la France en est exemptée depuis la conclusion d’un accord bilatéral en date du 22 mai 1978. Restent toutefois quelques dispositions comme les Appropriation Acts, dérogatoires à l’accord bilatéral cité plus haut, mais depuis quarante ans, je n’ai trouvé que deux cas d’entreprises français évincées d’un marché sur le fondement de mesures protectionnistes (l’une d’entre elles étant Zodiac). C’est donc très marginal. L’Union européenne dispose d’ailleurs elle-même d’un arsenal réglementaire protectionniste comparable (la directive 2004/17) qui ne semble guère appliqué par les états membres. Complexes, contre-productives et souvent absurdes, ces mesures protectionnistes (très critiquées aux Etats-Unis) mourront d’elles-mêmes faute d’être appliquées.
L’avenir de l’Europe consiste-t-il à s’amarrer aux USA ou plutôt à resserrer les liens avec la Russie ? Ou aucun des deux.
La question est plutôt de savoir si ces deux puissances ont une quelconque envie de nous remorquer. Que l’Europe ait pu constituer un enjeu convoité dans le passé, certainement. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. L’Europe est vue désormais comme un danger par les Puissances, du fait de son instabilité et de son évolution démographique.
Pour l’instant, nous sommes « amarrés » aux Etats-Unis, notamment par le biais de l’OTAN, organisation que nous critiquons – à juste titre – sans jamais avoir été capable d’en sortir (et de Gaulle, contrairement à ce que je lis parfois avec stupeur, moins que tout autre). Hé bien, les Etats-Unis vont nous rendre service un jour ou l’autre en la remplaçant par un système beaucoup plus flexible d’alliances bilatérales avec des niveaux d’engagement réciproques très différents. Vu des Etats-Unis, l’OTAN est de toute façon aujourd’hui une coûteuse aberration. Quel intérêt d’ailleurs à être allié à la Hongrie dans la perspective de grandes manœuvres navales en mer de Chine ? Sans parler qu’au moment où vous allez affronter la Chine autour des îles Paracels, un excité comme Erdogan peut provoquer une guerre avec la Russie à tout moment. Guerre dans laquelle vous serez juridiquement tenus de participer aux côtés de l’excité, à un moment que vous n’aurez pas choisi.
Fait étonnant, la seule fois où tout le monde a été d’accord avec Trump pendant cette campagne houleuse, c’est quand il a qualifié l’OTAN d’« obsolete ».
Reste tout de même pour la France le cas non réglé de notre arme atomique : il est entendu que nous sommes trop couards pour jamais l’utiliser pour notre défense (à partir du moment où on renonce à faire des essais dans un désert aquatique, il va de soi qu’on renonce à l’avance à l’utiliser pour de vrai), mais il est à craindre désormais qu’elle tombe un jour en de bien plus mauvaises mains. C’est un crève-cœur, s’agissant d’une telle merveille technologique, mais il semble nécessaire aujourd’hui de démanteler nos SNLE.
Qu’est-ce que l’Europe signifie pour vous ? Un rêve ? Un cauchemar ? Une nécessité géopolitique ? L’inévitable accomplissement d’un processus historique ? La garantie d’une paix durable pour le Vieux continent ? Ou rien du tout…
L’Europe appartient aujourd’hui aux livres d’Histoire : elle en composera d’ailleurs les plus belles pages, avec notamment la plus grande civilisation qui ait jamais vu le jour : l’Occident médiéval.
Il faut noter qu’apparemment la France est la première à disparaître puisque le nombre d’émigrés ne cesse d’augmenter : on est proche aujourd’hui de 100 000 par an. Fait nouveau, ces expatriés partent sans idée de retour, alors qu’auparavant, il s’agissait de cadres supérieurs qui, après quelques années d’expérience internationale, revenaient au bercail. En témoigne d’ailleurs la fin programmée du statut d’« expat » dans les grandes entreprises, qui désormais se contentent de proposer des contrats « locaux » à des conditions très inférieures à ce qui se pratiquait dans le passé. Elles ont d’ailleurs tellement de candidats au départ qu’elles n’ont plus à faire d’efforts. Cette émigration accentue encore les effets du remplacement de population. Ne restent plus sur place, en caricaturant un peu, que les soixante-huitards pas encore morts et les immigrés. Et ce spectacle navrant incite encore plus les jeunes diplômés à se barrer.
L’Europe est donc moribonde, mais l’esprit européen continuera de vivre ailleurs qu’en Europe : l’Argentine et l’Uruguay sont européennes (grâce surtout à l’immigration italienne). Les États-Unis en partie (il y a là-bas des communautés européennes de toute sorte qui continuent d’y parler leur langue depuis plusieurs siècles : Basques, Finnois, Alsaciens, etc.). Et peut-être aussi certains pays européens parviendront-ils à sanctuariser leur territoire : la Hongrie sera-t-elle par exemple le seul pays européen à survivre ? Je le leur souhaite de tout cœur. Mais ils n’aiment pas trop les Français depuis le funeste traité de Trianon, donc je ne suis pas certain qu’ils accepteraient de nous donner asile le moment venu.
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.