23 décembre 2016

Devenir européen

Par Richard Dessens

« L’état de paix n’est pas un état de nature, lequel est au contraire un état de guerre, c’est pourquoi il faut que l’état de paix soit institué », écrivait Emmanuel Kant.

Or, ajoutait-il, l’état de nature désigne les rapports non-juridiques des États entre eux, état dans lequel il n’existe pas d’instance supérieure pour régler les conflits. Mais n’y a-t-il d’instance supérieure que dans un corpus juridique ? Le sentiment d’appartenance à la même civilisation, aux mêmes valeurs, au même vivre-ensemble, à la même histoire, aux mêmes clans, n’est-il pas le réel fondement du Droit ?

En effet, l’état de nature désigne des rapports non juridiques, mais seulement au sens du droit positif moderne, fruit de l’autonomie de la volonté humaine. Pour Kant, le droit ne peut être que positif, par opposition au droit naturel qui, justement, régit l’état de nature, droit que Kant réfute au nom du déterminisme de l’homme, supérieur aux lois naturelles. Ainsi, au contraire, l’état de nature obéit aux lois naturelles et sacrées qui dominent l’être humain, simple partie du Tout universel naturel.

Mais les lois naturelles ne sont pas celles du droit du fort contre le faible, contrairement à ce que les tenants du droit positif serinent, avec succès, depuis plus de deux siècles. La Nature est d’abord une recherche d’harmonie qui ne connaît pas de violence volontaire ou sans motif. Lorsqu’elle gronde, c’est pour rétablir un déséquilibre, éliminer un danger qui menacerait son harmonie. Lorsqu’elle privilégie la survie du plus fort, c’est aussi pour pérenniser les éléments qui la composent, en éliminant ceux qui pourraient mettre en danger le développement ou l’épanouissement d’un groupe animal ou végétal. Autrement dit, la violence de la Nature est une violence nécessaire qui n’a pour objet que de la magnifier et de la rendre plus harmonieuse encore, qui n’a pour but que sa propre survie. L’animal tue pour vivre, pas par plaisir ou sadisme. Certains végétaux en détruisent d’autres pour mieux se développer. L’immense chaîne naturelle est composée de maillons forts et de maillons faibles, tous étant liés dans un système complexe dont l’équilibre est toujours précaire.

On ne peut recevoir les idées de Kant qui ne sont éclairées que par la suprématie d’un droit positif naissant et à la mode de son temps. Ce droit positif qui peu à peu a fait de l’homme une sorte de dieu, affranchi des impératifs de la Nature éternelle, cet individualiste dont la vanité a largement dépassé sa médiocrité.

La Paix européenne, souvent recherchée, jamais trouvée, a été l’une des promesses, des motifs ou des prétextes de ses « pères fondateurs » des années 1950. Sous le joug d’un droit économique et financier très « positif ». Si la paix européenne, c’est la jouissance financière et le développement progressif de la pauvreté, alors le droit positif est bien pire que le droit naturel : il est vraiment la loi du plus fort, l’« homo oeconomicus », sur le plus faible, l’« homo politicus ».

Rome proclamait : « Si vis pacem para bellum » (Si tu veux la paix prépare la guerre), tout le contraire de Kant. Il ne peut y avoir de paix durable sans un idéal politique et civilisationnel qui unifie les peuples de mêmes cultures. Cet idéal ne peut être porté par quelques discours ou réflexions polémiques. C’est toujours malheureusement dans la violence que les grands évènements sont nés. La paix a un prix : la guerre. La domination celtique de l’époque de la Tène au Ve siècle (av. JC), Rome, Charlemagne, Napoléon, Hitler, ont tous cherché un devenir européen unifié et puissant. Ces guerres ont presque toutes échoué dans leur finalité de paix lointaine. Seule Rome y a réussi partiellement pour une Europe méditerranéenne augmentée.

Elles ont même parfois aggravé la situation de l’Europe, en la morcelant, en la dispersant, en montant les peuples les uns contre les autres, en favorisant l’émergence ou le renforcement des États, à l’encontre des intérêts vitaux et fondamentaux de la civilisation européenne et de ses identités. Ce fut le cas après Charlemagne et surtout le traité de Verdun en 843 ; après Napoléon et le traité catastrophique de Vienne en 1815 ; sans parler de la dislocation géographique et politique de 1945. Toujours au nom d’une paix parfois honteuse survenant après des guerres terribles.

« Paix improbable, guerre impossible » proclamait Raymond Aron en 1948. Piètre bilan désabusé dont le second terme n’est plus une évidence aujourd’hui. La paix ne peut-elle pas être plus terrible que la guerre ? Cette paix interminable qui broie et détruit les peuples lentement et insidieusement au nom des dieux financiers et de l’individualisme. Cette paix qui renforce les souverainetés d’États isolés que l’on prétend unir autour de projets économiques et financiers en balayant et au mépris de l’essentiel qui fait le devenir harmonieux des peuples : leurs valeurs civilisationnelles et leur identité historique et culturelle.

Les intérêts de la religion chrétienne, puis ceux des impératifs économiques nouveaux ont empêché depuis deux mille ans de faire une Europe politique. Mais qu’on le veuille ou non, c’est probablement une guerre nouvelle qui guette l’Europe, une guerre inédite sûrement, à l’aune des impositions de notre modernité et de la géopolitique dominée par les USA. Peut-être cette guerre-là verra-t-elle enfin les vainqueurs changer de camp et fera-t-elle naître une Europe fière de ses racines et de son identité.

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Philippe Randa,
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