1 juillet 2019

À l’écoute de Stendhal

Par Euro Libertes

Toutes choses égales par ailleurs, j’ai toujours préféré Henri Beyle à Stendhal son double. Allez donc savoir pourquoi. Peut-être parce que le premier était plus sincère et plus émouvant que le second, un tantinet prétentieux, soucieux de paraître autrement qu’il n’était, et surtout fort prudent dans ses rapports avec les autorités du moment. Ne suspendit-il pas la parution de son Lucien Leuwen, abandonné en l’état, au minable motif de ne pas indisposer le pouvoir en place. Il n’en demeure pas moins un écrivain talentueux mais aussi un observateur au regard pénétrant.

Portrait de Stendhal par Ducis, 1835, Bibliothèque Sormani, Milan. Portrait mélancolique.

Portrait de Stendhal par Ducis, 1835, Bibliothèque Sormani, Milan. Portrait mélancolique.

C’est ainsi que, dans ce même Lucien Leuwen, il fait dire à l’un de ses personnages ce qui effectivement n’aurait pu passer inaperçu dans le microcosme politique de son époque : « Mon fils, quand vous croiserez un ministre, prenez-le systématiquement pour un imbécile, ces gens-là n’ont pas le temps de penser. »

Notre adepte de l’égotisme, s’il vivait de nos jours pourrait ajouter « ils n’ont pas le temps de se cultiver », lui qui soulignait déjà de son temps que « la France (était) un pays où il (était) plus important d’avoir une opinion sur Homère que de l’avoir lu. »

Pareille affirmation serait-elle déplacée au crépuscule de la Ve République, quand un membre du gouvernement confond l’apôtre Thomas le Didyme et Thomas d’Aquin ou qu’un autre affirme que les veuves vivent plus longtemps que leur conjoint ? Et que dire d’un chef d’État qui, livide, échevelé au milieu des tempêtes, plante la Guyane en plein milieu d’une mer des sarcasmes plus déchaînée que pacifique.

Pierre Dac, catégorique, affirmait en son temps que « parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler étaient les deux principes majeurs de ceux qui auraient mieux fait de la fermer avant de l’ouvrir ». Certes, mais Stendhal, beaucoup plus sournois, considérait que « la parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée ».

Parole !… Parole !… Parole !… Il n’empêche que le dandy grenoblois considérait la langue comme « le premier instrument du génie d’un peuple », et que « la vraie patrie est celle où l’on rencontre des gens qui vous ressemblent ».

Nos actuels gouvernants auraient-ils l’impudence de le contredire au détour d’un pèlerinage à Saint-Denis sur le tombeau de nos rois, ou d’une expérience ethnologique dans le quartier de la Goutte d’Or ?

Sartre, l’intello qui courait après le prolo qui l’intimidait sinon l’effrayait, prétendait ne pas désespérer Billancourt, Nos gouvernements ne maîtrisant plus des événements qui les submergent, affectent de les précéder. Cocteau l’avait bien compris en affirmant « quand les événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ». Subterfuge bien ponctuel car pour Stendhal «à vouloir vivre avec son temps on meurt avec son époque ».

Notre président guérira-t-il de ses mains ointes, les écrouelles qui frappent l’ENA. À Jupiter ne plaise. Si la guérison de cette prestigieuse institution était attestée pourquoi ne pas soumettre à la réflexion de ses candidats quelques sentences stendhaliennes comme « Dans tous les partis, plus un homme a d’esprit, moins il est de son parti », ou encore : « Le meilleur régime politique est la monarchie absolue tempérée par l’assassinat. »

En cette période où nos politiciens, coureurs de dot, tentent leur chance auprès d’une Europe pour le moins décatie, je laisse à mon invité du jour le soin de conclure : « La chance s’attrape par les cheveux, mais elle est chauve. »

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