L’Europe, ce grand cadavre à la renverse
Réformer l’Union européenne. Tel est le nouveau mantra de la classe politique française qui, une fois n’est pas coutume, communie dans un bel unanimisme. De la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon au Front national de Marine Le Pen, tous plaident pour une refondation de l’Europe. Le FN, à la faveur du départ de Florian Philippot a même infléchi sa position originelle qui consistait en une logique de rupture avec l’Union européenne, notamment en prônant la sortie de la zone euro.
Récemment, le Président de la République, Emmanuel Macron proclamait la nécessité d’une « souveraineté européenne » et déclinait un patchwork de mesures, destinées, selon lui, à donner corps à cette souveraineté utopique : une « force commune d’intervention européenne pour 2020 », un budget de défense commun et une « doctrine commune pour agir » (?), une « académie européenne du renseignement pour assurer le rapprochement de nos capacités de renseignement », la création d’une « force européenne de protection civile mettant en commun les moyens de secours et d’intervention pour répondre aux catastrophes de moins en moins naturelles comme les séismes et les inondations » (sic !), un « office européen de l’asile et une police européenne des frontières », un « programme européen de formation et d’intégration pour les réfugiés », « une taxe sur les transactions financières », qui serait « affectée intégralement à l’aide au développement », un « ministre des finances de la zone euro », un « budget européen », une « agence européenne pour l’innovation », un « marché unique du numérique » (L’Action française 2000, 5 au 18 octobre 2017, n° 2963).
Bref, dans l’exécution de la partition européenne, la France marche comme un seul homme, sans fausse note, derrière Emmanuel Macron qui s’attribue de nouveaux lauriers, consécutivement à la réforme de la directive sur les travailleurs détachés. Enfonçant le clou dans la fabrication d’une opinion publique d’autant plus anesthésiée qu’elle ne comprend pas grand-chose au fonctionnement des institutions communautaires, le journal de référence Le Monde fait montre d’un suivisme servile en affirmant sur un ton triomphant que « c’est une victoire indéniable pour Emmanuel Macron. Sa première au niveau de l’Union européenne (UE). Les ministres européens du travail et des affaires sociales, réunis à Luxembourg lundi 23 octobre, ont fini par s’accorder sur une révision de la directive de 1996 sur le travail détaché. Une priorité de la présidence française, placée au cœur de sa stratégie réformatrice d’une “Europe qui protège” » (Le Monde, 23 octobre). La seule et réelle victoire aurait été d’abroger cette directive inique qui instaure de la concurrence entre travailleurs français et européens, là où, précisément, la discorde et la division fragilisent considérablement le tissu social en entretenant un chômage endémique.
Autre honteuse défaite, celle du report du vote sur les conditions de renouvellement de la licence du glyphosate, molécule omniprésente dans tous les pesticides utilisés à dose industrielle par les agriculteurs et qui se retrouve in fine dans nos assiettes, donc dans l’organisme humain, avec toutes les conséquences sanitaires qui y sont attachées (cancers, perturbations endocriniennes et chromosomiques, déséquilibres écosystémiques, etc.). Le gouvernement français, à la remorque de la Commission européenne, (selon Christophe Castaner, « un renouvellement de la licence du glyphosate pour quatre ans [permettrait] un consensus ») s’est trouvé incapable de s’opposer à Monsanto et à ses épigones empoisonneurs.
À cet égard, il existe chez certains une relative naïveté (confinant à l’amour déraisonné des théories abstraites) à considérer que l’Union européenne serait le dernier rempart contre la dictature du marché, à l’instar du professeur de droit, Éric Maulin qui, à la question de savoir « qui peut résister à la logique du marché ? », répond : « seule la puissance publique le peut. L’Union européenne est, pour le continent européen, cette puissance publique en formation » (Éléments, octobre-novembre 2017, n° 168). C’est oublier ou nier qu’elle s’est plutôt révélée le plus froid des monstres froids supra étatiques en déréglementant et en dérégulant à tour de bras, abattant les enclos nationaux et donnant libre cours à un capitalisme débridé de faire voler en éclat toutes les protections douanières et nationales. C’est que son libertarisme des échanges marchands s’est appuyé sur la libre circulation des personnes conçues non pas comme des citoyens ou ressortissants d’Etats-nations préexistants, mais comme des nomades consuméristes et hédonistes, tuant ainsi tout sentiment singulier d’appartenance à une communauté ethnoculturelle d’origine. L’immigrant s’est engouffré, quelques décennies plus tard, dans la brèche ainsi ouverte par une idéologie européiste qui ne concevait pas l’Europe autrement que comme le charnier de tous les ethno-nationalismes.
Dès les années 1920, Jean Monnet mûrissait cette Europe. Dès cette époque, « Monnet vit entre avions et hôtels, se pense en nomade attalien et rêve l’Européen du futur – vous, moi – à son image : déraciné, désaffilié, pacifié. Il aime la France comme l’aime de nos jours la classe politique : il a le patriotisme paysager. Il rêve d’un monde sans frontières, sans nations et sans Politique, où les gouvernements cèdent la place à une administration rationnelle. Monnet est à la géopolitique ce que Le Corbusier est au même moment à l’urbanisme : un architecte de la table rase habité par une vision glacée, géométrique et fonctionnelle du monde futur » (Christophe Baudouin, « Le grand malentendu », La Nef, octobre 2016).
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