Proudhon le nommait le Bayard de la Démocratie, Lamartine le soldat de l’impossible, Charles Hugo l’aventurier du devoir.
Ce livre, sous-titré l’indigné permanent, raconte la vie d’Armand Barbès. Il est écrit par Paul Tirand. Celui-ci est également l’auteur de deux autres biographies consacrées au communard Emile Digeon et à Edmond Combes. Il a aussi publié une Histoire de Castelnaudary (1815-1945) et deux ouvrages sur la franc-maçonnerie. Tirand nous permet de découvrir ou de redécouvrir cette austère figure républicaine, en s’appuyant sur des documents inédits provenant des Archives de Russie et des Archives de la Guadeloupe. Effectivement, Barbès est né à Pointe-à-Pitre en 1809 (1). De plus, la riche correspondance de Barbès avec Victor Schoelcher, Étienne Arago, Louis Blanc, Victor Hugo et bien d’autres, nous permet de mieux comprendre cette personnalité si particulière.
Barbès reste un révolutionnaire méconnu voire inconnu aux yeux du grand public. Son nom évoque surtout un célèbre boulevard parisien et une station de métro, plus qu’un irréductible militant républicain. Tirand dit que « Barbès est un acteur bien oublié des révolutions du XIXe siècle. Pourquoi est-il devenu un proscrit de l’histoire ? Peut-être parce que les circonstances ont fait qu’il soit passé à côté des événements marquants de ce siècle. Trop jeune et éloigné de la capitale, car il vivait dans un domaine proche de Carcassonne, il n’a pas participé à la Révolution de 1830 ; en 1848, sorti de prison alors que la République était déjà proclamée, il n’a été député de l’Aude que pendant trois semaines, enfin il est mort quelques semaines avant la chute de Napoléon III, après seize ans d’exil volontaire, car il n’avait voulu rien devoir à l’homme du 2 décembre. »
L’auteur propose une explication intéressante au sujet de cette figure délaissée : « Il n’y a jamais eu de formation barbesiste. Pourquoi n’a-t-il pas eu de disciples ? Peut-être parce que contrairement à d’autres militants, il n’a pas laissé d’écrits notables à l’exception d’un récit poignant intitulé “Deux jours de condamnation à mort” et surtout une correspondance importante dispersée dans différents fonds d’archives ». L’auteur avance une autre piste de réponse : « contrairement à la plupart des révolutionnaires, il vécut imprégné d’un certain déisme et d’un patriotisme qu’il mettait au premier rang de ses convictions de telle sorte qu’il n’a pas hésité à approuver certains aspects de la politique extérieure de Napoléon III. Le souvenir de cette attitude a pu heurter, dans les premières années de la Troisième République, les républicains anticléricaux et anti-bonapartistes ». La subtilité intellectuelle échappe souvent aux fanatiques.
D’un point de vue religieux, Barbès défendait un déisme voltairien, d’où l’hostilité et la méfiance de ses camarades révolutionnaires. Il n’était pas athée. De plus, l’indigné permanent croyait en l’immortalité de l’âme. Tirand précise : « faut-il rappeler que Barbès était un adepte de la doctrine du philosophe Jean Reynaud sur les migrations de l’âme immortelle à travers les astres… » (2).
Le combat pour la République démocratique et sociale fut l’essence de sa vie. Fondateur de sociétés secrètes d’inspiration maçonnique telles que : La Société Droits de l’Homme, La Société des Vengeurs, La Société des Familles, Barbès fut énergique et courageux. Il poursuivit inlassablement son but malgré ses échecs. Ainsi, il connut les geôles de différents régimes : celles de Louis-Philippe (de 1836 à 1837 et de 1839 à 1848), de la Deuxième République et du Deuxième Empire (de 1848 à 1854). Incorruptible à sa façon, il refusait toutes compromissions avec les autorités. De fait, il pestait quand ses proches écrivaient pour obtenir sa libération ou un aménagement de peine. À une amie, il expliqua que recevoir la moindre faveur de ses oppresseurs revenait en réalité à renier ses engagements. Cette intransigeance et « son esprit chevaleresque » donnèrent naissance de son vivant à un mythe Barbès. N’oublions pas que ses amis et ennemis lui reconnaissaient un grand charisme.
Pour autant, Barbès est-il passé à côté de sa vie ? D’une certaine manière oui, parce qu’il aurait pu être plus important à son camp et aux idées qu’il défendait, en laissant une véritable œuvre intellectuelle (3). D’un autre côté, et l’auteur défend cette position, Barbès resta droit dans ses bottes. Il ne renia jamais ses convictions, malgré la dureté de la vie carcérale et les trahisons. Cependant, son exil volontaire « n’avait pas effacé son souvenir. Ainsi, les deux ballons dans lesquels Gambetta et sa suite quittent Paris le 7 octobre 1870 pour aller organiser en province la défense nationale portent le nom d’Armand Barbès et de Georges Sand, avec laquelle il a entretenu durant son exil une correspondance importante. »
Presque cent cinquante ans après sa mort, personne ne se réclame de Barbès ou de son action. Lui, le fervent patriote mourra à l’étranger, plus précisément à La Haye le 26 juin 1870. Même s’il ne fonda pas une école de pensée ou qu’il n’eut pas de disciples au sens strict du terme, plusieurs personnalités contemporaines ont célébré sa mémoire. À ce titre, Proudhon le nommait le Bayard de la Démocratie, Lamartine le soldat de l’impossible, Charles Hugo l’aventurier du devoir. Ce XIXe siècle vit la diffusion des idées républicaines et démocratiques à laquelle Barbès participa malgré tout. Lire cet ouvrage permet de mieux saisir cet homme et son époque, faite d’illusions, de nostalgie et d’utopie.
Notes
(1) Son père, Basile Barbès fut chirurgien militaire, né à Capendu dans l’Aude, vétéran de la campagne d’Égypte, muté en Guadeloupe en 1801. Basile y resta jusqu’à la chute de l’Empire napoléonien.
(2) Pour rappel, Reynaud écrit Terre et ciel en1854. Il y posait le principe de la préexistence de l’homme et sa survivance dans d’autres astres. Prenant une liberté très grande sur le contexte religieux de l’époque, Reynaud renouait avec une sorte de druidisme, requalifiait l’opposition entre anges et démons et rejetait le dogme des peines éternelles. Un concile d’évêques réuni à Périgueux condamna les idées développées dans ce livre.
(3) Voici les deux seules œuvres de Barbès :
• Quelques mots à ceux qui possèdent en faveur des Prolétaires sans travail, Carcassonne, 1837
• Deux jours de condamnation à mort, Paris, 1842
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