10 novembre 2016

Le projet de loi Sapin 2 favorise-t-il la finance luxembourgeoise ?

Par Franck Buleux

Fréquemment considérée, à juste titre, comme le « placement préféré des Français », l’assurance vie représente, en encours, plus de 1 600 milliards d’euros.

Les souscripteurs assurés de ces contrats utilisent de plus en plus fréquemment le droit de « racheter », c’est-à-dire de retirer, en totalité ou partiellement, leur épargne. Juridiquement, ils bénéficient d’un droit de créance sur l’épargne investie. La démarche commerciale des distributeurs d’assurance inclut l’objectif de liquidité, parfois au même titre que l’aspect fiscal ou l’aspect patrimonial (placement hors succession). Cette disponibilité ne peut être qu’un argument supplémentaire à l’heure de la baisse du pouvoir d’achat des ménages, permettant ainsi aux épargnants de puiser dans leur épargne. Ainsi, cette liquidité est entrée dans les usages des consommateurs d’assurance vie.

Or, le projet de loi du ministre de l’Économie et des Finances, dit Sapin 2, augmente les pouvoirs du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), organisme public créé par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013. Celui-ci pourra désormais dans les contrats d’assurance vie et en cas de crise grave sur les marchés financiers (le souvenir de la crise de 2007-2008 est toujours présent) :

  • limiter temporairement l’exercice de certaines opérations sur la provision mathématique (épargne constituée), y compris l’acceptation de primes ou versements ;
  • suspendre ou restreindre temporairement la libre disposition de tout ou partie des placements effectués, rendant ainsi l’épargne indisponible ;
  • suspendre, retarder ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille des assureurs, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d’arbitrages ou la mise en place d’avances sur contrat.

Le Haut Conseil de stabilité financière pourra décider de ces mesures pour une période de trois mois, qui pourra être renouvelée, sans limites, en cas de nécessité. Il devra, certes, motiver publiquement sa décision.

Contrairement aux contrats retraite dits « tunnels » (sans valeur de rachat tout au long du contrat) comme les adhésions Madelin (pour les travailleurs indépendants), les PERP ou autres « article 83 du Code général des impôts » (épargne retraite au sein des entreprises) qui bénéficient de la possibilité de « rachats sociaux » (en cas d’invalidité du souscripteur, de surendettement, de liquidation judiciaire, de fin de droits aux allocations-chômage ou de décès du conjoint ou du partenaire pacsé), il n’en sera rien ici : l’indisponibilité du capital sera absolue.

Cette disposition (article 21 bis du projet Sapin 2) a pour but la protection des assurés en préservant la stabilité du système financier ou en prévenant des risques menaçant gravement la situation financière des organismes d’assurance ou d’une partie significative d’entre eux.

Bien évidemment, cette réglementation a d’abord pour origine la transposition de la directive européenne sur les exigences de fonds propres des assureurs, mais les textes prévoient que, pour traiter le risque systémique au niveau national, les États membres peuvent imposer des mesures nationales plus strictes que celles définies au niveau européen. Ce qui est le cas d’espèce.

En effet, nous sommes ici éloignés de l’harmonisation européenne.

Qui profitera de cette législation, déjà adoptée par l’Assemblée nationale ? Déjà, les assureurs vie de droit luxembourgeois avancent leurs pions. Il est, en effet, toujours possible, de souscrire à ce type de contrats qui bénéficieront du droit permanent de rachat (en droit luxembourgeois, le droit de créance du souscripteur en assurance vie est un droit « prioritaire »). Tout en restant résident français (il n’est pas question ici d’avantage fiscal lié à la résidence), le souscripteur assuré Français pourra donc bénéficier des avantages luxembourgeois.

Les assureurs français ne s’y sont pas trompés : les établissements du Grand-duché, qui comprennent de nombreuses filiales de compagnies d’assurance françaises – les derniers à s’être installés étant AXA et la CNP, filiale à 40 % de la CDC – continuent de voir affluer chaque année plusieurs milliards d’euros de cotisations. Il est utile de rappeler que la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est une institution financière française publique…

Ainsi, il est probable que la loi Sapin 2, une fois adoptée, ne vienne favoriser nos voisins européens en matière de souscription d’assurance vie. Décidément, la protection européenne via l’harmonisation des règles n’est pas à l’ordre du jour.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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