Je me souviens du temps ou Michel Rocard préfaçait l’ouvrage de Bernard Lambert, qui avait glissé, ce qui est assez dans l’ordre des choses, de la Démocratie Chrétienne dans le Marxisme. Rocard se voulait alors, dans le « Parti Socialiste Unifié », le rassembleur des diverses factions révolutionnaires, et en appelant dans cet avant-propos, les paysans à « sortir des formes de contestation tolérées par le Système », il montrait une voie insurrectionnelle, qui refusait tout accommodement avec le système en place.
J’allais le rencontrer, plus modéré, tenu en laisse par Mitterrand, en tant que ministre de l’Agriculture, étant moi-même président de la très réactionnaire Fédération Française de l’Agriculture. Je précise que quand je traite ainsi notre mouvement, c’est dans le sens que donnait au mot Jacques Bergier en écrivant : « La réaction ? C’est ce qui fait avancer les fusées ! »
L’entrevue que m’accorda le ministre fut presque cordiale. Il me déclara d’emblée
— Vous êtes catholique, je suis protestant, nous devrions donc nous entendre.
J’en étais moins certain, car le dossier que je présentais avait été férocement combattu par Jacques Chirac, qui préférait acheter les syndicalistes à vendre plutôt que d’affronter les invendus.
Soviétophile dans l’âme, il voulait absolument garder un monopole d’État sur l’élevage, en refusant aux éleveurs la liberté de pratiquer sur leurs bêtes les inséminations de leur choix, de même qu’en ne voulant reconnaître comme « représentative » qu’une seule organisation syndicale, celle qui planifiait à son gré la disparition des Agriculteurs. Mitterrand avait eu le mérite de « libéraliser » la représentation professionnelle, en reconnaissant la Fédération Française de l’Agriculture, Le Mouvement de défense des Exploitations Familiales (proche du parti Communiste) et les Syndicats de paysans travailleurs, crées par Lambert, qui allaient devenir la très socialiste Confédération paysanne.
Cependant, la loi sur l’élevage était restée inchangée, donc monopolistique, et la FFA subissait procès sur procès pour y contrevenir. Nos affrontements nombreux avec les forces de l’ordre, loin de nous décourager, nous avaient motivés davantage, et c’était donc le dossier sur la liberté des inséminations que j’entendais défendre devant le ministre.
Pour comprendre la situation, il faut savoir qu’Édith Cresson avait été chargée par Mitterrand du ministère de l’Agriculture ; elle avait pris de fermes dispositions à ce sujet.
C’est ainsi qu’à Bordeaux, sur une requête des communistes, elle déclara qu’elle Ministre, aucune expérience de « collectivisme » ne serait autorisée en France.
De même, traitant à Moscou de nos échanges avec ce pays, elle refusa aux entretiens la présence du fameux « milliardaire rouge » Doumeng, qui, jusqu’alors, faisait la pluie et le beau temps de notre commerce avec l’Union soviétique, par l’intermédiaire d’inter-Agra.
Mais la reconnaissance de la pluralité syndicale contrevenait à l’absolutisme de la FNSEA, de sorte que son Président François Guillaume décida de mobiliser le mouvement pour une gigantesque marche sur Paris.
Pierre Mauroy, alors Premier ministre, sacrifia Édith Cresson au profit de Michel Rocard, ainsi récompensé de s’être effacé, lors de l’élection Présidentielle, pour donner ses chances à François Mitterrand.
Avec franchise, Michel Rocard me déclara :
— Vous comprenez bien, Monsieur le Président, que j’ai été nommé pour recoller les morceaux laissés par Madame Cresson !
Ce repli devant les totalitaires ne me semblait pas de très bon augure… Et pourtant, après m’avoir écouté un bon quart d’heure sans m’interrompre, Rocard me félicita, disant qu’il n’avait point entendu de rapport plus clair et plus argumenté, de sorte qu’après avoir discuté de quelques points restés dans l’ombre il me dit :
— Je vous promets, Monsieur le Président, que la loi sur l’élevage sera réexaminée !
Je n’en croyais pas mes oreilles, d’avoir si vite réussi ce que mes prédécesseurs avaient tenté en vain. Cependant, ma joie fut de courte durée, car le secrétaire du Ministre, Monsieur Candiard, qui raccompagna notre délégation vers la sortie, tint à m’éclairer :
— Monsieur le Président, je vous avertis, Monsieur le ministre ne tiendra pas sa promesse !
Ébahi, j’objectai :
— Mais il me l’a promis !
— Oui, mais il ne peut pas changer la loi sur l’élevage !
— Et pourquoi donc ?
Candiard me regarda avec la sympathie de qui veut dissuader Don Quichotte d’affronter les moulins :
— Pourquoi ? Mais parce qu’il y a 50 hauts fonctionnaires qui s’y opposent !
Je lui objectai que nous ne céderions pas et que nous reprendrions le combat, ce à quoi il répondit, toujours avec une sympathie réelle :
— Et bien Monsieur le Président, vous allez souffrir !
Et ce fut vrai ! Quelques mois après ayant repris l’action syndicale, et étant sortis « des formes de contestation tolérées par le Système », J’étais emprisonné avec mes camarades de combat et Michel Rocard rassurait le monopole, en déclarant à Pau que la loi sur l’élevage ne serait pas changée ! L’échine de Michel Rocard n’avait pas résisté à la pression des 50 hauts fonctionnaires…
Curieusement, ce fut la cour de Bruxelles qui, quelques temps après, devait nous donner raison et libérer l’élevage français de ses nervis syndicaux. Mais la crapule professionnelle restait en place pour continuer à équarrir la paysannerie, et nous nous étions tellement endettés que le mouvement battait de l’aile et que mon jeune successeur dut passer le relais à la Coordination Rurale qui venait de se fonder, mais qui, moins offensive que nous, fut assez vite neutralisée.
Je n’ai pas eu le loisir de rencontrer à nouveau Michel Rocard, pour m’enquérir de l’État de sa colonne vertébrale. Peut-être d’ailleurs fut-ce cette souplesse qui amena le président à le nommer un peu plus tard Premier ministre.
Ayant dénoué sans trop de casse, la crise Calédonienne, il serait ensuite tenu par les socialistes comme un monstre mineur, mais sacré, donc payé pour remplir quelques postes inutiles.
Pourtant, l’homme était nettement plus intelligent et plus réfléchi que les crevettes roses de son parti. Il concevait jusqu’aux défauts organiques de notre république, et abordant le problème politique, il m’avait avoué :
— Vous comprenez bien Monsieur le président, que si nous avions eu une République Fédérale, la solution en Algérie, aurait pu être différente !
En cela, nous n’étions pas très loin l’un de l’autre, car je pense qu’une « République française d’Algérie » nous eut évité et la honte de l’abandon et l’invasion migratoire de l’hexagone. Il devait déclarer d’ailleurs avec une grande lucidité que la France n’était pas faite « pour accueillir toute la misère du monde », ce qui allait le rendre suspect aux ganaches, qui, sous l’égide de François Hollande, allaient promouvoir le socialisme de concussion.
Il est tout à fait certain que Michel Rocard avait des idées singulières, et qu’il cherchait à introduire une certaine moralité dans son parti. Ainsi, son honnêteté n’ayant jamais été mise en cause, il était devenu la caution d’un régime failli dont il eut la faiblesse d’accepter les marques de reconnaissance. Péché véniel, sans doute, face à l’infamie considérable du Système. Mais c’est ainsi que « la vieillesse est un naufrage. »
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Philippe Randa,
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