5 janvier 2017

Le cinéma d’Elvis Presley quarante ans après

Par Nicolas Bonnal

L’Amérique de Barack Obama et de Lady Gaga n’est pas celle qu’on aime. On va parler de celle qu’on aime. Nous l’avons abordée dans un récent ouvrage (1). C’est celle d’Elvis Presley et des westerns.

Elvis a tourné plus de trente films. Produits commerciaux conçus pour ses fans et couplés à un album, ils sont inégaux, parfois ennuyeux, parfois extraordinaires. Mais notre star a donné le meilleur d’elle-même : Kid Galaad, King Créole, Blue Hawaii, GI Joe sont des œuvres sans prétention ou presque, qui gagnent à être vues et revues. Notre héros s’est glissé dans chaque monde avec une belle facilité, et de ce point de vue il n’était pas du tout américain, il était bien le monde, une manière de réincarnation de Krishna, un dieu hindou (il en a même parfois les traits avec son sang français et cherokee) revenu sur terre pour déverser un peu de bonheur et de sage lucidité.

Elvis aussi a incarné des rôles magiques au cinéma, un cinéma de l’âge d’or filmé encore en cinémascope, avec de belles plages, des lieux mythiques, de belles demoiselles à conseiller, des situations archaïques : le héros grec sportif ou musicien ! Innocent, mais pas benêt ; gentil, mais pas faible ; doué, mais pas grossier, Elvis a tout pour plaire, et c’est un miracle que de voir avec quelle rapidité ce génie de la simplicité, ce Victor Hugo du rock et du charme, put s’adapter à des civilisations différentes.

Dans le film tourné à Acapulco, réalisé par le légendaire Richard Thorpe (Les chevaliers de la table ronde, Ivanhoé…), Elvis flirte avec Ursula Andress, bien plus belle que dans le James Bond tourné à cette époque aussi dans les îles. Le père de la Belle est un cuisinier français et le héros est à la fois un plongeur émérite des rochers célèbres (la Quebrada) – et le chanteur bien-aimé qui s’intègre paisiblement à son hôtel de luxe, mais aussi au paysage aztèque et à la petite civilisation hispanique.

La performance athlétique accompagne presque toujours la performance musicale dans le cinéma de notre idole des jeunes. Sans oublier la performance éthique. Il est toujours amoureux d’une seule âme (ou d’un seul corps) et ne batifole jamais longtemps. Et quelles chansons ! Son initiation par le plongeon est très bien expliquée par mon maître V. Magnien, helléniste et spécialiste des Mystères d’Eleusis. Le saut dans la mer est en effet une initiation spirituelle.

Dans Blue Hawaii, notre préféré, Elvis revenu des armées, célèbre une grand-mère païenne des îles matriarcales, rompt avec son milieu bourgeois anglo-saxon, épouse sa belle métisse franco-hawaïenne (quelle chanson de mariage !), règle par la fessée des adolescentes blondes, éméchées et proches de la Lolita de Kubrick, et fait bouger les sables et les ondes avec brio. Il célèbre même l’appétit d’un de ses copains, un gros hawaïen (Ito eats) avec une chanson bourrée d’onomatopées. Elle dure une minute treize et c’est souvent en moins de deux minutes qu’Elvis nous transporte. Les paysages sublimes sont ici justement filmés par Charles Lang et pour nous c’est un des beaux cinémascopes de l’histoire du film.

Elvis retrouvera Hawaï dans deux autres films ; il y célébrera les crevettes, les toutous (dans un hélicoptère !), la pêche et le génie maritime dans une belle chanson hauturière et virile, bien majestueuse (Thanks to the rolling sea). Répétons-le : il s’intègre, il absorbe… Il est un vrai buvard et retire le suc et la moelle de chaque culture. Dans un autre film sur Hawaii, il célèbre les tambours des îles (Drums of the Island), dans une chanson superbe qui fait écho au taiko de Kurosawa et du cinéma japonais. Dans ces films, on sent qu’il s’entend mieux avec le génie hawaïen qu’avec la matrice consumériste anglo-saxonne (le syndrome Melville ou Segalen…). Tout en étant un bon chrétien, il assume son vrai destin de divinité païenne du bonheur. Car Elvis, c’est notre Balder. Le spectacle et la danse viennent avec lui. On note dans ses films un grand respect pour la fête traditionnelle hawaïenne.

Mais Elvis comme américain mimétique des Temps de la Fin s’impose où que ce soit. Son génie s’affirme encore plus dans GI Joe tourné en Allemagne où il chante et danse dans un théâtre de marionnettes, comme s’il vivait lui-même le texte éloquent de Kleist sur le théâtre. Il chante et danse avec la poupée, accompagnée d’un petit accordéon, et c’est tout bonnement extraordinaire. C’est la chanson Wooden heart, cœur de bois, qui le voit atteindre des sommets germaniques avec une facilité dérisoire.

Très bon sportif, pilote ou boxeur sur commande, Elvis tape sur tout ce qui bouge dans le rock du bagne. Il tourne Kid Galaad, l’histoire d’un jeune champion, dans une station des Rocheuses. Et voilà qu’on se donne la peine de nous expliquer la signification du nom de Galaad et des chevaliers de la table ronde au début du film !

Elvis est un champion gentil comme le suprême héros qui de la chevalerie aurait toute la seigneurie. Le début de ce bon film montre Elvis maître du monde à l’arrière d’un simple camion, car l’homme qui n’a rien (nothing), mais se met à chanter (sing), est le roi (King), le roi naturel du monde. Nous avons tous vécu la situation mais comme c’est plus vrai lorsque c’est lui : « The man who can sing/when he has nothing/is a king. »

Elvis et les femmes : bon gars, il finit toujours par se marier avec celle qui l’aime le plus et le réclame, mais on se doute que cela dure la fin d’un générique. Pour le reste, on peut aimer sa manière de s’en débarrasser quand elles se font pressantes (révolution sexuelle oblige) et le goût qu’il a pour certaines professeures et psychiatres belles et blondes comme dans Kid Galaad, Blue Hawaii ou Amour sauvage (sublime Hope Lange qui reviendra hanter la mémoire cinématographique de Davis Lynch trente ans plus tard). On retrouve simplement ici cette quête de l’Égérie, de la femme supérieure intellectuellement, un peu plus âgée.

Tous ces films sont lisibles symboliquement. Dans Blue Hawaii, sa mère insupportable est l’impressionnante actrice anglaise Angela Lansbury qui jouera un an plus tard la génitrice possessive du tueur fou du candidat mandchourien (parabole sur les programmations CIA de l’époque, le MK-Ultra et tout ça). C’est l’ère de la mère emmerdeuse qui va dévorer le monde, l’ère de la mère étasunienne et saturnienne dont même Almodovar a fini par se moquer (chaque mère divorcée s’efforce de faire de son fils un gay !). Celle dont Chesterton disait en arrivant en Amérique qu’elle transformerait le monde en garderie.

Cet homme étonnant simple et héroïque, d’une beauté qui devenait parfois stupéfiante, surnaturelle, n’avait pas la grosse tête. Il est resté brave et gentil jusqu’au bout, à mille milles de l’arrogance assurée de tous ceux qui lui ont succédé. John Lennon disait qu’avant Elvis il n’y avait rien ; après lui il n’y a pas eu grand-chose. On en parlera toujours d’Elvis, on en parlera dans mille ans comme d’Achille ou de Galaad.

Note

(1) Le paganisme au cinéma, Nicolas Bonnal, Dualpha. Pour commander ce livre, cliquez ici.

Le paganisme au cinéma, collection « Patrimoine du spectacle ».

Le paganisme au cinéma, collection « Patrimoine du spectacle ».

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Philippe Randa,
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