21 octobre 2016

Paris, 17 octobre 1961 : la colère des historiens

Par Euro Libertes

Le 17 octobre 2012, François Hollande a reconnu la « sanglante répression » des forces de l’ordre contre les Algériens qui ont manifesté dans les rues de Paris pour protester contre un couvre-feu qui gênait l’activité nocturne du FLN.

Chaque année, cette date est l’objet d’une commémoration où des inexactitudes sont reproduites. Le président a engagé la responsabilité de la France sur des faits présentés comme un « crime d’État », dont les pouvoirs publics français et la préfecture de police seraient les seuls responsables.

Cette décision ne prend pas en compte la réalité des faits survenus en 1961 qui ont été précisés par les publications de Jean-Paul Brunet[1], de Rémy Valat[2] et les rapports demandés à Dieudonné Mandelkern[3] et Jean Géronimi[4] par le gouvernement de Lionel Jospin qui montrent que le nombre de morts est largement surestimé par le FLN et ses soutiens (Brunet, Valat et Mandelkern font une estimation inférieure à une trentaine de victimes, Lugan parle de trois morts, Roger Frey alors ministre de l’intérieur a annoncé six morts au Conseil des Ministres du 26 octobre).

Les historiens signataires du présent communiqué souhaitent rappeler plusieurs points :

La guerre d’Algérie en région parisienne ne se limite pas aux manifestations du 17 octobre 1961. Le bilan humain de la guerre civile algérienne en métropole qui opposait le FLN et le MNA et l’affrontement entre le FLN et les forces de l’ordre s’élève entre le 1er janvier 1956 et le 23 janvier 1962 à 3 957 décès et 7 745 blessés, pour un total de 10 223 agressions. En région parisienne, entre le 23 octobre 1958 et le 31 décembre 1961, les attentats et les attaques de postes de police ont fait      1 290 tués et 1 386 blessés dans la population « algérienne » (pour un total général de 1 424 tués et 3 127 blessés de janvier 1956 à mai 1962, incluant Algériens, policiers et civils métropolitains)[5].

Ce fut le conflit le plus sanglant en Europe occidentale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le FLN, parti en lutte pour l’indépendance de l’Algérie s’était doté de structures rigides d’encadrement de la population qui était soumise à un impôt révolutionnaire : en 1960, la fédération de France du FLN aurait recueilli 63 millions de francs (soit plus de 99 millions d’euros de 2015). Des groupes de choc ont perpétré des attentats sur l’ensemble de l’hexagone et ont sanctionné les réfractaires aux directives du parti en instaurant un régime de terreur (plus de 50 personnes noyées en 2 mois, attribuées essentiellement au conflit MNA/FLN. Le FLN était une faction à visée totalitaire (Jean-Paul Brunet).

Le 25 août 1958, le FLN attaque les intérêts français en métropole. Les forces de l’ordre, et la préfecture de police de Paris s’adaptent aux conditions nouvelles du conflit : le terrorisme à l’échelle nationale était jusqu’alors un phénomène inédit. La préfecture de police amplifie la collaboration entre ses services et forme une unité de policiers auxiliaires (FPA), de recrutement arabo-kabyle, qui met les organisations politiques et militaires du FLN en difficulté.

En 1961, la guerre d’Algérie entre dans sa phase finale, après une vague d’actions armées contre la police parisienne et la FPA du capitaine Montaner, les négociations entre les belligérants reprennent et un cessez-le-feu est instauré (juin-juillet). La reprise des attentats par le FLN relance les actions anti-terroristes, avec notamment l’instauration d’un couvre-feu (5 octobre 1961), qui met à mal le fonctionnement des structures clandestines.

La série d’agressions du printemps et de l’été 1961 a mis la police parisienne à cran (22 policiers ont été tués depuis le début de l’année): la violence de la répression de la nuit du 17 octobre 1961, et la commission de certains excès l’attestent. La fédération de France du FLN connaissait l’état d’exaspération des forces de l’ordre. En outre, engagée dans la lutte pour le pouvoir après l’indépendance, elle a agi sans l’assentiment du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne et s’appuie sur la population musulmane, qui doit participer « en masse à la lutte révolutionnaire ».

 

Des études récentes ont mis l’accent sur les dimensions sociales et politiques du conflit, minimisant la réalité de la guerre vécue comme telle au quotidien.

 

Les historiens et universitaires signataires de cet appel posent la question de la responsabilité du FLN pour les événements survenus la nuit du 17 octobre 1961.

 

  1. La manifestation non autorisée s’est déroulée de nuit, pour braver le couvre-feu, elle fut dirigée sur des points symboliques de Paris, sachant que le gouvernement français ne saurait tolérer un acte qui, s’il n’avait pas été empêché, serait apparu comme une faiblesse aux yeux de l’opinion nationale et internationale.
  2. Des sympathisants du FLN (Elie Kagan) étaient présents pour couvrir l’événement ; les photographies des violences policières ont été immédiatement transmises au GPRA, et rapidement publiées au Caire sous forme d’une brochure (dont Jean-Luc Einaudi a repris la structure) qui a été présentée à l’ONU.
  3. Il y a eu des actes de provocation des membres du service d’ordre au pont de Neuilly (JP Brunet). Les femmes et les enfants ont été placés en tête des cortèges : il n’y eut aucune victime parmi eux (Jean-Paul Brunet a prouvé que Fatima Bedar, présentée comme victime de la répression policière, s’était suicidée).
  4. Les éléments ci-dessus peuvent laisser à penser que la direction de la Fédération de France du FLN a délibérément choisi la stratégie de la provocation, dans un contexte de logique de lutte d’influence au sein du FLN. Mobiliser ainsi plus de 22.000 personnes de nuit, dans un contexte de violence, de conflit et d’exaspération policière en souligne la responsabilité.

 

 Jean-Paul Angelleli docteur en histoire

 Jean-Paul Brunet historien universitaire

 Gabriel Conesa universitaire

 Philippe Conrad universitaire, historien

 Gérard Crespo historien Universitaire

 Robert Davezac docteur en histoire

 Maurice Faivre historien

 Gérard Hilaire professeur agrégé d’Histoire

 Georges Jehel historien universitaire

 Alain Lardillier docteur en histoire

 Roger Le Doussal Historien

 Gregor Mathias  enseignant docteur en histoire

 Jean Monneret docteur en histoire

 Joseph Pérez responsable du Centre de documentation sur l’Histoire de l’Algérie (Aix-en-Provence).

 Danielle Pister-Lopez universitaire, agrégée de lettres modernes.

 Jean-Pierre Pister professeur agrégé d’Histoire

 Michel Renard  historien universitaire

Thierry Rolando responsable du Centre de documentation des Français d’Algérie (Perpignan)

 Rémy Valat historien

 Roger Vétillard historien

 Bernard Zeller historien

 Notes

[1] Jean-Paul Brunet, Police contre FLN, le drame d’octobre 1961, Flammarion, 1999.

[2] Remy Valat, les calots bleus et la bataille de Paris, Michalon, 2007 et 1961, l’étrange victoire, FLN, terrorisme et instrumentalisation mémorielle, Dualpha, 2014.

[3] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/984000823.p.

[4] Le Monde, 13 août 1999.

[5] Roger Vétillard, Un regard sur la guerre d’Algérie, Riveneuve, 2016, pp 215/230.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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