« Le radicalisme musulman est moins une conviction réelle, qu’une opportunité, dont l’intérêt est précisément son excès, le refus de toute compassion grandissant même les bourreaux »
Entretien avec Philippe Joutier qui raconte dans son livre Les Extrafrançais (éditions Dualpha) la vie dans les banlieues difficiles, zones où la loi – c’est un euphémisme ! – ne s’applique pas de la même façon qu’ailleurs.
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
Ces jeunes que vous décriviez hier en train de caillasser la police ou les pompiers, posent aujourd’hui des bombes. Pourtant, des masses d’argent ont arrosé ces quartiers. Comment analysez-vous cette évolution ?
Attention : tous ne deviennent pas terroristes, mais c’est sûr, il y a une forme d’admiration. C’est leur revanche sur nous, car les politiques ont beau affirmer haut et fort qu’il n’y a qu’une seule communauté nationale, ce n’est pas du tout leur avis. Ils se considèrent majoritairement comme des malgré-eux de la France. La France, notre beau pays, ce n’est pas leur truc.
Nous en sommes pourtant à la troisième génération ?
Les causes de la radicalisation sont moins religieuses ou politiques que psychologiques. Il existe une filiation entre les acteurs des émeutes urbaines et le terrorisme actuel. Dans tous les cas, il s’agit d’un règlement de compte sur fond de crise existentielle, assez loin des convictions religieuses.
L’objectif premier des jeunes que j’ai connu n’était pas le djihad, mais plutôt la possession d’une BMW et d’une Rolex. Besoin de revanche, il oscille entre la surenchère consumériste et la destruction. Étaler ostensiblement sa réussite, ou à défaut étaler son courage, est une rédemption sur l’adversité.
Mais quelle revanche ? Quelle adversité ?
Ils sont objectivement rejetés : personne n’en veut car trop ingérables. Ils revendiquent d’ailleurs en rigolant cette capacité à foutre le bordel comme une marque identitaire. Pour quelques-uns d’entre eux, elle ira jusqu’au terrorisme. On les entretient dans l’idée qu’ils sont victimes du racisme, ce qui leur fournit un alibi commode, et que l’école est le moyen de s’en sortir, ce qui se révèle vrai pour l’immigration du sud-est asiatique, mais faux pour eux.
Leur profil est assez constant : Ils sont jeunes, mâles, et en échec. Échec scolaire, échec professionnel, échec social, échec sexuel. Élevés par une mère dépassée, en l’absence d’un père qui les a tous plantés depuis longtemps et siphonne l’aide sociale, ils vivent au présent, dans l’instant, n’agissent que dans l’impulsion, l’affectif et l’immédiat. Incapables de se projeter dans l’avenir, montant des coups merdiques, ils se maintiennent dans une posture affective, très dépendante des repères locaux : la bande, le quartier, la fratrie.
Ce sont, c’est sûr, des emmerdeurs, mais pas forcément antipathiques. Je me souviens de gamins traitant les CRS qui les coursaient d’« enc… » mais qui, le lendemain, demandaient comment on pouvait rentrer dans la police, car l’uniforme et la moto, ils trouvaient ça « vachement classe » ! Du coup, ils se font facilement du cinéma, sont d’une étonnante crédulité et mythifient sans le moindre recul critique tout ce qui va leur sembler ouvrir l’avenir, surtout si c’est héroïque et peut les faire rêver. C’est là-dessus que surfe Daesch.
Claude Robert, dans un article de Contrepoint a fait une approche remarquable, essayant de repérer les analogies dans les douze actes de terrorisme. On retrouve beaucoup de points communs : Issus d’importantes fratries ; élevés dans une absence d’autorité paternelle ; auteurs appartenant à la deuxième, voir troisième génération ; la plupart ont un métier, ne sont que peu ou pas pratiquants, ont eu des démêlés judiciaires… J’ajouterai également, qu’ils sont d’une grande naïveté. Ce n’est pas un défaut d’intelligence, mais de maturité, pour les raisons que j’évoquais précédemment.
Pourtant, vous le dites, tous ne passent pas à l’acte ?
Vouloir faire de la condamnation de l’islamisme une évidence allant de soi et devant être naturellement partagée, va engendrer une résistance. Celui qui rejetait a priori le terrorisme va finir par en devenir sympathisant pour lutter contre la pression de ce qu’il va ressentir comme une dictature de la pensée dominante occidentalo-chrétienne. En devenant bouc émissaire, l’islam accède au statut de victime et interdit alors d’être objet de débat. L’invention absurde de l’islamophobie en est un bon exemple. Tout ça produit un cocktail détonant pour des gens dont la haine est nourrie de frustrations.
La rupture est très clairement le séjour en prison. C’est l’élément déterminant qui fait glisser du banditisme au terrorisme. La prison est encore un échec, mais elle est l’échec de trop, qui vient s’ajouter à tous les autres : « Trop con, même pour réussir un casse ! » Derrière les murs, le détenu ne peut pas échapper au retour sur lui-même et ce qu’il y voit est un désastre. Bouché derrière, bouché devant : le looser absolu ! Ce sentiment d’échec patent va déclencher pour certains une rupture, et la prison devenir le lieu possible de la reconstruction d’une identité. C’est ce que l’islam a bien compris. Il apporte clé en main aux jeunes délinquants en quête de sens, des repères positifs et un code moral qui rassure, ne laisse aucune place au doute et qui ouvre un parcours initiatique de mise à l’épreuve. Véritable ordalie, il fait de la valorisation du courage et du mépris de la mort les conditions de la réhabilitation personnelle. La prise de risque va apporter ce besoin de reconnaissance et de prestige qui va permettre d’exister.
Ce jeu avec des conduites à risque n’est pas nouveau, Sur ce thème, La fureur de vivre est un film qui date de 1955 !
Exact. Mais c’est alors qu’on va lui proposer de mettre cette fureur au service d’une cause lui apportant enfin la possibilité de retourner les choses. La crainte qu’ils engendrent, conjuguée au mépris de la mort leur garantit soudain la célébrité dans un moment d’existence éphémère, mais intense. Ils ne sont plus impuissants, mais agissent à leur tour. Il est probable qu’appliqué à leur parcours, le radicalisme musulman est moins une conviction réelle, qu’une opportunité, dont l’intérêt est précisément son excès, le refus de toute compassion grandissant même les bourreaux. La destruction généralisée de notre société devient un idéal de vie. Fermés à toute opinion contraire, ils deviennent inaccessibles à la raison.
Faut-il y voir ce fameux choc des civilisations, thèse de Huntington ?
L’idée que les causes du terrorisme puissent être dues à un choc de civilisation a toujours été la véritable hantise du politique. En convenir serait admettre l’échec de la laïcité, l’échec de nos belles théories égalitaires sur le vivre ensemble et la constatation que la fracture est irréversible. Il faut donc circonscrire à tout prix cette théorie. Pourtant les jeunes ne s’en cachent pas : ils ont la haine. Ce sont eux qui le disent. La haine de l’occident, la haine des Français d’origine, blancs, occidentaux et chrétiens. Haine alimentée d’ailleurs par les idiots utiles, trop heureux de prétendre à la sainteté en se vautrant dans l’expiation postcoloniale, ce qui exonère ces populations de toute responsabilité et leur permet d’exploiter adroitement leur statut de victime. Il convient donc toujours de produire des alibis pour justifier cette haine car expliquer, c’est comprendre et comprendre, c’est rassurant. On a ainsi appelé à la rescousse l’urbanisme et on a cassé les tours ; on a filé des subventions contre le chômage ; pour la culture, re-subventions ; pour le sport, toujours les subventions… Avec le Front national comme bouc émissaire, et le racisme : le nôtre bien sûr ; le racisme anti-blanc, étant lui politiquement acceptable.
On en arrive alors à des énormités en affirmant sans rire que toutes les cultures se valent ou en amalgamant (sic) islamophobie et racisme ou encore en dissimulant le rapport Obin produit par l’Éducation nationale.
Sauf que le terrorisme fait évoluer ces représentations qui aujourd’hui ne sont plus tenables…
Alors on va désormais prospecter les justifications, tantôt du côté de tous ces conflits dont le Proche Orient est prolixe, ou tantôt du côté de la religion, dénonçant le prosélytisme salafiste ou wahhabite. Or, le profil des terroristes qui pourtant n’hésitent pas à se faire sauter, ne colle pas à un engagement idéologique et encore moins à un engagement mystique, comme celui du Bushido pour les kamikazes japonais.
Sommes-nous impuissants?
Oui. Tout est trop tard ! Contraint d’évoluer dans sa posture idéologique, le gouvernement est aujourd’hui désemparé. Nous sommes le seul peuple du monde à fonder notre identité sur un principe purement théorique, allant jusqu’à la dissocier délibérément de nos origines culturelles ou historiques. Et nous persévérons dans cette erreur. On voit ce que ça donne. C’est intellectuellement séduisant, mais ça ne fonctionne pas : dès le départ cette vision théorique a engendré une effroyable guerre civile, à coups de guillotine et de tueries de masse conduites par des fous furieux comme Robespierre, ou encore Tureau ou Westerman, lâchés sur une population qui n’était pourtant pas hostile à la Révolution, mais qui comprenait mal qu’on veuille liquider ses racines. Les Bretons en savent quelque chose ! Aujourd’hui, nous n’avons pas évolué d’un iota : ce foutu principe de laïcité nous ramène toujours au même point : affirmé ingénument par les intellectuels comme la clé du fameux « vivre ensemble » (encore une figure rhétorique stupide), il est considéré comme une véritable apostasie et une agression incompréhensible par l’ensemble du monde musulman. Une vision plus juste serait d’affirmer la laïcité, oui, mais sans l’afficher comme valeur fondatrice, seulement comme nécessité. De ce point de vue, l’approche d’un philosophe comme Rawls apparaît intéressante. Aujourd’hui, les droites autrichienne, allemande, hongroise, américaine, polonaise citent à l’envi l’exemple de la France comme modèle de ce qu’il ne faut pas faire !
Je pense que la sortie dépendra de deux conditions : l’écrasement de Daesh sur les théâtres extérieurs qui rendra vain l’engagement suicidaire et calmera l’excitation guerrière, et en interne un aggiornamento de la communauté musulmane. Le terrorisme est une chance pour l’Islam, car ses excès devraient engendrer un rejet et donc permettre à cette religion de réinterroger sa vision sociale et d’aller vers une certaine sécularisation. C’est une vision optimiste. Il faut y croire, même si Schopenhauer disait que les optimistes sont des scélérats. Car sinon la guerre civile se profilera et nous ne serons même pas sûr d’en sortir vainqueurs.
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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.
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Collaborateur du site Francephi.com, spécialisé dans les entretiens politiques, historiques et littéraires.