7 avril 2022

Chronique des temps de catastrophe

Par Gérard Lehmann

« Sachons être suspect. C’est le signe, aujourd’hui, d’un esprit libre et indépendant, surtout en milieu intellectuel »

Julien Freund, préface à l’ouvrage de Carl Schmitt : La notion de politique. Théorie du partisan. (Paris, 1972)

Un gigantesque concert en plein air a eu lieu le samedi 12 mars sur la place de l’Hôtel de Ville de Copenhague, un événement relayé par les chaînes de la Télévision danoise (DR). À cette occasion, une quête organisée au bénéfice des victimes de la guerre en Ukraine recueille des sommes considérables. Des réfugiés ukrainiens sont reçus à bras ouverts dans les foyers au Danemark. Et le gouvernement s’est joint aux sanctions contre la Russie décidées par les membres de l’Alliance Atlantique et de l’Union Européenne. À juste titre. On ne saurait cautionner une intervention militaire qui viole la souveraineté d’un pays et la sécurité de ses citoyens, une condamnation va de soi.

Cependant des questions se posent, qui dépassent le niveau médiatique de la solidarité, de l’empathie et de la morale, et ces questions sont d’autant plus importantes qu’elles concernent la paix, non seulement en Ukraine, mais dans le monde entier, en raison du risque de conflit nucléaire généralisé.

Une perspective géopolitique implique d’une part tous les acteurs de la crise, mais aussi la dimension chronologique (proche et lointaine) qui touche cette partie du monde. Elle exige des faits actés.

Il est évident qu’aujourd’hui, en cette fin mars 2022, que rares sont de telles approches, d’autant qu’elles sont automatiquement rejetées comme un soutien de l’intervention militaire russe.

On a lu que la guerre avait commencé avec le visage de Poutine, avec son long discours du 22 février 2022, suivi de la reconnaissance des républiques séparatistes de Donetz et de Louhansk dans le Dombass et de l’intervention militaire russe.

Eh bien non ! Une guerre civile dévaste depuis huit ans la région du Donbass. Huit années de guerre intermittente, un chiffre de morts oscillant entre 12 000 et 15 000 morts, sans compter les blessés, les mutilés et les ruines. Peu d’articles dans la presse française ont été consacrés à cette tragédie. Et pourtant les documents abondent. Anne-Laure Bonnell nous en propose un témoignage dénué de tout engagement politique mais résolument censuré.

De civile, cette guerre est devenue une guerre internationale.

Alors oui, bien sûr qu’il faut condamner les tragédies humaines de plusieurs semaines de guerre en février et en mars, mais que vaut cette condamnation si l’on omet les antécédents meurtriers de l’affrontement présent ? Il faudra nécessairement revenir aux avancées de l’OTAN, aux manœuvres de l’Union Européenne. Il faut se reporter à l’implosion de l’URSS, et plus lointainement encore, à ce début du vingtième siècle où éclosent les fleurs maudites des totalitarismes.

Profitant de l’émotion populaire soigneusement entretenue par le monde politico-médiatique, les universités danoises organisent, sur l’injonction, en date du 1er mars 2022, du ministre de l’Enseignement et de la Recherche Jesper Pedersen, un gel provisoire, entrant en fonction à la fin du présent semestre, de toute collaboration avec les institutions de Russie et de Belarus. Il est bien précisé dans l’information de mon département, que cette disposition suspensive n’est pas dirigée contre les peuples de ces pays mais contre leurs gouvernements : « En tant qu’université, l’Université de Danemark Sud est soucieuse de traiter étudiants et collaborateurs avec respect et sans considération de nationalité ou d’arrière-plan personnel. »

Je le souligne volontiers, les précisions apportées par le directeur de mon Département apportent une touche d’humanité au projet ministériel, et tiennent compte des conséquences psychologiques d’une telle décision pour les étudiants ou enseignants-chercheurs concernés.

Mais les conséquences sont inévitables : les étudiants et les collaborateurs de nationalité russe sont au moins indirectement touchés par une mesure dont ils subissent personnellement les conséquences en se trouvant privés d’études ou de travail d’ici trois mois.

Une question se pose alors : au-delà de l’aspect moral, ne nous trouvons pas devant le non-respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (art. 14 sur la discrimination de l’origine nationale) ? C’est aussi le cas de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (art. 2 sur l’origine nationale comme facteur de discrimination).

N’est-il pas consternant de voir faire d’un universitaire, étudiant ou collègue, le complice obligé – et sanctionné en conséquence – des actes de son propre gouvernement ? Allons-nous arguer un état de guerre ? Mais nous ne sommes pas en guerre !

Un débat contradictoire sur ce sujet implique nécessairement une prise en compte rationnelle, indépendante des intérêts économiques et des idéologies en présence, d’une redoutable propagande de guerre menée contre la Russie, de tous les événements et de tous les acteurs dont les conséquences, aujourd’hui, affectent cruellement le peuple ukrainien. Il y a certes des responsabilités directes, mais il y a aussi des causes proches et lointaines.

Il y a l’Histoire, le poids de l’Histoire. Nous nous trouvons confrontés à des discours bellicistes, irresponsables, tenus au plus haut niveau politique, et qui mettent en danger l’avenir de la planète. Sans préjudice du souhait d’un retour de la guerre froide favorisant l’idéologie d’une mise au ban définitive de la Fédération de Russie. Le danger de la vision gaullienne d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural serait ainsi conjuré.

Renvoyons en Russie les poupées russes ! Débaptisons le collège Soljenitsyne (collège d’Aizenay en Vendée), supprimons le cours sur Dostoievski (université de Florence). Faisons concurrence de noms d’oiseau à l’adresse de Vladimir Poutine ! Parmi les candidats au prix de l’âge de la pierre, un Bernard Henri Lévy serait en pole position. Si la vérité est la première victime d’une guerre, la stupidité en est le front bas.

Ne faudrait-il pas plutôt débattre des conditions auxquelles pourraient s’engager de négociations de paix débouchant sur un accord général sur la Sécurité en Europe, l’Europe des nations ?

Ne faudrait-il pas initier une analyse prenant en compte tous les éléments du problème ? Et ne faudrait-il pas avant tout réfléchir à cette citation de Charles Péguy dans Notre jeunesse : il faut dire ce que l’on voit. Surtout, il faut toujours, ce qui est bien plus difficile, il faut voir ce que l’on voit ?

Le risque fut grand, à une époque, de se retrouver sur le banc des suspects. Il l’est aussi aujourd’hui, en ces temps de catastrophe, où l’ancienne Loi des suspects pourrait se découvrir une nouvelle jeunesse.

Sachons, tout de même, être suspect. Il suffira, pour commencer, de voir ce que l’on voit. Et d’en parler, et d’en débattre en faisant effort d’honnêteté intellectuelle. Le reste viendra de surcroît. Peut-être.

Tel est mon souhait pieux.

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