Hypocrisies et contradictions
L’odieux assassinat survenu à Conflans-Sainte-Honorine le vendredi 16 octobre plonge encore une fois la société française dans la sidération et l’hébétude. L’effroi s’apparente aussi à une nouvelle expérience d’ingénierie sociale médiatique. Plus de cinq ans après « Je suis Charlie », des manifestations se déroulent dans tout le pays pour célébrer la liberté d’expression. À l’occasion d’un cours d’instruction civique en classe de 4e, le professeur d’histoire–géographie présente aux élèves des caricatures obscènes du prophète Mahomet. Samuel Paty suscite le mécontentement d’un parent d’élève musulman qui déverse sa colère sur Internet. Se croyant encore sur la terre de ses aïeux, un jeune réfugié tchétchène se rend devant le collège, attend le professeur et, bien mieux assimilé qu’on ne le dit puisqu’il suit l’exemple des « illustres grands ancêtres révolutionnaires républicains de 1793 », lui tranche la tête.
En réponse à cette tragédie, les présidents des treize conseils régionaux de France métropolitaine ont décidé de distribuer aux lycéens dès ce 2 novembre un recueil de caricatures politiques et religieuses. Y retiendra-t-on les caricatures, souvent géniales, de Chard, de Pinatel, d’Adolf de Réfléchir & Agir, et du fantastique Konk ? Y trouvera-t-on le dessin d’illustration de Valeurs actuelles de la fin de ce mois d’août illustrant la Franco-Gabonaise Danièle Obono enferrée ? Certainement pas.
Horrifiés par la mort atroce de l’enseignant, bien des manifestants qui défendent les « valeurs de la République » et la « liberté d’expression » ne réagissent pas aux condamnations répétées d’Éric Zemmour et de Renaud Camus, aux interdictions de représentations de Dieudonné, aux persécutions judiciaires d’Alain Soral et à la détention inique d’Hervé Ryssen. Ils affirment, la main sur le cœur, que ces cinq exemples ne sont pas pertinents, car leur liberté d’expression suit un sens unique : elle accompagne la Subversion « arc-en-ciel » installée et subventionnée. Ainsi des activistes dyssexuelles commettent-elles des bouquins ouvertement discriminatoires, haineux et homicides à l’encontre de tous les hommes sans que ne réagisse le Parquet d’habitude si prompt à lancer des enquêtes sur des « intentions » mal pensantes. Suite à ses odieux propos tchétchénophobes qui tombent sous la loi Pleven, Jean-Luc Mélenchon devrait être poursuivi. Que fait donc la justice ?
Il fut un temps très éloigné où l’enseignement supérieur était un havre de libertés intellectuelles. Le monopole marxiste a bien appauvri les universités. Aujourd’hui, les facultés subissent de plein fouet une pandémie mentale venue du monde anglo-saxon dont les symptômes les plus visibles s’appellent « écriture inclusive » et « théorie du genre ». Être sensible et se sentir choqué par des exemples donnés en cours magistral ou en travaux pratiques deviennent presque des atouts pour obtenir un diplôme en… chocolat périmé.
Au moment où des attroupements horrifiés, étrangement exemptés de tout péril covidien comme si le coronavirus suspendait pour l’occasion son extrême contagiosité, dénoncent un fumeux « obscurantisme » et non pas l’« islamisme », il est grotesque que le gouvernement envisage de renforcer la surveillance des réseaux sociaux accusés de propager ce mot de novlangue, la « hainnne » !
Médias dominants d’occupation mentale, politiciens incompétents et gouvernement incapable réactivent la loi liberticide de la très mordante Avia en partie retoquée par le Conseil constitutionnel. Au nom de la liberté d’expression, on cherche ainsi à restreindre l’expression des opinions sur Internet de façon si floue que tout ce qui ira à l’encontre du politiquement correct tombera bientôt sous le coup d’une énième loi injuste. Dans le même ordre d’idée, de belles âmes réclament la levée de l’anonymat sur le Web tout en exigeant la généralisation des CV anonymes… Quelle formidable hypocrisie !
Nombreuses sont en effet les contradictions du Régime. Il est évident que si le pauvre Samuel Paty avait présenté des dessins de presse tirés de Minute, de Présent ou de National-Hebdo, sa hiérarchie l’aurait sanctionné. L’« Éducation » dite nationale n’invite pas à la liberté d’expression, elle impose aux enfants un prêt-à-penser laïque, obligatoire et cosmopolite.
En 2011, sous le quinquennat du super-droitard en fer-blanc, Nicolas Sarközy, Philippe Isnard, professeur d’histoire–géographie dans un lycée de Manosque fut révoqué. Vendait-il de la drogue pendant les récréations ? Couchait-il avec ses élèves ? Frappait-il des parents d’élèves ou des collègues agaçants ? Plus grave que ça. En cours d’éducation civique, juridique et sociale (ECJS) où doivent se tenir des débats argumentés, il projeta à une classe de Seconde un film anti-IVG afin de débattre ensuite en connaissant les deux thèses. Il osa même distribuer à ses élèves de Première des tracts pro-vie toujours dans le cadre d’un débat « citoyen » prévu sur ce sujet de société délicat.
Des Français s’indignent du crime abominable de Conflans–Sainte-Honorine, mais savent-ils que le Palais-Bourbon vient de voter l’autorisation légale de l’avortement jusqu’à quatorze semaines de grossesse et à supprimer la clause de conscience à laquelle ont droit médecins et sages-femmes ? Tous les élus qui ont voté cette sordide proposition de loi n’agissent-ils pas mutatis mutandis en ampliations malignes du terrorisme ? C’est étrange que les mêmes qui promeuvent l’extension des droits sociétaux à la décadence abolissent un droit bien réel.
Dans l’après-midi du samedi 17 octobre, à l’appel d’associations groupusculaires, quelques clampins se mobilisent dans les rues de Nancy contre l’ouverture d’une salle de shoot, d’un hôtel pour « migrants clandestins », d’une permanence des Républicains en Marche dans le mur ? Non, contre la librairie « Les deux cités » ! Si « Chatte et minou », célèbre librairie exclusivement réservée aux non-mâles, avait fait l’objet de contestations et vu sa devanture dégradée, l’univers tout entier s’en serait offusqué ! Rien de tel pour « Les deux cités » qui a l’audace de vendre en 2020 des livres… conservateurs.
La liberté d’expression en France est bien à géométrie variable. On assiste actuellement à la diffamation orchestrée de tous les récits fondateurs de la civilisation européenne. Des minorités bruyantes, agissantes et violentes interdisent les pièces de théâtre d’Eschyle, exigent la repentance-soumission de l’homme blanc hétérosexuel, organisent des séminaires « racisés », « genrés » et non-mixtes, menacent des professeurs suspects d’anticonformisme et de bon sens, changent le titre des livres (Les dix petits nègres devenant Ils étaient dix) et censurent des films tels Autant en emporte le vent ou Les Aristochats (vecteurs bien connus de racisme, de misogynie et de néo-nazisme).
Adeptes d’une religiosité séculière, moralisatrice et totalitaire, les défenseurs patentés et officiels de la liberté d’expression se fondent sur la déclaration de Saint-Just à la Convention : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! » Les responsables des rassemblements et autres « marches blanches » des 17 et 18 octobre qui ont souvent attaqué en justice Jean-Marie Le Pen, persistent dans leur incapacité à remettre en cause leurs certitudes multiculturalistes, leurs mantras anti-discriminatoires et leur obstination à défendre au mépris des faits Big Other. Quarante-cinq ans de laxisme migratoire éhonté aboutissent à l’attentat du 16 octobre. L’islamisation résulte de l’immigration allogène. C’est la raison pour laquelle les ennemis de nos ennemis sont aussi nos ennemis.
Quant à la liberté d’expression, en l’absence de l’équivalent du Premier Amendement en vigueur aux États-Unis où il est déjà contourné, elle demeure une notion ambiguë et relative. L’heure n’est plus à la métapolitique, voire au combat culturel, mais à une puissante noomachie entre les différentes coteries antagonistes de la Modernité et l’ensemble des résistances au Vieux Désordre mondial sur tous les continents. C’est finalement le journaliste légitimiste ultramontain français Louis Veuillot (1813-1883) qui avait tout compris : « Quand je suis faible, je vous demande la liberté, parce que tel est votre principe ; mais quand je suis le plus fort, je vous l’ôte, parce que tel est le mien. »
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