Rester chez soi… et méditer
Certains suivent avec passion les débats qui tournent en boucle sur les chaînes dites d’information. Gavés d’explications les plus pertinentes (bien sûr) par des experts les mieux informés (cela va de soi et qui oserait le contester ?), ils espèrent entrevoir, à travers ces bulletins, quasi météorologiques, une éclaircie possible, sinon l’arc-en-ciel libérateur qui leur permettra de jeter enfin un orteil à l’extérieur de leur blockhaus improvisé et de renfourcher, qui une trottinette, qui un vélocipède électrique ou de boucler son fréquencemètre sur son biceps ramolli avant de se lancer dans une course à pied libératrice.
D’autres, plus vindicatifs, échafaudent déjà des procédures diverses qui devraient permettre de traîner devant quelque tribunal d’exception ces chefs qui ont failli à leur devoir régalien de défense nationale. Ne sommes-nous pas en guerre ? Il est curieux qu’à ce jeu de massacre dégringolent du trombinoscope gouvernemental autant de Bazaine ou de Gamelin qu’un peloton pourrait en fusiller. Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés…, Comme quoi il ne faut jamais dire à la fontaine qu’on ne boira pas… le calice jusqu’à l’hallali.
Pour ma part, entre lecture et écriture, je me contente, la nuit venue, de butiner les chaînes générales de la TNT, des fois que, au milieu de la botte de navets, je découvre une truffe.
Ainsi, puisque nous sommes en guerre j’ai jugé opportun de regarder Tu ne tueras point, film australo-américain signé par le sulfureux Mel Gibson. Le sujet de l’objection de conscience en période de conflit ne pouvait laisser indifférent l’ancien marsouin, marqué à vie par l’ancre indélébile des troupes d’infanterie marine. Et de m’abandonner à une profonde méditation sur le traitement respectif de la guerre par les producteurs et réalisateurs yankees et français.
Alors que les États-Unis ont déversé sur le monde des centaines de milliers de kilomètres de pellicule portant tant sur les opérations menées en Europe que sur celles conduites dans le Pacifique, les réalisations françaises n’encombrent pas le maigre rayon de notre cinémathèque dédié à ce genre. Notre fibre patriotique serait-elle nécrosée depuis juillet 1940 ?
J’imagine déjà la face décomposée d’un producteur parisien se voyant proposer par un John Ford auvergnat le scénario d’une improbable « Prise de la smala d’Abd el Kader » ou par un Edward Dmytryk ch’timi, celui d’une combien virtuelle « Épopée du Corps expéditionnaire français en Italie ». La conquête de l’Algérie ne doit pourtant rien à la ruée vers l’ouest. La prise du Monte Cassino ne vaut-elle pas largement celle d’Iwo Jima ?
D’aucuns prétexteront le manque de moyens matériels qui pousserait l’audacieux à renoncer à son projet avant même le premier tour de manivelle. Et pourtant la Patrouille de choc de Claude Bernard-Aubert, bricolée en 1957 avec des moyens de fortune et La 317e Section de Pierre Schoendoerffer (1965), œuvres d’un intérêt incontestable, sont loin de s’inscrire dans la catégorie des superproductions. Alors ?
Avez-vous visité le cimetière américain de Colleville où reposent des milliers de G.I. tombés sur Omaha Beach ? Venus d’Outre-Atlantique les pèlerins s’y pressent toutes générations confondues. Il m’est arrivé de traverser, à la même époque, la nécropole de Douaumont sans y rencontrer âme qui vive. Quoi de plus normal dans un cimetière, m’objectera-t-on. Curieuse désaffection ! Curieuse ou révélatrice ? Comme le dirait Desproges : « Étonnant, non ? ».
La réponse est peut-être à rechercher dans un postulat éculé tant il a été sollicité : l’Américain est un grand enfant. En la circonstance, il a été nourri à l’imagerie prétendument infantilisante des Mac-Arthur, Eisenhower et autre Patton. Pour un oui, pour un non, sous les couleurs de la bannière étoilée, il est invité à écouter, la main sur le cœur, la sonnerie aux morts que distille une trompette aux vibratos poignants. Il est non moins vrai que le Français, à l’esprit autrement plus délié, est bercé, dès l’école primaire, par la trompinette impertinente de Boris Vian le génial auteur du Déserteur. D’ailleurs la multiplication des rues, places et ronds-points du « 19 mars 1962 », date de la dernière défaite française, est là pour témoigner de cette curieuse propension à la démobilisation, sinon la démoralisation des troupes.
Alors, Le déserteur sera-t-il de nouveau interdit d’antenne alors que notre défense nationale est débordée par les vagues d’assaut des coronavirus déchaînés.
Pour mieux traverser les épreuves que doit surmonter sa patrie, le Ricain en appelle à Dieu. Il chante ainsi God bless America sans le moindre état d’âme. Mais, me direz-vous, qui le Français pourrait-il invoquer depuis que, par la grâce de la guillotine égalitaire et démocratique, Dieu a été chassé de l’espace public et avec lui une certaine France, fille aînée de l’Église. C’est certainement ce qui conduit le citoyen à en appeler en toutes circonstances à ces sacro-saints principes républicains totémiques que nul ne doit être censé ignorer. Y compris, faut-il le préciser, dans les territoires perdus par cette même République adoptive, aussi accueillante que généreuse, dépassée par la turbulence et l’espièglerie de trop nombreux pupilles un tantinet dilatés.
J’ai cru pouvoir échapper un instant à l’inconfort du confinement en empruntant à Claude Nougaro l’écran noir de ses nuits blanches afin d’y projeter ma nouvelle adaptation de La Grande Évasion… Patatras me voilà ramené à un quotidien étriqué. Un message me propose en pièce jointe le nouveau formulaire de déplacement dérogatoire.
Exit Mac Queen, « le roi du frigo ». Philippe lui succède (Édouard, pas Gérard). Changement inopiné de programmation : c’est « La grande illusion » qu’on m’impose au cinéma ce soir, mais sans l’inoubliable Boëldieu campé par un Pierre Fresnay au sommet de son art…
Je ne sais pas si vous m’avez bien suivi. J’ai moi-même du mal à me retrouver dans cette errance méditative. Mais quoi qu’il en soit, elle m’a permis de voler du temps au temps ce qui en cette période d’isolement est toujours bon à prendre.
N’oubliez jamais qu’on peut méditer sur tout et n’importe quoi et je le prouve. Lamartine ramait sur le lac en compagnie de sa Julie lorsqu’il s’abandonna à une réflexion pour le moins surprenante de la part d’un romantique : de combien de bœufs devrait-il disposer pour faire du bouillon avec l’eau du Bourget ? Je tiens cette information exclusive de l’esprit frappeur de Pierre Dac.
Un dernier conseil avant de vous abandonner au plus profond d’un confinement introspectif salutaire : ne vous laissez pas abuser, comme Madame Buzyn, par les subtilités de la conjugaison des verbes méditer et médire. Ouh ! La vilaine !
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