Un savoureux paradoxe
Les syndicats les plus hostiles à la réforme des retraites d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe, à savoir la CGT, Force Ouvrière, la FSU, la CFE – CGC et SUD – Solidaires, suscitent à leur insu un plaisant paradoxe politico-historique. Hormis peut-être le « cadre en chef » François Hommeril, Philippe Martinez, Yves Veyrier et Benoît Teste qu’on peut avec raison ranger à gauche et à l’extrême gauche défendent avec une belle ténacité l’actuel système par répartition. Ils se posent sans hésiter en héritiers de l’« esprit de résistance » de 1944 – 1945. Ils rappellent fort opportunément que l’actuel système de retraite a été proposé par le Conseil national de la Résistance et fut mis en application dès 1946 sous la direction successive du démocrate-chrétien Alexandre Parodi et du communiste Ambroise Croizat, tous deux ministre du Travail et de la Sécurité sociale. Dans leur cabinet ministériel respectif officiait néanmoins l’auteur véritable du projet : Pierre Laroque (1907 – 1997).
Malgré les difficultés inhérentes à la reconstruction et aux pénuries de l’après-guerre, Pierre Laroque a pu bâtir un système efficace dont les bases existaient déjà depuis 1941. Il en supervisait alors la réalisation en tant que bras droit de René Belin, vieux militant syndicaliste révolutionnaire de la CGT, influencé par Georges Sorel, qui dirigea le ministère du Travail et de la Production industrielle de juillet 1940 à avril 1942.
Écarté de l’administration dès l’entrée en vigueur du premier Statut des juifs en octobre 1940 pour cause d’une lointaine ascendance israélite, Pierre Laroque rejoignit vite la Résistance. Il en profita pour diffuser auprès des résistants, puis à Londres aux côtés des Français libres, son projet social qui ne différait pas de beaucoup de celui des hauts fonctionnaires technocrates à Vichy et à Paris… À part les plus compromis dans la Collaboration, de nombreux fonctionnaires ont ainsi servi avec le même zèle l’État français du Maréchal, le gouvernement provisoire de la République française, la IVe République (en particulier autour de Jean Monnet et de Robert Schuman), puis la Ve République naissante.
Deux des trois Premiers ministres du Général de Gaulle, Michel Debré et Maurice Couve de Murville, ont prêté en 1940 le serment de fidélité au vainqueur de Verdun. Chargé des questions financières à la Commission d’armistice de Wiesbaden, Maurice Couve de Murville était même le fonctionnaire le plus important du pays. Envoyé à Alger à l’initiative du chef de cabinet de Pierre Laval quelques semaines avant le débarquement anglo-saxon en 1942, il y retrouva le successeur désigné du Maréchal, l’Amiral François Darlan, venu au chevet de son fils malade. Une fois Darlan assassiné par des orléanistes gaullistes, le futur locataire du Quai d’Orsay de 1958 à 1968 fut ensuite proche du rival du général de Gaulle, le général Henri Giraud, avant de se rallier finalement à l’homme du 18 juin…
Le système de retraite par répartition s’appuie sur une indispensable solidarité entre les générations. Il s’inscrit bien sûr dans la politique nataliste décidée par le gouvernement Daladier en 1939, reprise ensuite par l’État français et les républiques suivantes. Il représente un magnifique don de la Révolution nationale. Il importe par conséquent de le maintenir intact et même de mieux le fructifier au quotidien.
Si les dirigeants syndicalistes protestataires connaissent probablement cette origine, ils ne le crient pas sur les plateaux télé, car une telle révélation risquerait de choquer maints sectaires au raisonnement manichéen. C’est très regrettable, car des défilés syndicaux entre Bastille et Nation aux chants de La Terre nationale et de Maréchal, nous voilà ! auraient une bien meilleure tenue.
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