Quels remèdes à l’actuelle déréliction occidentale ?
Tous les profonds penseurs et les concepteurs de ces projets mirifiques de société idéale, qui ont proliféré depuis les années 1980, sont unanimes : il faut rassembler les Nations autour d’une grande idée maîtresse et leur rendre une appétence pour la spiritualité.
Outre que la religion est, comme l’orientation et l’activité sexuelles, un choix strictement individuel, on ne voit guère là de solution particulièrement innovante. De même que l’on n’apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces, force est de reconnaître que, depuis l’aube des temps historiques, voire auparavant, l’humanité s’est amusée à explorer toutes les formes possibles de spiritualité, sans qu’une en particulier ait réussi, en dépit de ses prétentions, à s’imposer de façon ubiquitaire, universelle, unique.
En 1929, un universitaire des USA, Joseph Wood Krutch (mort en 1970), a fait un tabac avec un livre, dont l’argumentation – excellente au demeurant – se résumait en quelques phrases. Aux USA, son livre, The modern temper. A study and a confession, est régulièrement réédité, alors qu’il n’a jamais été traduit en français, comme d’ailleurs, du moins à ma connaissance, aucune de ses œuvres, teintées de panthéisme et de naturalisme.
« La théologie médiévale fait de la conduite de la vie une science exacte… Elle propose un plan de vie d’une délicieuse simplicité » (Krutch, 1929). Ce n’est vrai qu’à condition de faire débuter cette sancta simplicitas au Ier siècle de notre ère et de mettre ces deux phrases au pluriel – car il a existé, dès les origines du christianisme, à peu près autant de théologies que de fortes têtes spirituelles.
Martin Luther surenchérit même, au XVIe siècle, sur l’optimisme catholique. Les voies de la divine providence étant impénétrables, l’être humain devait suivre ce que dieu dictait à sa conscience. Il ne s’agissait plus de libre arbitre, mais de serf-arbitre, ce qui ouvrait la voie à une multitude d’interprétations, qui n’ont pas manqué.
Jusqu’à ce que les Lumières du XVIIIe siècle, puis les scientistes du siècle suivant, décident de s’en mêler, les chrétiens étaient aussi heureux que les juifs de l’ère rabbinique ou les mahométans : pourvu qu’ils agissent de façon bonne, pure et droite ou qu’ils se repentent amèrement en cas de faute et ne récidivent pas, ils étaient assurés d’être surveillés avec une affectueuse attention par la divinité, réputée ne vouloir que du bien à ses ouailles fidèles et les accueillir en son paradis – une invention brevetée d’origine perse –, si elles avaient fait plus de bien que de mal.
Même un athée doit reconnaître que ce schéma simple pouvait donner de bons résultats sociaux, sauf si un fou furieux s’estimait investi par la divinité, inventée par son cerveau malade, du soin de convertir tout ou partie des « infidèles ».
Les progrès de la physique et de la biologie ont ridiculisé à jamais les féeries créativistes de la Genèse et rendus fort improbables certains mystères. Là-dessus, passa la tornade marxiste, dans laquelle de nouveaux Moïse des relations humaines promettaient un Éden terrestre, dans un avenir indéterminé et réservé au nouveau « peuple élu », celui des fils et des filles du prolétariat.
D’autres divinisèrent la Patrie et les Grands Ancêtres : Mustafa Kemal, Mussolini et les théoriciens nippons de la Plus Grande Asie sont les plus connus. Un surdoué de la politique et de la stratégie, hélas atteint de paranoïa délirante, imposa le culte de la « race germano-scandinave » (ou Nord-Aryenne), d’où devait naître, au bout de mille ans de reproduction dominée par le racisme et l’eugénisme, cette Surhumanité rêvée par un autre paranoïaque délirant, Friedrich Nietzsche.
Le nazisme et le marxisme débouchèrent sur la guerre la plus totale jamais vue et sur une série de génocides. Le marxisme accumula infiniment plus de cadavres que le nazisme, qui, ayant ciblé ses victimes, fut davantage diabolisé… d’autant que bien des historiens, des sociologues et des journalistes furent marxistes avant les années 1980-1990, où cela devint subitement inopportun.
De nos jours, toute spiritualité semble avoir disparu du discours médiatique. Dieu et l’assurance-vie éternelle ne sont plus que des produits de consommation, et moins demandés que les petits plaisirs du quotidien ou des vacances : prier ou se repentir sont choses moins amusantes qu’un jeu vidéo, un grand voyage ou un gueuleton inhabituel. Qui faut-il en accuser : les fabricants, les agents de publicité, la qualité des produits, ou la veulerie des acheteurs ?
Il est évident qu’une grande civilisation a besoin de mythes fondateurs. Moïse, Jésus de Nazareth et leur émule Mahomet, l’oncle et le neveu : les grandioses Jules César et Octave Auguste, Marx (Karl), Kemal, Mussolini ou Adolf Hitler ont donné des réponses… de moins en moins durables, du fait de l’accélération non pas « de l’histoire » – c’est une expression qui ne signifie rien –, mais des techniques au service de la violence et des ambitions.
En notre époque de profond doute existentiel et de veulerie plus grotesque encore que celle du bas-empire romain, il reste deux possibilités, non liées à l’idée de divinité, mais qui ne les excluent pas : le culte des institutions, donc de l’État, et le culte des grands ancêtres.
Dans la seconde option, c’est la Nation que l’on va glorifier, voire sanctifier. De fait, toute Nation a ses grands hommes et ses femmes d’exception. En France, tous les partis – de feu l’inénarrable PCF à l’Action française, en passant par les partis chrétiens ou populistes – ont annexé, un jour ou l’autre, la pauvre Barroise – que l’on a cru Lorraine –cette Jeanne d’Arc qui inventa le catholicisme nationaliste… ce qui était effectivement une hérésie pour les théoriciens de l’Agapè chrétien.
Tout mouvement nationaliste risque fort de dégénérer en particularismes régionalistes et, vu les conditions géopolitiques actuelles, cette dérive ferait le jeu des impérialismes : celui de l’islam ou celui de la globalo-mondialisation qui ne seront pas toujours alliés.
En notre époque de gigantisme rendu obligatoire par la simple survie, face aux prédateurs cités au paragraphe précédent, le culte des institutions ne peut déboucher que sur l’option impériale, du moins pour une Europe, menacée de toutes parts.
Le schéma semble trop évident pour être accepté par les élites économiques et leurs serviteurs de la politique, des médias et de l’enseignement. Pourtant, le peuple, moins sot qu’il n’y paraît, sait fort bien que « l’union fait la force » et qu’il existe une réalité : l’Europe est le continent d’origine d’une race, même si cette évidence triviale semble un crime de la pensée pour nos « élites ».
Au fait, ces élites, qui les a ainsi proclamées ? Si par élites, l’on entend les super-riches, maîtres du jeu économique, l’on risque fort d’être déçu : la malhonnêteté, la corruption et la débauche semblent former leur trinité noire. Si par élites, l’on entend les gouvernants, les leaders des médias, les universitaires réputés ou les moins gâteux des académiciens, l’on risque également de se tromper : ils sont tous, peu ou prou, au service du seul Pouvoir actuel, l’économique.
In fine, les Nations vont devoir se sauver elles-mêmes, lorsque notre monde factice s’écroulera. Il est probable qu’elles devront choisir entre l’atomisation régionale ou l’empire fédéraliste.
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