Robert Steuckers à propos de la Révolution conservatrice allemande
La parution récente, aux éditions du Lore du second volume de l’ouvrage intitulé, La Révolution conservatrice allemande[1] de Robert Steuckers, nous donne l’occasion – plutôt rare, s’agissant d’un sujet n’ayant que très peu les faveurs de l’Université française comme celles du « public cultivé » – d’évoquer brièvement cette célèbre nébuleuse idéologique en cours durant la période weimarienne de l’Allemagne d’entre-deux-guerres.
À l’instar de son devancier, l’ouvrage traite, cependant, moins de la révolution conservatrice[2] qu’il n’offre au lecteur une compilation de conférences diverses[3] prononcées sur celle-ci. C’est d’ailleurs bien souvent à propos de cette mouvance ou en partant de cette dernière que l’auteur s’emploie à décliner des réflexions, souvent originales, sur la politique européenne ou la géopolitique du continent, imprimant à son essai des visées souvent programmatiques, ainsi qu’en témoigne sa quête, pour le moins singulière, d’un « âge d’or » révolutionnaire-conservateur (et non de la « révolution conservatrice » allemande), soit, selon l’auteur, « un âge d’or en concordance avec nos véritables racines et non pas un âge d’or qui serait le produit quelconque d’une forme ou une autre d’ingénierie sociale ; ce sera donc un âge d’or qui constituera un retour à des sources vives sans être simultanément un rejet du progrès technique et/ou scientifique, surtout sur le plan militaire. Ce retour sera donc bel et bien de facture ‘‘archéofuturiste’’ où l’avenir de nos peuples sera déterminé par des valeurs éternelles et impassables qui ne contrecarreront pas l’audace technicienne. Retourner à un âge d’or signifie donc réinsuffler de la vie à des valeurs socles qui remontent au moins à la ‘‘période axiale de l’Histoire’’ (ou ‘‘Moment Axial’’) ou, même, qui remontent à plus loin dans le temps et ont façonné l’esprit d’ancêtres plus anciens encore ».
Tout un programme, en effet, situant Robert Steuckers – qui se réclame d’une pensée organiciste et vitaliste d’inspiration nietzschéenne – sur un positionnement classiquement national-révolutionnaire, à moins qu’il n’appartînt à un courant, non moins classique, d’une certaine droite techniciste et réactionnaire. Bien que l’auteur s’assigne à mettre ses pas dans ceux d’Armin Mohler qui fut le secrétaire particulier d’Ernst Jünger, mais, surtout, l’auteur d’une thèse de doctorat remarquée (et remarquable à de nombreux égards, bien que non exempte de critiques auxquelles, plus tard, il s’efforcera de répondre, en particulier s’agissant de Carl Schmitt dont l’appartenance à la « Deutsche Konservative Revolution » paraissait plus que sujette à caution[4]) sur la Révolution conservatrice allemande[5], on notera sa dilection pour un penseur comme Heidegger qu’il juge comme le meilleur antidote au nihilisme, cet « oubli » métaphysique de « l’être » fondamental européen observable dans l’Allemagne de Weimar. Notant que pour l’auteur de Sein und Zeit, « l’être est pure potentialité et non pure présence », Steuckers dévoile un des principaux ressorts de la Révolution conservatrice (notamment, parmi les « images conductrices » de la RC, ses deux principales déclinaisons que furent les « jeunes-conservateurs » et les « nationaux révolutionnaires ») pour les tenants de laquelle, « la révolution philosophique du XXe siècle se réalisera lorsque les Européens s’apercevront que l’être n’est pas, mais qu’il devient ».
Si le lecteur de ce foisonnant essai peut parfois se trouver déconcerté par l’impressionnant maelström de références bibliographiques et linguistiques (renforcé, faut-il le reconnaître, par une absence de plan académique et systématique qui aurait permis d’appréhender d’un rapide coup d’œil, le fil rouge de la pensée tourbillonnante de l’auteur) qui émaillent ses quelque 330 pages denses et ramassées, celui-ci ne manquera pas de rendre hommage à la qualité esthétique des ouvrages des Éditions du Lore qui confère à l’objet-livre, son plus beau savoir-faire.
Notes
[1] Sous-titré, « sa philosophie, sa géopolitique et autres fragments ». Le premier, intitulé La Révolution Conservatrice allemande : biographie de ses principaux acteurs et textes choisis, est paru en 2014.
[2] Hormis, peut-être, sa conférence prononcée à Lille, le 27 juin 2014, reproduite et amendée dans l’ouvrage.
[3] Souvent répétitives, l’essai ne répondant à aucune construction académique et systématique.
[4] Nous avons battu en brèche cette « appartenance » dans notre « Qui Suis-Je » Carl Schmitt (Pardès, 2017) en démontrant que l’auteur de Théologie Politique surplombait bien plus cette mouvance doctrinale qu’il n’en était un des inspirateurs. Par ailleurs, on note que Steuckers (notamment par sa référence itérative à Kairos, le dieu grec du « bon moment ») n’échappe pas à un tropisme « romantique » duquel Schmitt entendait, précisément, se démarquer estimant que le romantisme entendu comme « occasionalisme subjectivé » était foncièrement impolitique.
[5] Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932.
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