Le chef de la diplomatie allemande a beau marteler que les dĂ©putĂ©s allemands ont votĂ© « en toute indĂ©pendance » leur reconnaissance du gĂ©nocide armĂ©nien par la Turquie il y a un siĂšcle, cette derniĂšre nâentend Ă©videmment pas laisser passer un tel affront ; la rĂ©ponse du berger Ă la bergĂšre ne sâest pas fait attendre : « Dâabord, vous brĂ»lez des juifs dans des fours et ensuite vous venez accuser le peuple turc de cette calomnie de gĂ©nocide », a dĂ©clarĂ© le ministre de la Justice turc Bekir Bozdag (citĂ© par le quotidien Milliyet).
Encore et toujours le passĂ© nazi de lâAllemagne qui lui colle aux fesses, pire quâun sparadrap aux doigts du Capitaine Haddock.
AprĂšs lâouverture de ses frontiĂšres aux migrants lâannĂ©e derniĂšre, Angela Merkel a-t-elle tentĂ©, Ă nouveau, de le faire oublier par cette initiative parlementaire, car qui pourrait un instant imaginer quâelle nâa pas Ă©tĂ© Ă la manĆuvre de ce vote « historique » dont la rĂ©solution ne peut, effectivement, que « sĂ©rieusement affecter les liens turco-allemands », comme a immĂ©diatement rĂ©agi le prĂ©sident turc Erdogan, sitĂŽt le vote acquis.
Rappelons quâil y a dix ans, en 2006, la France avait dĂ©clenchĂ© les mĂȘmes passions en faisant voter une loi pour sanctionner ceux qui auraient la vilaine idĂ©e de douter du gĂ©nocide armĂ©nien par les Ottomans (1) !
Le prĂ©sident de lâĂ©poque, Jacques Chirac, toujours grand donneur de leçons devant lâĂternel et du ProphĂšte Ă lâoccasion, avait ramenĂ© le sujet sur la table aprĂšs sa visite en ArmĂ©nie : « Tout pays se grandit en reconnaissant ses drames et ses erreurs », avait-il dit.
On veut bien le croire. On veut bien croire aussi dans la rĂ©alitĂ© de ce gĂ©nocide quâĂ part les Turcs, un peu coincĂ©s, voire mĂȘme franchement butĂ©s sur le sujet, personne ne songe Ă nier, sinon peut-ĂȘtre en ce qui concerne son ampleur rĂ©elle, tout comme pour dâautres sanglants drames de lâHistoireâŠ
Mais que peut bien gagner un pays Ă remuer ainsi la fange dâun passĂ© qui nâest pas le sien ? Pour certains, la cause est entendue : il y a environ 500 000 Français dâorigine armĂ©nienne en France et, en 2006, ce nâĂ©tait pas rien Ă quelque mois alors dâune Ă©lection prĂ©sidentielle⊠Mais en Allemagne, ils sont Ă peine 42 000, pas de quoi envisager un trĂšs gros intĂ©rĂȘt Ă©lectoral, dâautant que les citoyens turcs y sont plus dâ1 600 000 et plus de 2 500 000 dâorigine turque (estimation en 2009)âŠ
Alors quoi ? LâAllemagne dâaujourdâhui entend-elle seulement emboĂźter le pas Ă la France qui nâaime rien tant quâĂ donner des leçons ?
La France, on le sait, subit son passĂ© colonial ou lâattitude de certains Français durant la derniĂšre guerre mondiale, ses innombrables guerres civiles (de lâAffaire Dreyfus Ă la Saint-BarthĂ©lemy en passant par La terreur rĂ©volutionnaire ou La Commune), son Ancien RĂ©gime fleurdelisĂ©, jâen oublie et des pires encore, certains nâhĂ©sitant pas Ă dater sa responsabilitĂ© de lâĂ©poque glaciaire pour le moins⊠LâAllemagne, elle, subit Ă longueur de temps son passĂ© hitlĂ©rien : serait-ce donc pour « faire passer ce passĂ© qui ne veut pas passer » (comme chantait LĂ©o FerrĂ©), que toutes les occasions sont bonnes Ă tenter, comme semble sâen ĂȘtre persuadĂ©e lâactuelle chanceliĂšre de Berlin ?
Franchement, lâhĂ©catombe armĂ©nienne, câest bien du malheur, certes, seulement est-ce quâelle nous interpelle vraiment ? Non ! Ni plus, ni moins que le massacre des Indiens dâAmĂ©rique ou celui des Biafrais africains, des enfants irakiens morts du blocus amĂ©ricain de leur pays Ă la fin du siĂšcle dernier, des Hutus massacrĂ©s par les Tutsis (ou le contraire !), des musulmans bosniaques, et de toutes les autres tueries organisĂ©es dont la liste Ă travers lâhistoire des peuples nâen finit pas de sâallongerâŠ
Pourquoi en serait-il autrement, dâailleurs ?
Le massacre des VendĂ©ens, par exemple, nous empĂȘche-t-il de dormir ? Et tous les guillotinĂ©s de la « sacro-sainte RĂ©volution française » hantent-ils nos nuits ?
Dâici Ă ce quâil prenne Ă lâidĂ©e des Turcs de le rappeler Ă notre grande patrie des droits de lâhomme, comme ils nâont pas manquĂ© de le faire pour son passĂ© Ă croix gammĂ©e Ă notre voisine dâoutre-Rhin, puis, pourquoi pas ! de rappeler les cent millions de morts du communisme aux Russes, aux Chinois et Ă toutes les anciennes dĂ©mocraties populaires !
Ne doutons pas que lâactuel MaĂźtre dâAnkara soit en train dâaffĂ»ter les longs couteaux compassionnels de lâHistoire⊠Au cas oĂč !
Note
(1) Le samedi 24 avril 1915, Ă Istanbul, capitale de lâempire ottoman, 600 notables armĂ©niens sont assassinĂ©s sur ordre du gouvernement. Câest le dĂ©but dâun gĂ©nocide, le premier du XXe siĂšcle. Il va faire environ 1,2 million de victimes dans la population armĂ©nienne de lâempire turc (source : http://www.herodote.net/histoire04240.htm).