7 novembre 2017

Livre Blanc pour une Europe Nouvelle

Par Richard Dessens

 

 

Incohérences orientées et retours en arrière contradictoires s’entrechoquent chez nos élites européennes quant à leur conception de l’Europe de « demain ». Celle d’aujourd’hui est déjà incompréhensible, alors celle de demain inquiète encore plus.

D’un côté, on nous explique depuis 1918 que « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » est un principe intangible démocratique suite à l’éclatement des Empires d’Europe centrale. Une première mosaïque de régions-nations étatiques se dessine avec les Traités d’après-guerre, ce qui permet, au passage d’affaiblir l’Allemagne honnie.

Bal à l'Hôtel de ville de Vienne (Wilhelm Gause, 1904).

Bal à l’Hôtel de ville de Vienne (Wilhelm Gause, 1904).

Après 1945, le temps des États-Nations revient en force en Europe de l’Ouest ainsi qu’en Europe de l’Est, mais ici, avec une « souveraineté limitée » selon la formule savoureuse du regretté Brejnev…

Alors, avec la construction européenne pilotée par les « Six » et surtout par l’Allemagne et la France réconciliés sur des intérêts économiques habillés de promesses de paix perpétuelle, le principe d’États-Nations puissants capables de peser dans l’économie-monde qui se dessine progressivement, ainsi que vis-à-vis des USA dont on veut alors s’émanciper, se renforce dans un climat de croissance exceptionnelle de l’Allemagne et de la France notamment.

Avec les élargissements de l’UE des années 2000-2010, suite à l’implosion de l’URSS, voilà revenir « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » : scission tchécoslovaque, pays baltes, morcellement de la Yougoslavie, velléités diverses microcosmiques partout en Europe centrale et de l’Est, Ukraine comprise, et Caucase. D’un coup on avance les arguments d’autonomie légitime des peuples sur fond de guerres sanglantes. Et revoilà l’Europe (sauf les quatre grands États, hors Grande Bretagne) morcelée à nouveau et dans une situation encore pire qu’après 1918. Au nom des « grands principes » démocratiques et du respect des peuples. Dans le même temps le Traité de l’Union Européenne garantit le respect de l’intégrité territoriale des États européens interdisant toutes tentatives sécessionnistes dans les « Grands États » par conséquent, car pour les autres, c’est déjà fait !

À se demander quelles sont les véritables visées de cette Europe à 36 vitesses et conceptions contradictoires pour le moins. Bien sûr on trouve toujours des arguments de circonstances pour justifier ce qui pourrait légitimement apparaître comme des atermoiements incohérents. Deux poids deux mesures. Ceci étant on ne s’y retrouve pas au plan des principes qui, eux, devraient être les mêmes pour tous.

Une première approche montre une Europe qui se satisfait en réalité très bien d’États dominateurs, France et Allemagne, et même Italie, c’est-à-dire des États à PIB égaux ou supérieurs à 2000 milliards d’euros, face à une myriade de petits États aux PIB compris entre 10 et 350 milliards d’Euros pour la plupart, en situation de dépendance totale des trois « Grands États ». L’hégémonie principalement de l’Allemagne au plan économique, et de la France au plan d’un rayonnement politique à son titre de « mère » de la démocratie depuis 1789, fait penser à une autre hégémonie, celle des USA sur une grande partie du monde dont les pays sont des succursales des gigantesques firmes multinationales américaines, avec des économies spécialisées et totalement dépendantes des pays riches. Certes, l’Europe se situe à une moindre échelle, mais le système est régionalement le même par des chemins différents.

Ainsi une Europe volontairement déséquilibrée entre France et Allemagne d’un côté, puis une Italie puissante mais avec une moindre influence politico-économique en Europe, et d’un autre côté une vingtaine de régions-États à leur disposition et enchaînés par leurs intérêts propres.

On comprend mieux ainsi que les poussées autonomistes ou sécessionnistes de la Catalogne, de la Lombardie-Vénétie et potentiellement d’autres par contagion, aux PIB bien supérieurs à nombre de Régions-États d’Europe, soient sévèrement contrôlées. Pas question de démanteler les « patrons » de l’Europe en affaiblissant leur puissance. Ce qui est bon pour la Tchécoslovaquie ou la Yougoslavie, ou d’autres, ne l’est pas pour les poids lourds économiques qui entendent bien le rester. Où est la logique politique là-dedans ? Ainsi la logique du raisonnement n’est pas celle d’un développement de l’Europe, mais du seul développement de l’Allemagne d’abord et éventuellement de la France ensuite. On est alors ravi en réalité de voir partir la Grande-Bretagne à la logique différente et peu impliquée dans le petit jeu de la domination de l’Europe continentale. Chasse gardée franco-allemande. Le Brexit ne fait verser que des larmes hypocrites de crocodile.

L’Allemagne compte 16 länder dont 8 ont des PIB compris entre 100 et 550 milliards d’euros et 3 supérieurs à 370 milliards. De véritables états dans l’État. En outre certains länder ont de longues traditions d’indépendance (Bavière, les deux Rhénanie…) et ne sont unis que depuis un siècle et demi à peine.

La France pose d’autres problèmes avec une tradition régionaliste écrasée sous le joug des républiques successives qui ont œuvré farouchement contre les identités des anciennes Provinces. De plus, les Français, pour être très différents de Nice à Dunkerque et de Strasbourg à Brest, ne manifestent plus de revendications autonomistes. Le temps du FLB et du Pays Basque est passé. Enfin la suffisance de la France quant à ses racines centralisatrices révolutionnaires et son illusion de rayonnement mondial à tous les niveaux maintient un esprit relativement unitaire apparent. Il n’empêche que la loi NOTRe ramenant à 13 les régions françaises en faisant de véritables Euro-Régions, est un commencement de reconsidération d’une situation unitaire factice et peut-être résignée, par ailleurs.

L’Italie, quant à elle, était une mosaïque d’États il y a encore peu de temps et sa tradition de régions souveraines est encore fortement ancrée dans ses gènes.

Ces quelques considérations amènent à revoir différemment la construction d’une véritable Europe dont la puissance s’appuierait sur les identités charnelles de peut-être 80 Régions-États aux PIB plus équilibrés entre 150 et 500 milliards d’euros, aux échanges et relations plus égalitaires, permettant des croissances plus fortes.

Mais tout ceci n’est possible qu’avec la constitution d’un État fédéral européen investi de puissances régaliennes fermement établies : Affaires étrangères et Défense notamment, pour parler d’une seule voix dans le monde et assurer la défense de l’Europe sans conteste.

Les déséquilibres européens au profit des Grands États sont la cause fondamentale de la crise de l’Europe et de ses tentatives de replâtrage sans lendemains. Il en ressort une lassitude tantôt résignée tantôt prenant des formes agressives de peuples qui se sentent perdus ou abandonnés, ou méprisés, ou encore soumis. Une faiblesse endémique aussi d’Européens devenus la proie facile d’un monde en conquête, anesthésiés par les litanies sirupeuses des bien-pensants intelligents, des dirigeants des grands pays d’Europe qui n’ont, en réalité, que l’objectif de se développer au détriment des autres peuples européens. Cette offrande de moutons qu’on mène à l’abattoir de l’Histoire de l’Europe ne peut être stoppée que par une régénérescence des Régions-États et le retrait des deux ou trois Grands États hégémoniques, véritables fossoyeurs de l’Europe en réalité, dans le contexte de notre époque nouvelle. Enfin, cette Europe bancale constitue en fait un risque de guerres futures intérieures lorsque les « petits » États secoueront, encore une fois, le joug des puissantes économies égoïstes voulant, en plus, leur imposer leurs visions de la « démocratie » et de leurs « valeurs » œcuméniques.

Utopie ? Rêve ? Calembredaines ? Délire ? Les grands changements partent souvent de grandes utopies finalement très concrètes lorsqu’une véritable volonté politique veut changer l’ordre des choses. Ne comptons pas sur Macron et Merkel, les bonbons « M&M’s» de l’Europe, pour faire autre chose qu’aggraver leurs hégémonies. Homme et femme du passé, on peut leur opposer une future Europe Nouvelle.

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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