Otage des États-Unis
L’annonce a saisi d’effroi et de colère les habitants de Belfort, ce 28 mai 2019. General Electric supprimera bientôt 1 050 emplois sur les sites de Belfort, de Bourgogne et de Boulogne-Billancourt, principalement dans le secteur des turbines à gaz. Sur les 4 000 salariés belfortains, cette branche fait travailler 1 900 personnes. Plus qu’une saignée, il s’agit d’une hémorragie voulue par la multinationale étatsunienne.
Quand cette firme s’est emparée d’Alstom Power, un des plus beaux fleurons industriels français, sa direction outre-Atlantique promettait d’embaucher plus de mille personnes, surtout en Franche-Comté. Une fois le bradage d’Alstom opéré et après avoir reçu de coquettes sommes de la part de l’État et des collectivités territoriales, le géant yankee est revenu sur son engagement et a commencé à se retirer de l’Hexagone. Incroyable coïncidence ! Normalement destinées à l’usine de Belfort, deux turbines de 50 Hz seront fabriquées sur le site de Greenville en Caroline du Sud. Le savoir-faire technique français est ainsi pillé !
Cette nouvelle et triste péripétie intervient quelques mois après la parution d’un ouvrage remarquable, Le piège américain. L’otage de la plus grande entreprise de déstabilisation économique témoigne (JC Lattès, 2019, 396 p., 22 €). Assisté par le journaliste à L’Obs Matthieu Aron, Frédéric Pierucci raconte sa prise d’otage par le régime étatsunien. Président de la filiale chaudière d’Alstom en Asie, ce Français est arrêté à l’aéroport de New York par le FBI, le 14 avril 2013, et accusé de corruption d’élus indonésiens pour la construction d’une centrale électrique à Tarahan. Cette affaire ne concernerait pas les États-Unis s’il n’existait pas le FCPA, une loi de 1977 qui lutte contre la corruption d’agents publics à l’étranger. Ce texte accorde au Department of Justice (ou DOJ), soit le ministère fédéral de la Justice, un droit extraterritorial d’enquête si un moindre élément (un courriel passant par un serveur installé aux États-Unis, l’usage du dollar ou l’emploi de composants made in USA) intervient dans un quelconque processus de corruption.
Les États-Unis appliquent leur fantasme puritain de transparence totale afin d’éliminer toute concurrence étrangère néfaste à leurs propres entreprises. En État voyou parfait, Washington condamne à de lourdes amendes BNP Paribas, Commerzbank, Crédit Suisse, etc., et leur impose la présence à leurs frais de mouchards officiels.
D’abord désorienté, Frédéric Pierucci comprend peu à peu qu’il n’est qu’un simple pion dans la vente forcée de la branche énergie d’Alstom à son principal concurrent. Le ministre français du Redressement productif, Arnaud Montebourg, mène un combat courageux contre une scandaleuse appropriation. Mais François Hollande le désavoue, puis le remplace par le sémillant Emmanuel Macron qui autorisera finalement la cession avec l’appui discret, influent et décisif des milieux sarközystes.
Frédéric Pierucci passe une quinzaine de mois en détention provisoire à Wyatt, une prison de haute sécurité. Il faut qu’il craque pour mieux ensuite dénoncer les pratiques d’Alstom. Dans un environnement ultra-sécuritaire, il se confronte au système judiciaire étatsunien, le plus pourri du monde. En comparaison, la justice soviétique de Staline en 1938 était bien plus équitable et humaniste ! Aux États-Unis, le fric constitue l’unique référence. En effet, « les personnes poursuivies se retrouvent face à un procureur qui enquête exclusivement à charge. […] Du coup, les inculpés se retrouvent contraints de payer de leur poche les analyses de documents, les contre-expertises, ou la recherche de témoignages qui pourraient peser en leur faveur ». Avec un système ubuesque de grille judiciaire, de peines planchers et du plaider coupable, « les détenus se retrouvent donc totalement à la merci de procureurs surpuissants qui ont toutes les cartes en main pour les inciter à plaider coupables, précise-t-il. Résultat : le DOJ a un taux de réussite en matière pénale digne de résultats d’élections sous Ceausescu : 98,5 % ! Cela veut dire que 98,5 % des personnes mises en examen par le DOJ sont au bout du compte reconnues coupables ! ».
D’abord payés par Alstom, les avocats de Frédéric Pierucci, pieds nickelés de première, ne cessent d’agir en amateurs. Pis, Alstom le licencie pour son absence fortuite ! L’otage français constate par ailleurs les méfaits quotidiens du libéralisme. Les prisons étatsuniennes sont gérées par des sociétés privées qui recherchent le maximum de profits. « Tout est payant à l’intérieur de cette prison, explique-t-il encore. Même les choses les plus élémentaires et les plus vitales pour la vie quotidienne du prisonnier, comme le savon, le dentifrice, la brosse à dents, les sandales de douche et… le verre en plastique ! »
Après quatorze mois passés à Wyatt, Frédéric Pierucci rentre enfin chez lui. Jugé et condamné à l’automne 2017, il retourne aux États-Unis purger une peine inique dans un pénitencier de Pennsylvanie. Définitivement revenu en France le 25 septembre 2018, il livre ce témoignage poignant et accablant dans lequel il annonce le désengagement de General Electric à venir. Son livre confirme l’indécente soumission des pseudo-élites hexagonales envers les États-Unis d’Amérique. De fait, qui aura l’audace d’éradiquer ce vrai nid d’espion qu’est l’ambassade étatsunienne si près de l’Élysée ?
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