Aux secours du malheureux gazetier trop souvent livré à lui-même
Il est de bon ton aujourd’hui de faire porter aux journalistes tous les maux de la terre.
Un ami chez qui je déguste un original whisky celto-allobroge, souligne que, composant ses « Pêcheurs de perles », Georges Bizet ignorait que des décennies plus tard son titre ferait la joie d’autres travailleurs de l’amer plongeant dans les flots délirants de chroniqueurs pour y recueillir les incongruités susceptibles de distraire un lectorat écrasé par la dureté des temps. Et de me faire lire quelques exemples incontestables de ces légers dérapages incontrôlés.
Dans un quotidien régional du Midi, un forçat de la plume rend ainsi compte d’une messe dite pour le repos de l’âme de Louis XVI : « Sollicité à la fin de l’office, le prêtre ne cachant pas une certaine distance idéologique avec le public du jour, préférait parler d’une messe en l’honneur des morts de la Révolution en montrant le cataplasme, objet central du culte de ce jour : tombeau symbolisant ces cimetières où se confondaient, durant la terreur, les dépouilles des royalistes et des républicains. »
Impitoyable, mon interlocuteur considère comme opportun de rappeler la signification argotique du mot « cataplasme » et de son synonyme « emplâtre » : individu un peu niais et surtout collant dont on se passerait bien de sa présence.
Il faut objectivement reconnaître que l’utilisation d’un cénotaphe est devenue rarissime et qu’en aucune façon l’École nationale supérieure de journalisme de Linards (canton d’Eymoutiers – Haute Vienne) ne peut être tenue responsable de ce lapsus commis par l’un de ses anciens élèves.
Toujours aussi teigneux mon hôte me fait découvrir dans le supplément dominical du même journal, qui par ailleurs met excellemment en valeur les richesses régionales, que « classé aux Monuments Historiques depuis 1907, le retable de l’église Notre Dame de Saint-Laurent de Jézeau (Hautes-Pyrénées) est composé de quinze panneaux peints et de trois niches qui abritent des statuts du XVe… » Sans doute lesdits statuts ont-ils été gravés dans le marbre de Saint-Béat ou de Sarrancolin. On a les statuts qu’on mérite ! Comme dirait la Marseillaise de l’Arc de Triomphe : « C’est Rude ! » Mais à tout péché miséricorde ! Non ?
Pinailleur comme pas deux, tout en me faisant goûter un scotch andorran, il m’exhibe un titre qu’il qualifie d’inepte : « Les anciens jeunes étaient de sortie » et de me demander où étaient retenus les futurs anciens ?
Un peu de fantaisie ne fait pourtant de mal à personne. Quel raseur !
Ma mansuétude le surprend et, décidé à ne rien lâcher, il m’attire sur le terrain prétendument plus sérieux de la Société et de la Politique.
Pour preuve d’un manque d’objectivité flagrant, il secoue la « Une » de son quotidien : « Femme décapitée dans l’Hérault – Le suspect, un ex-boxeur candidat F.N. dans le Nord ». Titre simplement accrocheur ou fruit d’un militantisme sournois intrinsèquement condamnable ?
Restons calme… l’affaire est développée dans les pages intérieures… On découvre que le suspect, s’il a été sympathisant du F.N. n’y a jamais été adhérent, son inscription lui ayant été refusée. Néanmoins, il a bel et bien été candidat à Hautmont, fief de Marine Le Pen, oui, mais sur une liste de l’U.M.P. Nul n’est parfait !
Allons… Bien que déontologiquement ce soit interdit, le journaliste peut parfois se laisser emporter par le vent tourbillonnant d’une actualité tempétueuse qui menace les principes fondamentaux d’une république qui a par ailleurs bien du mal à maintenir un quelconque cap. Et le malheureux plumitif livré à lui-même de tirer des bords plus que désordonnés pour assurer ne serait-ce que sa survie professionnelle.
Mais à qui la faute ? Au rédacteur en chef qui a laissé la barre à un moussaillon tout juste bon à naviguer à bord d’une embarcation sans permis sur le canal du Nivernais pris par les glaces.
Mon inaltérable bienveillance à l’égard des plumitifs fait sortir mon détracteur de ses gonds.
Outre une bouteille de blended malt corse, il brandit frénétiquement sous mon nez le compte rendu d’une enquête dont le titre peut sembler provocateur : « Comment réparer la démocratie ». Il faut préciser que le bonhomme est un républicain qui, non sans mal, n’arrête pas de poursuivre la marche ondulante et péripatéticienne de Marianne afin d’assurer ses arrières et la protection de ses sacro-saintes vertus.
Je lui fais remarquer benoîtement que, en ces jours où le concept de laïcité est menacé à chaque instant, le qualificatif de « sacro-saint » devient séditieux et que celui de « fondamental » serait plus approprié.
Je poursuis en soulignant que le journaliste le plus honnête peut devenir parfois, « à l’insu de son plein gré », un disciple de Saint Jean Bouche d’Or, notamment lorsqu’il doit titrer un article consacré à la désaffection de l’électorat national. La proposition mérite toutefois d’être approfondie.
« Comment réparer la démocratie ? »
Cela sous-entendrait-il que cette forme de gouvernement est vraiment en panne, où que simplement l’une de ses ailes, droite ou gauche, voire les deux, vient d’être électoralement enfoncée ? Si c’est le cas il suffit de passer une annonce du genre : « Conseil constitutionnel recherche carrossier en chars de l’État ayant au minimum une expérience de cinq républiques. Monarchiste s’abstenir ».
Et si la panne affectait le moteur ? Les courroies de transmissions très utiles en bas régime républicain ont peut-être lâché ou encore une bielle a-t-elle été coulée comme une vulgaire commande de sous-marins… Pas de panique, il suffit d’effectuer un échange standard de constitution. Les débarras des partis politiques en regorgent et, qui plus est, il y a belle lurette qu’elles sont hybrides, ce qui est bon pour la planète.
Devant l’emportement de ce démocrate vertueux, je me dois de le rassurer avant de tester un très original single-malt de Poméranie (pur alcool de pomme de terre). Sans vouloir l’achever (pas le verre, mais mon ami) je l’invite à faire sien le sage principe adopté par Jean Anouilh : « Je ne crois pas aux nouvelles. J’ai une collection de vieux « Gaulois » dans mon grenier, qui me suffit. J’en lis un tous les matins, en prenant mon petit-déjeuner, pour faire comme les autres. »
Mais ne perdons pas de temps, car quand il y a presse, ça purge, pardon ça urge.