Les migrants de La Croix : culpabiliser les européens
La question des migrations liées à la mondialisation libérale, celle des migrants en tant que personnes, et par ricochet de l’intégration, des violences quotidiennes et du terrorisme musulman islamiste quittent peu le devant de la scène médiatique. Rien que de très normal : c’est une des grandes questions du monde qui vient. La Croix y consacre ainsi un dossier complet le 21 février 2018.
À l’heure où la Chancelière Merkel, peu soupçonnable d’être populiste, anti-migrations ou opposée à la société dite ouverte, reconnaît, dans un entretien accordé à la chaîne télévisée N-TV, que tout n’est pas rose dans la politique migratoire que ses gouvernements successifs ont conduit, et en particulier qu’existent maintenant en Allemagne des « zones de non droit », espaces publics où se rendre « fait peur », liées au comportement des migrants ; cette même heure où le député européen Aymeric Chauprade indique, dans L’Incorrect de mars 2018, que la défense de la civilisation européenne, le refus de l’islamisation de l’Europe et l’adaptation de ce même continent aux défis technologiques du futur font partie d’un même ensemble fondamental, il paraît logique de penser que la majeure partie des médias a pris la mesure de ce qui se joue actuellement avec les migrations.
En particulier depuis le choc du Jour de l’an 2016 de Cologne, lequel a révélé, bien que masqué un temps par les médias officiels, combien l’arrivée massive de migrants en Europe depuis 50 ans a transformé cet espace jusque-là plutôt sécurisé en un espace où la violence quotidienne est redevenue une réalité prégnante, notamment pour les femmes de culture européenne. Qu’en pense La Croix, en son dossier du 21 février 2018 ?
La Une surprenante du quotidien d’obédience chrétienne
Il y a longtemps que le quotidien est parvenu à évacuer son passif intellectuel discriminatoire et antisémite, ce qui fut il y a très longtemps sa marque de fabrique. Il lui a fallu pour cela souscrire à l’air du temps, en particulier depuis les années 60 du 20e siècle et s’attacher à aller dans le sens du vent dit progressiste (par les dits progressistes eux-mêmes). Le 21 février 2018, le quotidien chrétien se propose de « Penser l’immigration » en arborant une photo choc pleine page :
Un bateau surchargé de jeunes hommes en provenance d’Afrique noire qui traverse la méditerranée, avec comme accroche : « Alors que le gouvernement présente son projet de loi sur l’immigration, « La Croix » propose huit pages de réflexions et de débats ».
Outre qu’il est surprenant que le quotidien La Croix s’affiche, en sa Une, entre guillemets, c’est l’image qui attire l’attention tant elle présente tout ce que le quotidien a refusé de reconnaître à longueur d’articles et d’éditoriaux depuis quatre ans : la photo indique que les migrations vers l’Europe sont massives, très majoritairement constituées d’hommes jeunes, noirs et africains, n’étant pas obligatoirement issus de pays en guerre nécessitant une généreuse politique d’asile, que les femmes n’y sont que peu présentes, et que cela peut être considéré comme une sorte d’invasion. Une photo pour le moins étonnante à la Une de La Croix, laquelle semble donner quitus aux courants de pensée qui critiquent depuis longtemps la politique migratoire de la France et de l’Europe, ces mêmes courants que La Croix voue régulièrement aux gémonies, appelant parfois à voter contre eux. Il n’en est évidemment rien, ainsi que le signifie clairement la légende de cette photo : « Migrants secourus en Méditerranée, en novembre 2016 ».
On va te la jouer « chrétien », mon pote ?
Toujours en Une, l’éditorial signé Dominique Greiner donne le ton dès son titre : « Trouver une réponse commune ». Un titre qui reprend très exactement les mots des évêques français, de janvier 2018. Orientation de La Croix en son éditorial ? « Répondre, c’est assumer sa part de responsabilité face à une situation que personne n’a vraiment choisie. Or, la tendance serait plutôt de reporter cette part sur les pays que les migrants ont traversés avant d’arriver en France, voir sur leurs pays d’origine. Et dans un pernicieux retournement, on en vient à taxer d’irresponsables les personnes et les associations qui ont souvent risqué leur vie pour échapper aux persécutions, aux guerres et à la misère ».
Il y a, en peu de phrases, tout le déni de réalité qui, contrairement aux apparences, explique en partie le drame des migrants : une fausse bonne conscience qui consiste à considérer l’accueil des migrants comme étant le Bien, tandis que la critique de cette volonté d’accueil serait par ricochet le Mal. Il n’est pourtant pas intellectuellement interdit de « penser l’immigration » autrement qu’en considérant l’Europe responsable (coupable ?) de tous les maux de la planète. Exemples, de façon non exhaustive : les pays d’origine des migrants ne peuvent-ils pas être considérés comme responsables des migrations (et de la misère de leurs populations) quand ils s’avèrent incapables de conserver leurs ressortissants alors que leur économie est généralement en croissance selon la Banque Mondiale (une croissance économique moyenne passée de 1,3 % en 2016 à 2,4 % en 2017, et qui peut atteindre les 4 % dans certains pays comme le Ghana), ou bien lorsque les capitales de ces pays, 70 ans après leur indépendance, et avec ces mêmes taux de croissance, ne fournissent toujours pas d’eau courante et potable à leurs habitants ; responsables aussi, les élites minoritaires de ces pays, lesquelles ne sont plus blanches ni européennes depuis longtemps, quand elles accaparent l’essentiel de la richesse produite au détriment de la majorité de la population, poussant ainsi nombre de jeunes gens à risquer leur vie en Méditerranée ; coupables, peut-être, ces mêmes élites incapables de mener à bien des politiques de démographie responsables, limitant les naissances et ainsi le processus migratoire.
Il semble qu’il y ait beau jeu idéologique, en cet éditorial de La Croix, à exempter les pays d’origine de responsabilités qui sont bien réelles. L’exemption porte aussi sur les associations d’aide aux migrants dont certaines sont pourtant aujourd’hui reconnues de notoriété publique comme étant avant tout politiques (no border) ou corrompues et complices des passeurs. En ce dernier cas, il pourrait sembler chrétien de dénoncer, dès l’éditorial, le rôle de ces passeurs et le fait inhumain que représente l’exploitation économique, par ces passeurs, des migrants. Dominique Greiner semble ainsi prêcher dans le vide en appelant de ses vœux une « réponse commune », impliquant toutes les parties, « y compris les migrants » (dont on ne voit pas quelle structure démocratiquement constituée pourrait les représenter), et en posant comme postulat une négation des responsabilités des pays d’origine dans le drame migratoire en cours, et des migrants eux-mêmes, ainsi qu’en occultant les conséquences immédiates que les migrations font peser sur les pays dit d’accueil, et plus largement la déstabilisation mondiale qu’induit le soutien aux migrations telles qu’elles se produisent actuellement.
Un dossier pour quoi faire ?
Fixé selon l’axe de cet éditorial, le dossier de La Croix échappe alors difficilement aux bavardages théoriques et bien-pensants. Avant le dossier du quotidien, la question migratoire est évoquée dans les pages politiques par un portrait de la députée LREM Élise Fajgeles, rapporteur du projet de loi « asile immigration », avec cette accroche qui étonne l’observateur : « L’histoire de sa famille juive a fait d’elle une femme sensible à la cause des migrants, ce qui n’empêche pas cette élue politique, proche de Manuel Valls, de défendre fermement les valeurs républicaines ». La référence faite d’emblée à l’historique familial juif de madame Fajgeles symbolise à elle seule ce qui empêche, entre autres, réellement le débat sur la question migratoire d’être serein : la comparaison régulièrement faite entre le drame migratoire actuel et ce qui est arrivé aux populations juives d’Europe durant la seconde guerre mondiale.
Vient ensuite le dossier « Penser l’immigration » en tant que tel, huit pages, dossier réalisé en partenariat avec France Culture, autrement dit avec un média de l’État et qui, de ce fait, a bénéficié d’un bel écho sur les antennes de Radio France, France Culture organisant ce même jour une « journée spéciale sur l’immigration », écho utile pour un quotidien qui, bien que figurant parmi les subventionnés, est à la peine sur le plan économique. Après une intéressante synthèse, bien qu’orientée en faveur des pro migrants, d’un spécialiste des questions migratoires, François Héran, sur les divers courants de pensée s’exprimant à ce sujet, le dossier se compose d’interventions d’intellectuels sur les thèmes de « la frontière, de l’hospitalité et de la diversité culturelle ».
Tout est ainsi dit en trois ou quatre mots, le « débat », pourtant annoncé en Une, n’aura pas lieu. Tout du moins, il n’aura pas lieu entre tenants de positions réellement contradictoires, condition pourtant sine qua non de tout véritable débat. Bien que postulant d’emblée un « devoir moral d’accueillir » et la nécessité de « réussir l’intégration d’une immigration venue principalement du sud et celle d’une religion nouvelle, l’islam », La Croix affirme « donner à chacun les moyens de se forger sa propre opinion » ou « de la faire évoluer ». Apparaît alors avec ces derniers mots ce qui ressort du dossier : une volonté d’éloigner les lecteurs chrétiens du journal des méchants populistes. Le fait par exemple que soit convoqué, en entrée du dossier, le philosophe marxiste Étienne Balibar, passé par toutes les couleurs du communisme, est révélateur de l’orientation générale de ce dossier et de la position globale de La Croix quant aux migrations.
On trouvera ensuite des intellectuels tels que Alain Renaut, Oliver Abel ou Pierre Manent, ce dernier étant le plus éloigné des intervenants vis-à-vis des positions du quotidien. Le lecteur ne pourra par contre pas croiser les opinions des intellectuels choisis dans ce dossier avec celles par exemple de la démographe Michèle Tribalat, des essayistes Éric Zemmour, Alain de Benoist, ou du philosophe Alain Finkielkraut. Il pourra par contre méditer à partir de graphiques et données chiffrées tendant à minorer la présence migratoire en France, ici évaluée à environ 4 millions de personnes, chiffre étonnant comparé aux estimations de Michèle Tribalat fondées sur les chiffres de l’INSEE publiés en février 2017 dans l’enquête Être né en France d’un parent immigré.
Alors un dossier pour quoi faire ? Pour prolonger, sous couvert d’objectivité (graphiques, tableaux, chiffres, intervenants prestigieux, ton faussement neutre), l’habitude prise médiatiquement de minimiser le problème migratoire en France et en Europe. Ce qui ne surprend guère quand France Culture s’associe à un dossier, du reste prolongé sur le site de La Croix par une vidéo elle-même très orientée.