La « canonisation migratoire »
Avant la publication de son livre(1) qui a remporté un certain succès, quoique en disent les biens pensants, je peux avouer sans peine que son auteur, Laurent Dandrieu, ne m’était guère familier. J’avais seulement lu quelques-uns de ses articles traitant du cinéma. Je tenais vraiment à l’écouter, car son sujet d’étude m’intéresse à plus d’un titre. J’ai assisté avec un grand intérêt à la conférence qu’il a donnée le 6 octobre 2017 à Angers. Il fut invité par le Cercle Anjou Conférences. Je vous en livre mon compte rendu, agrémenté de quelques réflexions personnelles.
Il a commencé son propos en expliquant que pour le chrétien, il existe la Patrie Terrestre et la Patrie Céleste. La fidélité à l’une ne doit nullement entrer en contradiction avec l’autre.
Pourtant Bergoglio a piteusement déclaré : « La sécurité des migrants passe toujours avant la sécurité nationale ». Cette pensée est une méprise intellectuelle, car la charité ne doit pas s’exercer à l’encontre de son devoir d’État et des intérêts de son pays. Aujourd’hui, beaucoup de catholiques détournent un verset biblique : « J’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli » (Matthieu 25-36) pour justifier leur positionnement pro-immigrationniste.
Cependant les choses sont en réalité beaucoup plus simples. L’enseignement de l’Église catholique sur ce sujet était très clair, mais il a varié dans les années soixante comme sur de nombreux autres aspects doctrinaux. Nous y reviendrons. Promouvoir l’immigration de masse, qu’elle soit légale ou clandestine, en utilisant un verset biblique sorti de son contexte reste un procédé fallacieux mais coutumier de certains.
Effectivement, la Palestine des années trente de notre ère subissait certes une invasion militaire, mais le nombre des envahisseurs, les visées politiques et sociales ne peuvent être comparés à ceux qu’endurent actuellement la France et l’Europe.
Une fois ce rapide tour d’horizon effectué, Laurent Dandrieu a très justement rappelé que l’écrasante majorité des migrants pratique une religion et des mœurs aux antipodes de celles que nous trouvons en Europe depuis 2000 ans. De fait, cette situation ne peut poser que des problèmes d’intégration, causés par leur mode de vie et les différences fondamentales existants entre les cultures. Quant à l’assimilation n’en parlons pas, nous n’en sommes plus là depuis des lustres. Concrètement la France et l’Europe se retrouvent dans une situation où elles ne peuvent plus accueillir toute la misère du monde. Toutes les analyses économiques et politiques sérieuses le confirment et le démontrent. Néanmoins vers le milieu du siècle dernier la Papauté, par les déclarations de Jean XXIII, adopta le discours de la modernité avec une facilité déconcertante.
Effectivement le Pape d’alors parlait de « mondialisation heureuse » et disait qu’il convenait de « travailler à l’unité de la famille humaine. »
Ce glissement doctrinal au détriment de la nécessité vitale a conduit nombre de catholiques, suivant benoîtement leur chef, à approuver l’accueil massif des migrants. Jean XXIII considérait que le meilleur moyen d’unir l’humanité était d’accepter cette immigration de masse. Certains considéraient cette dernière comme une nouvelle forme d’évangélisation. Le conférencier employa la formule de « canonisation migratoire » pour marquer cet état de fait. Selon lui, certains entrevoient dans l’immigration « un rêve pour l’humanité. »
Pourtant, l’actuel chef officiel de l’Église Catholique romaine a lui-même parlé « d’invasion arabe » comme « d’un fait social », tout en expliquant de manière pusillanime que « les peuples européens n’ont pas d’autres choix que de l’accepter. » Il a défendu son propos en expliquant qu’accueillir les migrants relevait d’un commandement biblique. Cependant, Dandrieu expose l’idée qu’une invasion, quelle que ce soit sa nature, reste toujours un danger. Au moment des différentes invasions barbares et de l’écroulement de l’Empire romain d’Occident, les peuples européens souffrirent réellement des coups de boutoir infligés par ces peuples venus d’ailleurs. Quand il y a un danger, une menace, il faut s’organiser pour y résister. Ainsi, lors de la bataille de Lépante(2), Saint Pie V réussit à unir de nombreux pays européens face au péril musulman. Tout ceci semble bien loin…
Dans la déclaration conciliaire Nostra Ætate(3) publiée lors du Deuxième Concile du Vatican, nous pouvons lire avec un certain étonnement : « L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. » Rémi Brague parle du « culte de la fausse ressemblance ». Cela signifie qu’il existe des similitudes en surface, qui masquent mal en réalité des divergences profondes. Malheureusement Jean-Paul II avait déclaré que les musulmans prient le même Dieu que les catholiques, ce qui constitue en tant que tel une erreur à la fois théologique et philosophique.
Tout le monde sait que Jean-Paul II a provoqué la réunion d’Assise (4) de funeste mémoire. N’oublions pas cette photo qui a fait le tour du monde, où nous le voyons embrasser le Coran devant un dignitaire musulman. Difficile dans ces conditions d’appeler à la conversion des musulmans, si ces derniers adorent le Dieu de la Bible, le Dieu d’Abraham et de Clotilde. Fâcheusement, les dérives idéologiques ne s’arrêtèrent pas avec le Pape polonais. Suite à l’assassinat du Père Hamel, égorgé par deux musulmans en pleine messe, l’ancien évêque de Buenos Aires déclara que : « s’il devait parler de la violence islamique, il devrait également parler de violence catholique. »
Comme chacun sait les attentats des trente dernières années dans le monde ont été perpétrés par des catholiques, bible et chapelet en main, le tout au nom de Jésus Christ. Comme le précise le conférencier, les catholiques prouvent constamment qu’ils ont du cœur, et l’histoire en témoigne également. Toutefois il convient de ne pas tomber dans un excès de bons sentiments qui se vautre dans un sentimentalisme irraisonné et forcément insupportable.
Accueillir en masse des migrants avec les capacités extrêmement réduites dont nous disposons, relève d’un comportement irresponsable et finalement suicidaire. Nous l’avons déjà écrit, mais l’Europe en général et la France plus particulièrement ne se portent pas bien d’un point de vue politique, économique et social. C’est le moins que nous puissions dire. Le conférencier cite Saint Thomas d’Aquin qui reprenait une idée déjà exprimée par Saint-Augustin en son temps : « Quand on ne peut aider tout le monde, la priorité est d’aider les siens. »
Dandrieu a poursuivi son propos en rappelant la vocation chrétienne de la France. Il a donné de la puissance à son argumentation en citant plusieurs passages du Testament de Saint-Rémi. Il a expliqué que Saint-Louis avait été le défenseur de l’Europe selon les propos mêmes de Gégroire IX. Le fils de Louis VIII fut également le protecteur des territoires latins au Moyen-Orient. Il existe une espèce de fil historique dans notre histoire de France, car la République a curieusement conservé, malgré sa volonté de tabula rasa dans de nombreux domaines, cette mission historique.
Dandrieu insista également sur le fait que de nombreux Papes aient appelé la France Fille Aînée de l’Église, en souvenir des services rendus par nos Rois et notre pays à la Papauté, avec notamment l’action de Pépin le Bref qui permit la constitution des États Pontificaux (donc l’indépendance des Papes à l’égard des souverains temporels). Pour notre écrivain, le catholicisme est loin d’être mort à condition que les représentants officiels de notre religion s’en tiennent à la doctrine de toujours.
Pour clore sa démonstration, il a cité le Catéchisme de l’Église Catholique sur le sujet de l’immigration. Les idées développées ne peuvent être plus claires : « Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine. Les pouvoirs publics veilleront au respect du droit naturel qui place l’hôte sous la protection de ceux qui le reçoivent. Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont ils ont la charge subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges. »
Avouez, avouons que nous en sommes loin, très loin. Il a conclu sa remarquable conférence par une idée en forme de clin d’œil taquin à nos adversaires : « Le christianisme pourrait devenir une idée neuve en Europe. »
Notes
- Laurent Dandrieu, Église et immigration : le grand malaise. Le pape et le suicide de la civilisation européenne, publié le 12 janvier 2017 aux Presses de la Renaissance (311 pages).
(2) La bataille de Lépante est une bataille navale qui s’est déroulée le 7 octobre 1571 dans le golfe de Patras, en Grèce, à proximité de Naupacte — appelée alors Lépante —, dans le contexte de la Quatrième Guerre vénéto-ottomane. La puissante marine ottomane y affronta une flotte chrétienne comprenant des escadres vénitiennes et espagnoles renforcées de galères génoises, pontificales, maltaises et savoyardes, le tout réuni sous le nom de Sainte-Ligue à l’initiative du pape Pie V. La bataille se conclut par une défaite pour les Turcs qui y perdirent la plus grande partie de leurs vaisseaux et près de 20 000 hommes. L’événement eut un retentissement considérable en Europe car, plus encore que la défaite des janissaires lors du Grand Siège de Malte de 1565, il sonna comme un coup d’arrêt porté à l’expansionnisme ottoman. C’est d’ailleurs en souvenir de cette victoire que fut instituée la fête de Notre-Dame de la Victoire, puis fête du Saint Rosaire à partir de 1573.
(3) Nostra Ætate est la déclaration du Concile Vatican II sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes. Elle est immédiatement promulguée le 28 octobre 1965 par le Pape Paul VI.
(4) Les rencontres d’Assise sont une série de rencontres interreligieuses ayant lieu dans la ville d’Assise en Italie, à l’invitation du pape. La première rencontre a été la journée mondiale de prière, le 27 octobre 1986, organisée par Jean-Paul II pour inviter toutes les grandes religions du monde à prier pour la paix. Cette rencontre, manifestant une forme alors inédite du dialogue interreligieux, sera suivie d’une nouvelle journée de prière en 1993, une troisième se déroule en 2002, et une autre le 27 octobre 2011.
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