Deux sons de cloche
Des deux côtés, chaque camp politique est en symbiose avec ses troupes médiatiques, donnant ainsi au citoyen hongrois le droit d’être exposé à peu près équitablement à deux sons de cloche. Et la crise du coronavirus n’a fait qu’exacerber cette confrontation. Sauf peut-être sur un point, où l’ensemble de la presse hongroise s’est retrouvée unanimement. La thèse du « rien ne sera plus comme avant », d’ores et déjà classique de notre vie covidienne, aura fait l’unanimité au mois de mars.
Le camp Orban anti-mondialiste
Les conclusions, elles, diffèrent toutefois. Dans le pure-player pro-gouvernemental Pesti Srácok, l’historien Márton Békés condamne le libéralisme et le mondialisme, qui selon lui sont les responsables de cette crise, ayant amplifié l’épidémie pour en faire très vite une pandémie. Dans un entretien donné au magazine Magyar Demokrata, également pro-Orbán, il explique que « la crise induite par l’épidémie […] n’est pas que la crise de la mondialisation, mais montre que la mondialisation est la crise ». Il conclut en parlant de l’archéofuturisme de Guillaume Faye. Tout le camp pro-Orbán est à l’unisson et prône le localisme, les États-nations, la fin du tourisme de masse, la nécessité de revenir à une vie plus lente et calme – ce qui a de quoi surprendre compte tenu de l’attitude pro-croissance et axée sur le tourisme de masse du Fidesz, le parti de Viktor Orbán. Ce même Fidesz a lui axé sa communication sur l’efficacité des États-nations forts. L’UE et même l’OTAN sont dénoncés pour leur vacuité, et pire, concernant l’UE, les attaques qui en proviennent font scandale et font exploser les diatribes anti-UE, le tabou de la sortie de l’Union commençant même à s’effriter dans les cercles d’intellectuels et de journalistes pro-Orbán.
Trêve de courte durée
À la mi-mars, l’arrivée concrète de l’épidémie dans le pays provoque un coup de théâtre. Pour la première fois en dix ans, l’alliance gouvernementale et les partis d’opposition semblent faire une trêve, et chantent même respectivement les louanges de la volonté de coopération de leurs adversaires. Mais l’idylle ne dure pas. Dans la dernière semaine de mars, la guerre reprend : l’opposition a refusé de soutenir la demande de prolongement des pouvoirs d’exception du gouvernement pour la durée de l’épidémie. Alors la presse pro-gouvernementale met en place une nouvelle narration : le gouvernement veut « sauver la nation » tandis que l’opposition a choisi « le camp du virus ». Côté presse d’opposition, les accusations de dictature ne prenant pas en Hongrie, c’est l’appel à la presse internationale et aux institutions étrangères qui sera choisi. La fake news de la Hongrie devenue (une fois de plus…) une dictature fait la une de toute la presse mainstream occidentale. Mais si cela ennuie Viktor Orbán à l’extérieur, en interne, cela ne sert pas à grand-chose et au contraire, donne du grain à moudre à la presse pro-Orbán.
L’opposition dispersée
Du côté de la presse d’opposition, un flottement se fait sentir. Parmi les européistes, certains crient qu’il faudrait justement plus d’UE pour pouvoir faire face à une telle crise, mais le discours ne prend pas. Le 6 avril, l’Institut Nézőpont dévoile que 78% des Hongrois sont satisfaits de l’action gouvernementale ; pire, 53% des électeurs d’opposition le sont. Le député écologiste Péter Ungár, propriétaire du média libéral de gauche Azonnali, déclare quant à lui que « [cette épidémie] nous aura prouvé l’Ouest développé et solidaire n’est qu’un conte ». Pire, même le média ultra-progressiste et pro-UE 444.hu explique le 4 avril que « l’Ouest réalise maintenant à quel point il a besoin des soignants est-européens ».
Une bonne opportunité pour l’homme fort de Budapest dont le talon d’Achille est bel et bien le système de santé saigné à blanc depuis les années 90, sous l’influence des politiques européennes, et qui voit le brain drain des médecins partis à l’étranger tout en empêchant structurellement certaines hausses de salaires dans les PECO.
La presse d’opposition tente le tout pour le tout. Elle dénonce certains éléments de l’état de danger proclamé par le parlement comme des menaces tyranniques, faisant accroire que la liberté de la presse est menacée (alors que la mesure prise par le pouvoir prévoit des sanctions contre les diffuseurs de fake news dangereuses, comme par les animateurs de sites click-bait alias « putes à clic », inventant des nouvelles de toutes pièces pour faire le buzz), ou encore que la police pourra contrôler tout le monde sans justification, preuve de la fin de l’État de droit. Or, cette disposition est prévue par la constitution en cas d’état de danger…
Si la presse d’opposition enjoignait le gouvernement à enfin commander des masques à la Chine – pourtant honnie d’habitude – en urgence début mars, 168 óra, magazine de gauche libérale, ironise aujourd’hui sur le fait que « la Hongrie va finir par être une super-puissance des masques », faisant référence au stock de près de 150 millions de masques dont dispose désormais le gouvernement. Les mesures économiques sont critiquées, mais compte-tenu de la complexité du sujet et de la valeur intrinsèque des prévisions péremptoires sur des sujets aussi hasardeux, cette stratégie ne semble pas prendre non plus.
Coups d’épée dans l’eau
Tous ces coups d’épée dans l’eau face au rouleau compresseur de la communication du pouvoir en temps de crise – qui semble à la mi-avril 2020 avoir plutôt les choses bien en main compte tenu des chiffres hongrois – n’ont pas permis à l’opposition et à ses médias, malgré une occasion en or, d’ébrécher la popularité de Viktor Orbán, qui chaque jour visite un hôpital et en poste la vidéo sur sa page Facebook. Depuis des années, l’opposition attaquait M. Orbán sur le fait de délaisser les hôpitaux, le voilà maintenant champion des hôpitaux, au grand dam de l’opposition, devenue de plus en plus inaudible depuis début avril. Le mot de la fin revient au politologue András Szakács dans les colonnes d’Azonnali : « En 2020, pour la première fois depuis 2015, une opportunité s’est donnée à l’opposition pour faire au Fidesz ce qu’il lui avait fait : le bloquer dans une narration médiatique artificielle créée par ses soins où elle, l’opposition, établirait les règles du jeu, et non plus l’inverse. Mais l’opportunité a été ratée et au lieu de prendre la main, l’opposition s’est retrouvée à devoir de nouveau réagir, en partie à cause d’elle-même, et en partie à cause des médias. »
Article originellement publié sur le site de l’OJIM.
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