Repens-toi ! Oui mais pas trop
En dépit de l’obstination d’Emmanuel Macron à considérer que la colonisation de l’Algérie par la France est un crime contre l’humanité et que rien ne saurait être mis à son crédit, il est un point au moins sur lequel tout le monde devrait s’accorder : celui d’avoir greffé un embryon de démocratie dans cette entité algérienne, créée ex nihilo. C’est en grande partie grâce à elle, par exemple, que Monsieur Bouteflika a pu prétendre être élu président de la république par le peuple algérien et exercer « un pouvoir sans partage » (hum !), du 27 avril 1999 au 2 avril 2019 et que Monsieur Tebboune lui succède aujourd’hui. Il suffit de recourir aux enseignements de l’histoire pour s’en convaincre.
À la veille du débarquement fatal de Sidi-Ferruch du 14 juin 1830, le système politique de la Régence d’Alger se fonde sur l’élection d’un dey par les officiers ottomans, ses pairs. Tout soldat turc peut théoriquement prétendre à cette désignation suprême. L’usage veut alors que, dès son accession au pouvoir, le dey soit immédiatement coupé du peuple et isolé par un véritable « cordon sanitaire » que constitue la milice des janissaires. Le dispositif ainsi établi pousse même le luxe de précautions jusqu’à séparer « l’heureux élu » de sa famille qu’il ne pourra désormais rencontrer qu’un jour et un après-midi par semaine.
Le dey ne gouverne directement que le Dar el Soltan, à savoir Alger, sa banlieue et la plaine insalubre de la Mitidja. Cela montre bien les limites de son autorité réelle. En fait l’exercice du pouvoir est délégué aux beys, tous nommés par le dey. Il en va ainsi pour les beys du Titteri (Mascara), de l’Ouest (Oran depuis 1792 date à laquelle les Espagnols ont quitté la ville) et de l’Est (Constantine). Leurs devoirs envers la Régence se limitent au versement semestriel du montant de l’impôt prescrit et à une entrevue avec le dey tous les trois ans.
La caractéristique de ce pouvoir, issu exclusivement de l’élite militaire ottomane, est son instabilité. Il suffit de se référer à la boulimie de la Régence en hommes, pour s’en persuader.
Entre 1790 et 1825, 8 beys sont destitués et 16 exécutés. Il faut dire que leur charge, accordée par le dey, au plus offrant bien sûr, constitue pour la Régence une source directe de profit, à ne pas négliger.
La charge de dey n’est pas moins instable. L’année 1809 en constitue la meilleure preuve. Ali er Rassal est étranglé le 7 février 1809. Hadj Ali, son heureux successeur, subit le même sort le 22 mars suivant. Ce printemps est marqué par l’épidémie d’une rhino-pharyngite foudroyante puisque, dès le 7 avril, le tout nouveau dey Mohammed Khanadji en est victime. Le mal devient chronique. Le 8 octobre de la même année, il emporte inexorablement le malheureux Omar, frais émoulu de la caserne des janissaires…
À ce propos, la charge d’étrangleur serait-elle plus stable que celle de dey ?
Selon le vieil adage, on ne prête qu’aux riches. Une tradition, légendaire ou non, prétend qu’en une seule journée sept deys ont été cordialement assassinés les uns par les autres. L’affaire est rapportée par Voltaire. Cet événement semble devoir être rapproché du massacre du 11 décembre 1754, historiquement établi, qui fit une dizaine de victimes.
Quoi qu’il en soit, le climat algérois est incontestablement néfaste à la santé des deys à la gorge trop sensible.
Inutile de préciser qu’en ces temps difficiles, le plus clair de l’activité du dey consiste à prévenir les conspirations qui se trament en permanence. Car dans El Djezaïr se joue quotidiennement et à guichets fermés, une interprétation à la mode levantine de la fameuse tirade shakespearienne « Être ou ne pas être… » ( à Alger , comme à Elseneur, il n’y a pas d’Hamlet sans casser des vieux). À moins que ne rôde dans les ruelles de la Casbah l’ombre de l’inquiétant Iznogoud qui inspirera des décennies plus tard le célèbre dramaturge français René Goscinny.
En accédant en 1816 à la fonction suprême, un autre Ali Khodja trouve plus prudent de dénoncer, non sans audace, l’usage existant, en se retranchant littéralement avec son harem, dans la Casbah, pour mieux se protéger des atteintes pernicieuses de l’atmosphère malsaine entretenue par des janissaires par trop étouffants. C’est à ce prix que, exceptionnellement pour l’époque, le même Ali Khodja ne périra pas de mort violente, mais plus prosaïquement de la peste.
La situation dans les campagnes n’est pas moins instable. Elle évolue en fonction de l’efficience, réelle ou supposée, des caïds, tous turcs, auxquels est confié le contrôle du territoire et de la turbulence des tribus et des confréries qui, dans bien des cas, s’administrent dans une indépendance de fait.
Les émeutes sont nombreuses. En 1813 l’Oranie se soulève. En 1814 et 1815 c’est au tour de la Kabylie de prendre les armes. Elle se révolte de nouveau en 1824.
Dans de pareilles conditions comment pourrait-on politiquement faire référence à un État, une nation, un royaume, voire simplement à une entité algérienne ? Ferhat Abbas, suppôt bien connu de la présence française en Algérie, avait parfaitement répondu à la question en affirmant : « la France n’a pas colonisé l’Algérie. Elle l’a fondée ».
Alors ! Si Monsieur Ben Bella reste à jamais le premier président d’un État nouveau-né, qui en a été la mère porteuse ?
Décidément dans ce monde désormais confit dans une repentance devenue sacro-sainte, à chacun de ses frères prêcheurs, capable de vendre la corde qui le pendra (cf. Lénine), on ne peut qu’adresser ce conseil : « Repends-toi ! »
(Pour les étourdis, il faut souligner la nuance orthographique qui existe entre le titre de cette chronique et cet ultime conseil. Ah, que notre langue française est belle et savoureuse) .
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