Récits des temps mérovingiens
Après Clovis, on pouvait espérer que l’histoire de France allait enfin commencer. Las ! Voici que s’ouvrent aussitôt trois longs siècles de décadence, ceux de la dynastie des Mérovingiens. Elle commença dans le crime et finit dans la paresse, si l’on en croit les récits hauts en couleur qu’en fait Augustin Thierry dans ses Récits des temps mérovingiens. Mais comment Clovis a-t-il ainsi pu laisser dépecer le beau royaume qu’il avait constitué ? C’est ce que les historiographes de la dynastie capétienne et de la république jacobine furent incapables de comprendre.
Ils font d’abord mine de croire qu’il n’y avait qu’une seule Gaule, appelée de toute éternité, par un décret de la providence ou une dialectique historique, à se transmuer un jour en nation française une et indivisible. Or, la Gaule, qui ne fut jamais seule et unique, ne devint jamais une seule et unique province romaine, mais quatre. Puis les Francs ne la conquirent jamais tout entière. Et pourquoi auraient-ils transmis à leur fils aîné les royaumes qu’ils s’étaient taillés à l’intérieur de l’empire ? Leurs lois les obligeaient à partager leurs possessions entre tous leurs fils.
Devenu chrétien, Clovis fut reconnu en 508 par l’empereur comme souverain de cette partie de l’empire ; et l’épiscopat le considéra comme le pendant de l’empereur (d’autant plus que celui-ci était arien). Il ne faut pas en déduire qu’il se mit en tête de transmettre ce royaume intact à son fils aîné comme s’il l’avait hérité du feu roi son père ! C’est de l’empereur qu’il tenait sa légitimité, et la couronne impériale elle-même n’était pas héréditaire. Clovis était roi des Francs, pas roi de France. Lui-même et ses successeurs régnaient sur un royaume (et encore le mot est-il impropre) composé d’autres royaumes qui avaient conservé leurs frontières propres.
L’armée continuait de combattre sous ses propres chefs, comme le faisaient les armées barbares au service de l’empire. Sous les Mérovingiens, une « grande armée » qui les assemblait toutes ne fut réunie pour la première fois que sous Dagobert Ier. Qui est, comme par hasard, le seul roi mérovingien qui ait trouvé grâce aux yeux des historiographes ultérieurs… Seuls Clotaire Ier, Clotaire II et son fils Dagobert régnèrent sur l’ensemble des royaumes francs. Mais quand ce n’était pas le cas, l’unité du monde franc perdurait.
Par la suite, les historiographes oscillèrent entre deux tentations. La première était de faire des Mérovingiens les prédécesseurs des Capétiens, au point de les affubler d’emblèmes fleurdelisés et même du blason d’azur à fleurs de lis d’or, alors que l’héraldique n’apparut qu’à l’époque des croisades. La seconde, entreprise par les Carolingiens, était de présenter les Mérovingiens comme des brutes incapables, afin de souligner les bienfaits de la nouvelle dynastie. Le tout tendant à montrer qu’un peuple ne peut se passer de roi, que le premier devoir d’un roi est de concentrer, voire de confisquer tous les pouvoirs, et que ceux qui s’y opposent sont des traîtres à la patrie.
Les chroniques de Pierre de Laubier sur l’« Abominable histoire de France » sont diffusées chaque semaine dans l’émission « Synthèse » sur Radio Libertés.
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Philippe Randa,
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