Les origines secrètes du bolchevisme (Henri Heine et Karl Marx)
Ce livre, paru en 1930 et jamais réédité jusqu’à présent, pourrait n’être qu’une étude sur les origines du marxisme, singulièrement sur les relations entre Karl Marx et les premiers socialistes français ainsi que sur les événements de la Commune de Paris… et ce ne serait déjà pas si inutile, car les bons livres sur cette question ne sont pas si nombreux, si l’on fait abstraction des ouvrages de pure propagande communiste.
Or, l’auteur nous apporte bien davantage : il évoque ce néo-messianisme, issu de la réforme du judaïsme entreprise, en terres germaniques, durant les années 1790-1830. Dans cette préface, l’on se propose de déterminer si les arguments de l’auteur ont une certaine pertinence ou si ses contradicteurs juifs et marxistes (certains appartenant à l’une et l’autre de ces deux catégories) ont eu raison de se moquer de lui, avec une virulence telle qu’elle en paraît suspecte au lecteur de bonne foi. Faut-il mordre si méchamment l’auteur d’un simple canular ? Ou bien, « Salluste » a-t-il débusqué un lièvre… du moins pour les lecteurs français, car ces choses étaient connues en Allemagne bien avant la Grande Guerre !
D’abord, qui se cache sous ce pseudonyme antique ? C’est un monarchiste français, né le 8 mars 1881, dénommé Flavien Brehier, qui apparaît dans l’histoire de la iiie République comme témoin de la défense au procès de Haute-Cour, intenté du 9 novembre 1899 au 4 janvier 1900, par le gouvernement de Pierre Waldeck-Rousseau, à des nationalistes républicains philo-juif (tel Paul Déroulède) et anti-juifs (tels Jules Guérin et ses amis), amalgamés à des monarchistes qu’ils n’avaient jamais fréquentés (cf. Plouvier, 2010, volume 2).
Cette parodie de justice, reprise des fournées de Fouquier-Tinville et ancêtre des procès staliniens, était la réponse fort médiatisée d’un gouvernement soutenu par le « syndicat dreyfusard » (qui, selon certains historiens universitaires n’a jamais existé, alors que le sieur Clemenceau, qui en était l’un des hommes forts, prétendait le contraire à l’époque), pour calmer l’irascibilité de ses soutiens financiers et médiatiques, eux-mêmes furieux et affolés par la seconde condamnation d’Alfred Dreyfus, en septembre 1899, pour des raisons qui n’avaient strictement rien à voir avec le trop fameux « bordereau » (un papier absurde dans une histoire d’espionnage), qui avait été le point de départ de sa condamnation erronée de décembre 1894.
Flavien Brehier étant un rude jouteur, à l’argumentation fort précise (sauf sur un point litigieux), ses ennemis – toujours actifs en cette seconde décennie du xxie siècle, comme le démontre l’analyse de certains sites internet – ont fait de lui, sans le moindre soupçon de preuve, un « mouchard » de la police politique. Les fossiles du marxisme, comme leurs sanglants ancêtres, ont toujours appliqué l’aphorisme de Beaumarchais : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose »… d’autant que le courage et l’honnêteté ne sont pas les qualités dominantes de nombre d’historiens brevetés, fort peu audacieux quand il s’agit de blanchir la réputation d’un individu haï de certains lobbies.
En 1913, Flavien Brehier (qui publie tantôt sous son patronyme, tantôt sous les pseudonymes de « Salluste » ou de « Gâtebois ») s’est fait connaître par un livre (réédité en 2012 par une société spécialisée dans la littérature complotiste) : Les Juifs et le Talmud. Morale et principes sociaux des Juifs d’après leur livre saint, le Talmud.
Or, le Talmud n’est pas un livre saint, mais un énorme ensemble, baroque, de textes confus et contradictoires d’une version à l’autre (celle dite de Babylone, plus complète, et celle abusivement dite de Jérusalem, alors qu’elle a été composée essentiellement en Galilée), qui est à la fois composé de multiples recueils de commentaires sur la Bible hébraïque et d’une savante formulation de la loi juive (la Halakha), alourdie d’une multitude de recueils de commentaires. En outre, il a très souvent été mal traduit en latin, en anglais ou en allemand, et Brehier a travaillé sur ces versions, en partie erronées. Son travail fut donc critiqué de façon acerbe par les Juifs qui ont vu et voient parfois encore dans cet ensemble de livres des recueils d’amour et d’humanisme (ce n’est pas tout-à-fait l’avis de l’un des leurs qui passe sa vie à étudier ces textes : Student, 2000).
En 1915, Flavien Brehier publie avec un franc succès un livre germanophobe (préfacé par Maurice Barrès) : L’Allemagne occulte. Le vieux Dieu allemand, qui sera pillé, sans être cité, par nombre d’auteurs qui ont vu en Adolf Hitler ou en Alfred Rosenberg des sectateurs d’Odin… alors même que ces deux théoriciens du nazisme condamnaient formellement (comme Göttfried Feder, moins connu, sauf des spécialistes) cette résurgence romantique d’un paganisme, jugé anachronique. Il serait temps de dissocier, chez certains historiens patentés, le véritable nazisme des élucubrations de psychotiques, tel Karl Willigut-« Weisthor », ou dans un autre registre de celles du couple formé d’Erich Ludendorff et de sa seconde épouse, Mathilde, née von Kemnitz (cf. Plouvier, 2007, volume 2, et le point de vue d’un adepte du néo-paganisme in Yeowell, 2006).
Après la Grande guerre, Flavien Brehier devient le secrétaire-général de la Ligue Française Antimaçonnique, où il travaille avec un nommé François de Saint-Christo… et nombre de polémistes confondent les deux hommes. En 1927, il fonde l’Institut antimarxiste de Paris, financé par le 2e duc Pozzo di Borgo, une personnalité en vue dans le mouvement des Croix de Feu. On perd sa trace à partir du milieu des années trente. Contrairement à ce qu’ont prétendu de nombreux polémistes, il n’a jamais été prêtre, mais il était doté d’un très « sale caractère » : c’est ce que l’on reproche généralement à ceux qui sortent de l’ordinaire.
Ce livre n’aurait probablement pas vu le jour sans la polémique, lancée par le rabbin Maurice Liber (par son article Judaïsme et socialisme publié dans La Revue de Paris) et par Léon Daudet (in L’Action française), qui fit suite à quatre articles de « Salluste » sur les relations entre Henri Heine et Karl Marx, durant les années 1840, parus du 1er juin au 15 juillet 1928, dans La Revue de Paris, un hebdomadaire alors propriété d’Edmond Frisch, comte (pontifical) de Fels.
C’est la lettre supposée écrite en 1879 par le sieur Baruch Lévy à Karl Marx – publiée en la page 574 de la livraison du 1er juin 1928 de La Revue de Paris et reprise intégralement dans ce livre – qui a déclenché l’acerbe critique du rabbin Liber, parue dans la livraison du 1er août 1928 de la même revue (aux pages 607-628 et reprise intégralement dans ce livre).
On aura l’occasion d’étudier les arguments du savant critique et ceux du non moins savant Brehier… car, de la querelle sur le néo-messianisme, c’est manifestement « Salluste » qui sort vainqueur, quand bien même on abandonnerait, comme douteuse, la lettre incriminée, devenue un grand classique de la sous-littérature complotiste et antijudaïque (depuis les continuateurs de l’œuvre grotesque de Nesta Webster jusqu’aux publications du vicomte Léon de Poncins, un auteur aux citations et aux références parfois très approximatives).
Pamphlétaires vengeurs de l’honneur juif outragé et fossiles marxistes soutiennent avec un enthousiasme jamais démenti que cette lettre est un faux (et tous citent le précédent des Protocoles des Sages de Sion).
Sur cet épineux sujet, l’on renvoie le lecteur intéressé à la réédition de 2010, où l’on démontre, en introduction, que le démarquage du texte de Maurice Joly, paru à Bruxelles en 1864, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, n’est que de peu d’importance dans ce livre, qui fut et demeure un génial manuel de politique totalitaire.
On y rappelle, en outre, que Joly a plagié le premier volume du livre d’un auteur juif de Cologne, Jacob Venedey, paru en deux volumes, à Berlin, chez Duncker en 1850 : Machiavel, Montesquieu, Rousseau. Dans ce bréviaire pour futur dictateur que sont Les Protocoles, seule leur attribution aux membres du 1er Congrès sioniste, tenu à Bâle en août 1897, constitue un faux.
Que nous apprend la lettre litigieuse, censée écrite et reçue en 1879 ? Que le peuple juif est collectivement le Messie, que son règne établira une République universelle, dans laquelle « les fils d’Israël… tous de même race et de même tradition, deviendront partout l’élément dirigeant… Ainsi se réalisera la promesse du Talmud selon laquelle, lorsque les temps du Messie seront venus, les Juifs tiendront en mains les biens de tous les peuples du monde »… en résumé, le triomphe des Juifs, grâce à la subversion sociale, le mélange des races (cité dans la lettre, comme le lecteur peut le découvrir dans cet ouvrage) et le triomphe apparent du prolétariat. On comprend la rage des bourgeois juifs, dont le rabbin Liber se fait le porte-parole, Léon Daudet l’attaquant au nom des admirateurs du poète Heine (dont le véritable prénom était Harry).
Flavien Brehier nomme « néo-messianisme » la façon nouvelle d’appréhender le Messie, attendu par les Juifs depuis le retour de l’exil civilisateur à Babylone de l’élite de Judée. Or, quand bien même cette lettre serait un faux, ce néo-messianisme est une réalité du judaïsme réformé, que cela plaise ou non au rabbin Liber ! Celui-ci a dénoncé le faux. Les fossiles communistes qui sévissent sur internet ont depuis lors accusé Brehier d’avoir forgé cette lettre, sans étayer de quelle que façon que ce soit leur accusation : après tout, Joseph « Staline » avait fait exécuter des centaines de milliers de « comploteurs » sans disposer d’autre chose que de leurs aveux obtenus par diverses formes, savantes et grossières, de tortures physiques et morales.
Le thème du peuple juif considéré comme « peuple-Messie » ou « Messie collectif » a été très largement développé à la Conférence rabbinique de Pittsburgh, en 1885 (Kohler, 1918). Au milieu du xixe siècle, un émule de Moses Mendelssohn, lui-même théoricien juif de l’émancipation du ghetto, père de riche banquier et grand-père du compositeur prénommé Felix, le rabbin né à Francfort/Main Samson Raphael Hirsch (et non Samuel, comme l’écrit Brehier par erreur) avait prédit que le code de vie pratique des Juifs serait un jour imposé à l’ensemble des Goyim… ce qui est, en partie, repris par la lettre incriminée.
Le rabbin Hirsch, lui aussi doté d’un caractère assez peu apprécié de ses contemporains, fut célèbre, dans les milieux juifs d’Allemagne et d’Autriche, pour avoir publié un fort volume intitulé Réforme du judaïsme (dont on ne parlera pas ici, l’auteur de ces lignes n’ayant pu parcourir cet ouvrage). Hirsch était un ennemi personnel de Leopold Zunz (1794-1886), dont Brehier-« Salluste » parle abondamment ; on y reviendra.
Samson Raphael Hirsch mourut en 1888, mais son élève, le rabbin antisioniste Kaufmann Kohler, émigré aux USA où il mourra octogénaire en 1926, développa longuement une idée-force néo-messianique : « Israël, le Messie souffrant, deviendra, à la fin des temps, le Messie des peuples [en hébreu, on écrirait : Goyim], vainqueur et couronné » (Kohler, 1918)… ceci également reprend l’un des thèmes de la lettre incriminée. Ou le rabbin Liber était de mauvaise foi, ou il était fort ignorant pour ce qui était l’un des fondements du « judaïsme réformé », fort bien analysé dans l’Anthologie d’Edmond Fleg (1923), dont on a du mal à croire que le savant rabbin Liber ne l’avait pas lue.
Cette ignorance, s’il elle existait, n’était nullement partagée par le riche dandy des mouvances socialistes de France, Léon Blum, qui, dans un texte fort peu fluide, écrivait de ce Messie collectif (pour lui : « la race juive », car l’homme était farouchement raciste) qu’il ne serait « pas autre chose que le symbole de la Justice éternelle » (Blum, 1897)… en toutes modestie et simplicité. André Gide, qui le fréquentait sans l’aimer outre mesure, a noté dans son Journal (entrée du 24 janvier 1914) : « Blum considère la race juive comme supérieure, appelée à dominer après avoir été longtemps dominée et croit de son devoir de travailler à son triomphe »… no comment !
Il y a mieux dans le genre. Un rabbin, professeur de l’école rabbinique de Paris, qui niait l’existence d’une « race juive pure » et n’était guère un partisan du néo-messianisme (cf. Marrus, 1985), Isidore Loeb, aurait écrit (on emploie le conditionnel, car on n’a pu retrouver le texte original et qu’on rapporte un texte publié en 1921 par un anti-judaïque notoire, Georges Batault) : « Les nations [en hébreu : Goyim] se réuniront pour porter leur hommage au peuple de Dieu… Les Juifs commanderont aux Goyim… Les richesses de la mer et la fortune des Goyim viendront d’elles-mêmes aux Juifs. Le peuple et le royaume qui ne serviront pas Israël seront détruits… Le peuple juif tout entier sera un peuple de dieux… Ce sera l’âge d’or de l’humanité ». La distinction avec les termes de la lettre litigieuse attribuée à Baruch Lévy est tellement subtile qu’elle échappe au misérable cerveau d’un Goy… reste à savoir si le texte rapporté par Batault est l’exacte traduction de la pensée du rabbin Loeb.
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Il existe une très forte tradition de subversion sociale dans les milieux judaïques et ce depuis la plus haute Antiquité (Loeb, 1892). Environ un millénaire avant notre ère, s’il faut en croire le 1er Livre de Samuel, le très riche propriétaire de maisons et de troupeaux Jonadab ben Recab voulait interdire toute propriété foncière et immobilière, en plus de soumettre son peuple à une diète austère et au retour au nomadisme dans le désert.
Le premier Isaïe, Michée, Amos, Malachie (ou les rédacteurs anonymes des livres que l’on a attribué à ces prophètes) furent également des adeptes de l’égalitarisme aspirant « au soleil de la justice » (selon la formule grandiloquente d’Isidore Loeb, 1892). Le Psaume 133 de la numérotation hébraïque (132, pour les chrétiens) propose un communisme d’habitation, celui-là même dont l’application dans la jeune URSS ne souleva guère l’enthousiasme des expérimentateurs.
Au 2e siècle avant notre ère, le Second Livre Sibyllin annonce une époque présentée comme merveilleuse, où « la terre sera commune à tous », où « tous seront égaux, sans roi ni seigneur ». Plus intéressantes encore sont les 2e et 5e parties du Livre d’Hénoch (un apocryphe du Ier siècle de notre ère, non repris par les Bibles hébraïque et chrétienne, mais que l’on commençait à bien connaître dans la première décennie du xxe siècle… et qu’en toute logique le rabbin Liber aurait dû connaître) : il y est écrit à plusieurs reprises que « le Messie viendra chasser les riches et les méchants » (cf. Lagrange, 1909). Le messianisme, à la jonction des ères préchrétienne et chrétienne, était empreint de subversion sociale.
Les Zélotes du Ier siècle (cf. Brandon, 1975), contemporains de Jean-Baptiste et de la 3e génération d’Esséniens, de Jésus et de ses apôtres et disciples, espéraient non seulement être libérés de l’occupant romain, mais aussi fonder un grand royaume de justice sociale et, par-dessus tout, voir « les Juifs devenir les maîtres du monde » ; c’est ce que leur faisait espérer le rédacteur de l’Assomption de Moïse.
Qui peut ignorer, dans un milieu rabbinique, le Psaume 2 : « Demandes et je te donnerai les nations [Goyim, en hébreu] pour héritage, pour domaine les extrémités de la Terre » ? Dans ce texte, ressassé à longueur d’années dans les synagogues et dans les célébrations familiales du sabbat, Yahvé ne s’adresse qu’à son « peuple élu », à sa « race sainte ». Certes, l’on peut donner une interprétation spirituelle du texte : la promesse de la conversion au judaïsme de l’ensemble des Goyim, mais ceci est en opposition formelle à l’ensemble des textes qui interdisent le prosélytisme (Deutéronome, Esdras, Néhémie et l’on en oublie). Le prosélyte est même présenté dans certains textes saints comme une « souillure » une « lèpre » pour Israël (le mot désigne ici le peuple hébreu).
Le problème de l’authenticité de la lettre du sieur Baruch Lévy au sieur Karl Marx n’en est plus un dans la discussion politico-religieuse, s’il demeure une petite énigme historiographique. Les thèmes de cette lettre étaient bien connus des milieux juifs, en terres germaniques, françaises et nord-américaines bien avant le premier article de « Salluste » paru dans La Revue de Paris. En outre, Brehier n’a pas tort lorsqu’il affirme que la correspondance de Karl Marx a été triée avant publication par son gendre, l’ex-communard Charles Longuet (1839-1903)… l’on pourrait ajouter que dans les lettres de Marx à Friedrich Engels, les compères ne s’intéressent nullement au judaïsme, classique ou réformé. Il s’agit de lettres échangées par deux ex-luthériens devenus des athées convaincus, jugeant que toute religion est un opium pour les peuples.
Dans un poème de jeunesse intitulé La vierge pâle, Karl Marx écrivait :
« Ainsi j’ai perdu le ciel,
Je le sais fort bien.
Mon âme naguère fidèle à Dieu
A été désignée pour l’enfer » (in Payne, 1971)… il est amusant de constater qu’un athée parle de l’âme !
Brehier a tort de parler d’un congrès antisémite tenu à Berlin en 1888, où l’on aurait présenté cette lettre. L’histoire n’en a pas retenu le souvenir (ce qui n’exclut pas la tenue d’un colloque confidentiel d’acharnés de l’antijudaïsme). Le premier Congrès antisémite répertorié s’est tenu à Dresde en 1882 et aucun délégué français ne s’y est présenté. Au second, tenu à Bochum en juin 1889 et présidé par le pasteur évangéliste Adolf Stocker, un ennemi de Bismarck, des Français ont activement participé : le scandale de la faillite frauduleuse de la Société du percement du Canal de Panama, où des escrocs juifs (mêlés à des escrocs goyim) étaient impliqués à toutes les étapes (drainage de l’épargne des Français par les banquiers, publicité mensongère dans les journaux, corruption du milieu des politiciens et des directeurs de journaux, tarification exagérée des fournitures et des travaux), commençait à exercer ses ravages.
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Dans le livre ici proposé à la sagacité du lecteur, Flavien Brehier fait du néo-messianisme juif le point de départ de la réflexion de Heine et de Marx quant à la subversion sociale, puis à l’opposition des héritiers intellectuels de Marx au sionisme, c’est-à-dire au projet de retour massif des Juifs en Palestine.
Comme origine de la transformation du néo-messianisme juif en une doctrine de subversion sociale, puis politique, « Salluste »-Brehier présente une association fort connue des historiens s’intéressant au premier tiers du xixe siècle en terres germaniques, singulièrement rhénanes, bouleversées par les idées libérales, importées des jeunes États-Unis d’Amérique du Nord, notamment l’énoncé des Droits de l’Homme dans le Préambule, rédigé en 1776 par Thomas Jefferson, de la Déclaration d’indépendance, devenu le grand message des révolutionnaires français de 1789-1815.
Cette association, créée en 1819, fut dénommée Verein für Kultur und Wissenchaft der Juden par ses trois fondateurs : Lippman-« Leopold » Zunz (1794-1886, un talmudiste de Rhénanie), Eduard Gans et Moses Morer, ces deux derniers étant négligés par Brehier avec raison : ils ne s’intéressaient guère à la politique ni à l’économie. Zunz dirige, à compter de 1822, la revue de l’association, qui périclite rapidement, faute d’abonnés et de sponsors. Zunz, partisan du judaïsme réformé, fut un spécialiste de la poésie religieuse juive et, en matière de politique sociale, ne s’est intéressé qu’à la promotion des Juifs en pays chrétiens.
Très curieusement, le rabbin Liber a contesté la traduction par « Salluste » du nom de cette société. Brehier-« Salluste » la présente en langue française sous l’appellation d’Association des Juifs pour la civilisation et les sciences… deux agrégés d’allemand sont d’accord avec cette traduction. Tout au plus, pourrait-on remplacer Association par Union et sciences, à la rigueur, par savoir… ce qui ne modifierait nullement la signification : il s’agit d’une association réservée aux Juifs visant à promouvoir les acquis modernes dans le milieu juif. La traduction du rabbin Liber Association pour la civilisation et la science des Juifs est purement et simplement grotesque : en 1819, on aurait vainement cherché plus de trois scientifiques juifs en Europe.
Quoi qu’il en soit, le membre peu riche (mais pas vraiment pauvre) d’une très riche dynastie de banquiers et de négociants juifs, installés à Bordeaux et Hambourg, Harry-Heinrich Heine, luthérien, puis athée, haineusement antichrétien, adhère à cette association, étant assez influencé par Zunz durant quelques années. Heine est fort intéressé par la destruction de la « bonne société » allemande, bourgeoisie et aristocratie confondues dans sa haine. En 1851, il en reviendra à un vague déisme, sans abandonner sa germanophobie quasi-hystérique.
L’aigreur de Heine (1797-1856) est un thème récurrent de ses biographes. Bien qu’il jouisse de confortables revenus, sans faire grand-chose pour les mériter, il se sent humilié d’être moins riche que ses oncles et cousins, et d’être obligé de s’entremettre (moyennant forte rétribution) pour défendre les intérêts de James Rothschild, face à un littérateur juif famélique et socialiste, Frédéric Steinmann, qui possède divers documents prouvant la corruption des milieux gouvernementaux du roi-bourgeois Louis-Philippe par le banquier omnipotent (in Corti, 1929). Heine parvient à ses fins, touche beaucoup d’argent, mais est écœuré par sa propre veulerie.
En outre, le poète souffre, depuis les approches de la cinquantaine, de troubles neurologiques, accompagnés de vives douleurs, et de troubles psychiques, que de charitables médecins du xxie siècle ont rapportés à des manifestations tardives d’une sclérose en plaques, voire à une maladie de Charcot ou à un saturnisme (l’intoxication chronique par le plomb) et à leurs complications dépressives sur l’humeur… ignorant (ou feignant d’ignorer) que la tradition familiale (in Blumenfeld, 1975, arrière-petit-neveu maternel du poète) fait état d’un tabès, soit des manifestations médullaires très douloureuses d’une syphilis ancienne. Ni la sclérose en plaques ni la sclérose latérale amyotrophique évoquées par les savants neurologues du xxie siècle ne peuvent expliquer ces douleurs « qui broient les os », dont se plaignait le poète… et que tous les médecins connaissent, sous le nom de « douleurs ostéocopes », dans le tabès.
Quelles sont la part d’aigreur liée aux maux physiques et psychiques et celle de la haine anti-goyim dans la genèse de son livre de haine antiallemande, Allemagne. Un conte d’hiver (de 1844), qui est indéniablement la publication la plus germanophobe du xixe siècle ?
Le livre de Brehier-« Salluste » est intéressant par l’étude de l’aspect subversif de sa pensée, généralement ignoré par les biographes du poète.
En 1844, un correspondant d’Harry Heine, le jeune Juif de Rhénanie Karl Marx, règle ses comptes avec la nation juive, en publiant un texte composé l’année précédente, en réponse au livre de l’Allemand Bruno Bauer (les deux œuvres portent le même titre : La question juive), dans lequel ce dernier estimait que les Juifs ne seraient dignes de recevoir les droits civiques que lorsqu’ils auraient abandonné leur religion sectaire, leur pratique stricte de l’endogamie. Marx répond de façon abrupte que le dieu du Juif est la lettre de change, diluant son attaque du « Juif » mythique en une cinquantaine de pages, fort peu amènes.
Lazare Bernard (ou Bernard Lazare, comme l’on voudra, cf. Plouvier, 2010, volume 1) a lourdement insisté dans son brûlot de 1894 sur « l’esprit révolutionnaire du juif », allant jusqu’à écrire cette exagération (digne des pires complotistes des xxe et xxie siècles) : « Les Juifs furent mêlés à tous les mouvements révolutionnaires ». En 1899, à la pire époque pour les dreyfusards, soit après la seconde condamnation de leur champion, il surenchérit : « J’appartiens à la race de ceux qui ont introduit les premiers l’idée de justice dans le monde » (in Marrus, 1985)… apparemment, il ignore tout du Code d’Hammourabi !
À cette époque, où il est devenu le salarié de la famille Dreyfus (cf. Plouvier, 2010, volume 2), il se recommande des grands ancêtres Ferdinand Lassalle, rejeton socialiste d’une très riche famille juive, et l’inévitable Karl Marx. Il ne parle pas de Heine, mais il est vrai qu’il estime alors (il a écrit le contraire cinq années plus tôt) que dans l’Ancien testament, l’on ne trouve nulle mention de commerce ou de l’usure… manifestement, il ne connaît pas non plus le Deutéronome, où le rédacteur interdit le prêt à intérêt entre deux Juifs, mais le recommande entre Juifs et non-Juifs, et ce grand ignorant ne connaît pas non plus le pharisien Hillel, contemporain de Jésus de Nazareth et de Saül de Tarse (plus tard saint Paul), qui avait inventé la fiction du Goy prêteur : un Juif pouvait prêter avec intérêt à un autre Juif, s’il trouvait un Goy pour assumer le rôle du prêteur.
Si le polémiste Lazare, à l’argumentation variable et très sélective, ignore Heine, un juif venu de Pologne, issu de riches négociants et professant l’anarchie, Mecilas Golberg revendique hautement la trinité Heine, Marx et Lassalle comme maîtres-fondateurs de la « Révolution sociale », qu’il estime « en marche », in Le Flambeau d’avril 1899 (c’était la 3e livraison de ce mensuel sioniste et socialiste, qui disparut, faute d’argent, avant la fin de l’année).
Le Juif venu d’Autriche pour rédiger à Paris La Vraie Parole, Isidore Singer, écrit (dans le numéro du 21 avril 1894, soit un demi-siècle après le brûlot marxiste sur la question juive) : « Karl Marx et Ferdinand Lassalle ont, à eux seuls, rendu à la cause du judaïsme plus de services que tous nos théologiens juifs » (in Marrus, 1985)… manifestement, pour cet homme, judaïsme et « révolution sociale » se confondent. N’obtenant guère de succès en France, il passe à New York.
La thèse de « Salluste »-Flavien Brehier est que la Verein de 1819 a favorisé les discussions économiques, politiques et sociales entre ses membres et n’a pas seulement eu pour buts la promotion des Juifs dans leur course vers l’obtention des droits civiques et la modernisation du judaïsme.
La réfutation des contre-arguments du rabbin Maurice Liber par « Salluste » est assez convaincante pour ce qui est du « néo-messianisme » juif et de ses relations avec les penseurs de l’époque, celle de la fin de la première moitié du xixe siècle, soit avant la création de la ire Internationale. Pour ce qui est de la iie, largement dominée par des Juifs en Europe centrale et danubienne, le rabbin se révèle plutôt malhonnête, se gaussant des noms apportés par « Salluste », alors même que celui-ci a omis de mentionner Max Adler, Heinrich Braun et Otto Bauer pour l’Autriche, Eduard Bernstein pour l’Allemagne : si la liste de « Salluste » pêche, c’est par défaut et non par excès de noms juifs comme le prétend le rabbin !
Dans l’ensemble, il apparaît que l’antimarxiste Flavien Brehier (qui fut par ailleurs l’un des premiers historiens de la Franc-Maçonnerie turque) connaît admirablement son dossier, à la différence du rabbin préposé à la défense et l’illustration de la bourgeoisie juive de France. Le problème de l’authenticité de la lettre de Baruch Lévy à Karl Marx ne pèse d’aucun poids : même privée de ce soutien, l’argumentation de l’auteur est fort solide. Quant à l’usage fait par cette lettre des fossiles marxistes et de leurs ennemis tout aussi ridicules, les complotistes, il est une source d’amusement pour l’observateur : ce n’est pas si fréquent de nos jours.
Les origines secrètes du bolchevisme, Salluste, Éditions Déterna, Collection « Documents pour l’Histoire », Introduction de Bernard Plouvier, 326 pages, 31 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.
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