L’enseignement au Moyen Âge par Pierre Riché
Pierre Riché est professeur à l’université de Paris X-Nanterre. Il a publié de nombreux livres sur le Haut Moyen Âge, devenus des classiques traduits en plusieurs langues. Avec L’enseignement au Moyen Âge (CNRS Éditions), il décrit le passage de l’éducation antique à l’éducation médiévale, raconte le quotidien des maîtres et des étudiants, analyse le fonctionnement des universités. Il revient aussi sur la transmission des savoirs, tout en analysant l’empreinte laissée par ce foisonnement intellectuel qui a structuré l’Europe pour des siècles.
Dès les premières pages, il explique « que les études présentées dans ce livre n’auraient pas pu être écrites il y a cinquante ans. Si l’histoire de la pédagogie antique était bien connue, celle du Moyen Âge était volontairement ignorée. Du moins était-ce le cas en France, où l’on parlait encore des “Dark Ages” et des affreuses méthodes de l’éducation médiévale décrites par Rabelais et Erasme. »
Heureusement que la réalité fut autre comme nous l’enseigne cet excellent ouvrage. Effectivement, le propos de Riché se montre exhaustif car « il traite également des différentes matières du programme scolaire : lecture, écriture, chant, mais aussi, ce qui concerne l’enseignement secondaire et le rôle de la mémoire, ce qu’on a appelé les arts libéraux : grammaire, rhétorique, dialectique (trivium), arithmétique, géométrie, astronomie, musique (quadrivium) ». Si seulement les humanités figuraient encore dans les programmes scolaires…
L’auteur prend aussi le soin de rappeler des vérités, hélas occultées voire battues en brèche, en ce qui concerne l’instruction aux Temps Féodaux : « Les moines et les clercs ne sont pas les seuls instruits. Hommes et femmes veulent que leurs enfants soient éduqués. À l’époque carolingienne, les traités appelés Miroirs se multiplient. Les éducateurs souhaitent qu’en les lisant, les jeunes gens se regardent et puissent s’instruire ». Malheureusement, l’auteur explique « que la pédagogie médiévale a longtemps été passée sous silence ». D’où les énormités et les mensonges qui sont colportés sur cette thématique depuis plusieurs décennies. Par ailleurs, la thèse de Riché soutenue en 1962 s’intitule Éducation et culture dans l’Occident barbare. Sans nul doute, le professeur connaît et maîtrise parfaitement son sujet.
Contrairement aux apparences et « à la différence du programme antique, l’éducation au Moyen Âge n’est pas réservée à une minorité aristocratique. Tout homme, même d’origine populaire, a droit à une formation religieuse et morale ». Riché précise également que « les filles comme les garçons doivent recevoir une éducation religieuse. Il n’y a pas de discrimination de principe ». Au cours de cette période et en dépit de la propagande de la modernité hostile au passé, les enfants ne sont pas oubliés ni mis de coté. Nous lisons : « les éducateurs monastiques qui ont tant influencé les pédagogues médiévaux ont redécouvert la nature enfantine si bien que, contrairement aux maîtres de l’Antiquité, ils font confiance aux jeunes enfants, ces êtres privilégiés que le Christ avait présentés comme des modèles à suivre ». Il poursuit son analyse en apportant un élément fondamental : « les éducateurs du Moyen Âge ne séparent pas instruction et éducation. C’est l’homme total qu’ils veulent former. Ils sont autant des professeurs que des maîtres spirituels ».
Ainsi, l’Église a eu un rôle déterminant et majeur dans la diffusion de la connaissance. Son rôle d’éducatrice et d’évangélisatrice s’est pleinement révélé au cours de cette riche période : « les moines qui prenaient en main les jeunes enfants et les adolescents se sont montrés d’excellents psychologues et ont peu à peu transformé les méthodes pédagogiques de l’Antiquité. Compréhensifs de la nature enfantine, ils ont fait preuve de modération et de discrétion. Saint Benoît a réhabilité l’enfant, regardé comme un interprète de la pensée de Dieu. Colomban et Bède le Vénérable ont fait l’éloge des vertus enfantines… »
Certains parlent souvent d’une reconnaissance de l’Europe à l’endroit de la civilisation dite islamique dans la sauvegarde des trésors de l’Antiquité. Tout ceci est faux et a déjà été démontré maintes fois. Riché rappelle donc des évidences : « l’œuvre des Carolingiens est immense. Grâce à eux, nous connaissons une grande partie des auteurs classiques, c’est-à-dire de ceux qui étaient étudiés en classe. Des milliers de manuscrits – on en dénombre près de huit mille – nous sont ainsi parvenus mais ils ne représentent qu’une infime partie de la production des ateliers de scribes. Si Virgile, Cicéron, Tacite, Quintilien, Suétone, etc. sont parvenus jusqu’à nous, c’est certainement grâce aux maîtres carolingiens. »
Tout au long de son passionnant ouvrage, Riché expose que le Moyen Âge ne fut pas un siècle obscur au cours duquel vivait une masse d’ignorants sous l’emprise tyrannique de l’Église. La réalité historique se montre bien éloignée de cette vision totalement erronée : « Le XIIIe siècle est le siècle des universités qui sont directement sorties des écoles épiscopales. La papauté voit tout l’intérêt qu’elle peut tirer de la formation de clercs instruits et elle encourage la création de ces universités, d’abord celle de Paris, puis celle de Toulouse ».
La préoccupation des élites pour les classes défavorisées ne date pas de Jules Ferry et heureusement. L’Église, par la voix de son clergé régulier et séculier, a toujours eu le souci des plus faibles et des opprimés. L’école gratuite ne date pas du XIXe. Dès le XIIème siècle, Riché explique que « pour aider les étudiants à poursuivre leurs études, des clercs et des laïcs offrent logement et couvert à des boursiers. En 1257, Robert de Sorbon donne trois maisons et une grange pour 16 étudiants en théologie. Les collèges se multiplient aux XIVe et XVe siècle. Mais à cette époque, les collèges ne sont plus destinés aux écoliers pauvres. On veut donner à une aristocratie d’étudiants de meilleures conditions de vie matérielles et de travail. Les collèges sont construits sur le modèle des abbayes, avec cloître, bibliothèques, chapelle et jardins ». L’influence de l’Église se montre décisive dans le domaine éducatif, aussi bien sur la forme que le fond comme le prouvent toutes les études historiques sur le sujet.
Cette recherche intellectuelle très bien rédigée, construite par de courts chapitres thématiques, nous plonge littéralement dans ce monde médiéval, à la fois si loin et si proche de notre époque par son mode de vie et ses préoccupations. À dire vrai, la culture et l’enseignement aux Temps Féodaux sont réellement méconnus du grand public. Riché permet de combler cette lacune en nous proposant un exposé clair, précis et passionnant consacré à l’enseignement au Moyen Âge. Cet ouvrage, accessible à tous, nous permet de bien saisir les tenants et les aboutissants d’une époque ignorée qui a littéralement façonné notre relation à l’universel, au savoir, au divin et surtout à l’infini…
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