Engagez-vous, rengagez-vous…
L’entrée de barbares dans l’empire romain commença dès le IIIe siècle. Ce ne fut pas une invasion, mais tantôt une pénétration, tantôt une immigration, qui fut en priorité le fait des barbares les plus voisins du limes. Les uns venaient faire carrière dans l’armée, d’autres étaient embauchés dans les villes ou sur les grands domaines agricoles.
Par contre, tous ceux qui arrivèrent avec des intentions belliqueuses furent vaincus. Ils furent alors réduits en esclavage, ou intégrés à l’armée, ou installés comme colons sur les terres vacantes (on les appelait les Lètes). Ce sont ces colons qui ont laissé leur noms à des localités : Allemagne ou Allemanche (Alamans), Gueux (Goths), Marmagne (Marcomans), Sermaize ou Salmaise (Sarmates), Gandalou (Vandales).
Les uns et les autres se fondirent dans la hiérarchie et la population de l’empire, dont ils adoptèrent les mœurs et la langue. Certains parvinrent à d’éminentes dignités dans l’empire. La composition de la population ne s’en trouva guère modifiée : les soldats ne venaient pas accompagnés de leur famille. Le nombre des envahisseurs.s’évalue en dizaines ou centaines de milliers, répartis sur toute l’étendue de l’empire. Or la population de l’Europe (Russie comprise) s’élevait alors à quelque 40 millions d’habitants. Plus de la moitié de cette population vivait à l’intérieur de l’empire, dont 7 à 8 millions en Gaule. Ce n’est donc pas une pression démographique qui s’exerçait,et les barbares auraient été incapables de « submerger » l’empire, même s’ils y avaient pénétré tous ! Par conséquent, le fonds de la population resta ce qu’il avait toujours été, en dépit des conquêtes celtique, romaine et barbare. L’apport des barbares s’éleva à 5 à 7 %, avec un maximum de 12 à 20 % de population d’origine germanique dans la Belgique actuelle et la Flandre.
Or l’apport de population le plus important fut celui du IIIe siècle, donc avant ce qu’on a appelé les grands invasions. C’est dans les régions les plus proches, juste au-delà du Rhin, que les peuples germaniques étaient les plus nombreux, mais ils avaient commencé d’être romanisés. Les Alamans, en particulier, étaient des voisins très perméables à la culture latine, et ce sera aussi le cas des Francs. Mais ce ne sont pas les peuples les plus proches qui, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier 406, franchirent le Rhin gelé. Ils venaient de bien plus loin, et au contraire de régions sous-peuplées.
Arrêtons-nous à cette date de 406 qui marque le début de ce qu’on appelle les grandes invasions. Comment ces invasions furent-elles possibles ?
Dès le début du IIIe siècle, la ligne de défense fortifiée, le limes, avait été abandonnée, et la frontière avait reculé jusqu’au Rhin. Le système de défense avait changé : des armées stationnées en Gaule (et composées en grande partie de barbares) se portaient sur les points menacés.
Or, le point menacé, c’était la frontière orientale, qui subissait les assauts de l’empire sassanide, si bien que les garnisons de l’ouest étaient dégarnies et que l’empereur avait les yeux tournés vers l’Orient. Ceux qui purent ainsi franchir le Rhin furent les Vandales, les Alains et les Suèves, tandis que les Wisigoths et les Ostrogoths étaient arrivés dans les Balkans : l’empereur Valens les avait laissé franchir le Danube dès 376, en échange de mercenaires utiles, notamment, dans la lutte contre les Sassanides.
Ainsi, ce n’était plus la civilisation qui venait aux barbares ; c’étaient les barbares qui venaient à la civilisation.
Cette chronique de l’abominable histoire de France a été diffusée sur Radio Libertés dans l’émission « Synthèse ».
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Philippe Randa,
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