Clemenceau le Tigre (03)
Profondément républicain mais impatient, Clemenceau est pressé que la République devienne réellement… une République. Il déclare et déplore plusieurs fois dans les années 1870 : « Le régime actuel consiste en une République nominale entourée d’institutions monarchiques ». Ces amis, qui considèrent pareillement que les choses avancent trop lentement, disent même : « Que la République était belle sous l’Empire ! ».
Clemenceau eut de nombreux adversaires politiques. Nous en retenons principalement deux : Gambetta et Ferry. Leurs différends illustrent parfaitement les oppositions de l’époque. Clemenceau attaque son ancien compagnon de route Gambetta, parce qu’il le trouve lent dans la conduite des affaires, timide voire modéré. Gambetta et ses partisans sont taxés d’opportunisme.
Voici la défense que présente Gambetta à ses détracteurs : « Cette politique, on l’a appelée d’un nom mal fait, d’un véritable barbarisme. Pour une chose mal conçue, il fallait un mot mal conçu : on l’a appelée opportunisme. Si ce barbarisme signifie politique avisée, ne laissant jamais passer l’heure propice, les circonstances favorables, mais ne sacrifiant rien, ni au hasard, ni à l’esprit de violence, on pourra tant qu’on voudra appliquer à cette politique une épithète mal sonnante, et même inintelligible, mais je dirai que je n’en connais pas d’autres, car c’est la politique de la raison, et j’ajouterai que c’est la politique du succès ».
Et Winock insiste sur un point précis au sujet de Gambetta : « sa réussite est l’instauration et la consolidation de la République, qui a permis à la bourgeoisie de laisser de côté ses frayeurs, et de ne plus confondre le régime républicain avec barricades et incendies ». Une fois arrivé au pouvoir, Clemenceau, à l’instar de Gambetta, subira des critiques de la part de certains anciens amis et d’autres lui voueront même une haine féroce (3).
Clemenceau comprendra, à ses dépens, la réalité de gouverner.
Pour Jules Ferry, Clemenceau est un homme dangereux, un exagéré comme on disait sous la Révolution en 1793. Selon Clemenceau, Ferry se présente comme un conservateur. Son jugement date du siège de Paris. L’un réclamait une solution pacifique, l’autre entendait la régler à coups de canon. Entre les deux, il ne pouvait y avoir d’entente. L’antagonisme était trop fort, d’un côté le radicalisme, de l’autre l’opportunisme, comprendre l’impatience de la révision constitutionnelle contre la prudence du républicanisme modéré. Pourtant les deux sont des laïcards, mais Clemenceau veut hâter la laïcisation du pays. Clemenceau et ses amis attaquent encore et toujours Ferry pour sa lenteur dans la conduite des affaires politiques. De plus, Clemenceau refuse toute forme d’impérialisme français, comprendre le colonialisme. Il réfute la thèse de Ferry qui expliquait que les races supérieures devaient éduquer et civiliser les races inférieures, en évoquant le bouddhisme, le confucianisme, la civilisation indienne et chinoise. Ferry finit par démissionner suite à l’affaire du Tonkin… Clemenceau avait encore réussi à faire tomber un adversaire politique.
Clemenceau continue sa carrière, qui le voit devenir Ministre de l’Intérieur en 1906. Il dit à ce sujet non sans ironie : « Je suis le premier des flics ».
La même année, le pays est frappé par des violentes grèves, dont certaines sont insurrectionnelles. Winock décrit parfaitement tous les procédés (arrestations, révocations et limogeages des fonctionnaires jugés par le régime incompétents, attaques par voies de presse, division des grévistes) par lesquels Clemenceau devient « le briseur de grèves ». Une partie de la gauche et toute l’extrême gauche voient en lui un partisan de l’ordre et donc un ennemi. Le fait de casser les grèves marque le début du divorce entre Clemenceau et la gauche socialiste, révolutionnaire et syndicaliste, qui lui reproche ses actions politiques « anti-ouvrières ». Par la suite, il devient président du Conseil. Il déclare vouloir accomplir la réalisation de la loi sur les retraites ouvrières, la loi sur les dix heures quotidiennes, améliorer la loi Waldeck-Rousseau sur les syndicats, racheter la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest en faillite, intervenir dans le contrôle de la sécurité dans les mines avec possibilité de rachat des compagnies houillères par l’État ou les particuliers, préparer un projet de loi sur l’impôt sur le revenu… Ce gouvernement ne chôme pas.
Sa grande affaire, comme chacun sait, reste l’application stricte de la loi de séparation des Églises et de l’État. Cet acte républicain fut fermement condamné par Pie X dans l’encyclique Vehementer nos (4).
Maurice Allard attaque ouvertement le gouvernement, car il considère – lui aussi – que la mise en place de cette loi se montre beaucoup trop longue. Aristide Briand lui rétorque que « la loi de séparation est une loi d’apaisement », que l’état laïc « n’est pas antireligieux » mais areligieux ».
Allard avait dit : « la religion n’est que la caricature de la philosophie » ; « ce que nous poursuivons, c’est la lutte contre l’Église qui est un danger politique et un danger social » ; « le christianisme est un obstacle permanent au développement social de la République et à tout progrès vers la civilisation. »
Il pensait même que l’éclatement de l’Église catholique en plusieurs mouvements schismatiques, devait réduire son influence sur la société, ce à quoi Jaurès le socialiste lui a répondu : « La France n’est pas schismatique mais révolutionnaire… ».
Comme quoi, la France, fille aînée de l’Église ce n’est pas rien, même pour certains socialistes. Cependant la suite des événements, avec les Inventaires, contredisent les affirmations de Briand sur cette loi d’apaisement. Les esprits s’échauffent, les catholiques résistent, s’arment et refusent que les fonctionnaires commis d’office entrent dans les lieux saints pour accomplir leurs missions. La force armée est employée mais la situation reste conflictuelle. Un mort à Boeschepe, dans le Nord, lors d’un inventaire met le gouvernement dans l’embarras. Une fois n’est pas coutume, Clemenceau, l’anti-clérical notoire, joue la carte de l’apaisement alors qu’il reste cinq mille sanctuaires à contrôler sur les soixante-dix mille que compte la France. À la Chambre, il déclame avec goguenardise : « Nous trouvons que la question de savoir si l’on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine. »
Par une circulaire adressée aux préfets, les Inventaires sont interdits si le recours à la force doit être employé. À ceux qui l’accusent de fléchir il réplique : « ça ne veut pas dire que nous ayons renoncé à l’application de la loi, seulement nous l’abordons à notre manière. »
Sa carrière politique le voit redevenir Président du Conseil en 1917, alors que la Première Guerre mondiale fait rage en Europe depuis 1914. Théophile Delcassé l’avait fait tomber en 1909. Winock décrit de manière pédagogique le mécanisme de cette chute, ainsi que les légèretés de Clemenceau qui ont conduit ses adversaires à l’abattre. Les éléments qui favorisent son retour, parfaitement décrits par l’auteur, permettent de comprendre que nonobstant la vision hostile de Poincaré à son endroit, ce dernier choisit tout de même Clemenceau en vertu de ce qu’il considère comme l’intérêt supérieur de la France. Belliciste et désireux de montrer sa détermination aux Français, aux Alliés et à ses ennemis de l’intérieur et l’extérieur, le Tigre déclare le 20 novembre 1917 à la Chambre : « Nous nous présentons devant vous dans l’unique pensée d’une guerre intégrale ». Pourtant, il avait écrit dans sa jeunesse : « La seule façon dont les questions puissent se supprimer : par la justice et non par la force ».
Il refuse la paix séparée qui donnera l’Affaire Sixte (5).
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Notes
(3) Clemenceau sera attaqué durement et décrit comme : « l’homme vendu aux puissances étrangères, de l’escroc, du parvenu ».
(4) Vehementer nos est une lettre encyclique écrite par le Pape Pie X et publiée le 11 février 1906. Elle condamne énergiquement la loi de séparation des Églises et de l’État française du 9 décembre 1905. Selon le Pape, la loi nie l’ordre surnaturel et abroge unilatéralement le Concordat.
(5) Sixte de Bourbon-Parme (1886-1934), aidé de son frère François-Xavier (1899-1977), entre en contact avec les différents chefs d’États concernés par le conflit qui décime l’Europe, afin d’établir une paix qui économiserait le sang des hommes. La tentative échoue pour les raisons exposées dans la chronique.
(6) « La Der des Ders » est une expression qui s’est forgée à la suite de la Ire Guerre mondiale, qui signifie la « dernière des dernières (guerres) ». « Le der des ders » désigne, par extension, le soldat, le poilu qui a participé à cette guerre.