11 septembre 2016

Les Anglais : « peuple étranger à l’humanité, qui doit disparaître »

Par Louis-Christian Gautier

Louis-Christian Gautier propose aux lecteurs d’EuroLibertés un « récit historique » en plusieurs épisodes : « Naissance de la propagande de guerre : un “incident de frontière” à l’origine de celle de Sept Ans (1756-1763) et ses conséquences inattendues, lointaines et actuelles. »

 

La mort d’un officier français instrumentalisée, Récit de l’anglophobie (épisode 1), cliquez ici.

 Le malheureux Jumonville n’aurait sans doute pu imaginer qu’il passerait à la postérité grâce à l’instrumentalisation de sa mort survenue lors de ce que l’on appellerait en langage moderne un accrochage : jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, il sera cité dans les ouvrages traitant des gloires nationales, aux côtés de Bayard, Du Guesclin et Jeanne d’Arc. La révolution lui substituera des héros plus « républicains », mais comme nous l’avons vu, au moins un jeune officier poète n’avait pas oublié de lire la littérature qui lui avait été consacrée, et notre hymne national a en partie sa source dans la mort d’un officier du roi Louis XV. D’ailleurs Lefebvre de Beauvray avait sans doute lui-même emprunté à de Coulange, qui écrivait l’année précédente (1756) :

« Puissiez-vous aborder sur leurs propres rivages

Et de leur sang parjure arrosant les sillons… »

Ces amabilités étaient contenues dans l’Ode sur les anglois au sujet de la Guerre présente, et avaient toujours leur origine dans l’« assassinat » de Jumonville.

Il est intéressant de souligner, outre l’irruption de la propagande dans l’art de la guerre qui était vu jusqu’alors comme un moyen de résoudre des conflits d’intérêts entre monarchies, la différence d’approche de part et d’autre de la Manche.

En effet, les Anglais continuent d’exploiter les thèmes anticatholiques hérités des guerres de Religion du XVIe siècle (et de leurs prolongements au XVIIe), tandis que les Français ont une approche nationale du problème. Ceci, même si la fidélité des Huguenots du royaume est parfois suspectée.

L’historien américain Bell emploie d’ailleurs la formule « patriotisme royal » : vu du Continent, il s’agit bien d’un conflit franco-anglais et non catholiques-anglicans. Pour cet auteur, la Révolution française n’aura ensuite qu’à renchérir dans le domaine de la xénophobie, qualifiant ainsi le ministre anglais Pitt d’« ennemi de la race humaine » et ses compatriotes de « race de cannibales ».

Quant au conventionnel Barère, le même qui réclamait par ailleurs la destruction de la Vendée, il voit dans les Anglais « un peuple étranger à l’humanité, qui doit disparaître ». Grâce à lui, l’Assemblée prendra un décret enjoignant aux commandants militaires de ne pas faire de prisonniers chez les Britanniques. Mais ceci est une très lointaine et probablement inconsciente vengeance de la mort de Jumonville.

« Sauvages de l’Europe » ou « Nouveaux Barbares » ?

La guerre de Sept Ans peut être considérée comme le premier conflit mondial en ce sens qu’elle s’est déroulée non seulement sur le sol européen, mais aussi en Afrique, Asie et Amérique de nord, ainsi que sur toutes les mers du globe.

Mais elle a aussi innové dans d’autres domaines. En particulier, nous l’avons dit, celui de l’utilisation de la propagande, du moins du côté français.

Ce n’était certes pas la première fois que l’on vilipendait l’adversaire, on l’avait déjà vu lors de la guerre de Cent Ans et dans celles de Religion. Cette fois, la nouveauté résidait principalement dans l’utilisation systématique de l’arme psychologique lors d’une campagne intensive et durable visant à mobiliser l’énergie nationale contre une autre nation.

La diabolisation de l’ennemi n’avait été jusqu’ici pratiquée que dans le cadre interne des guerres de Religion, en France ou en Allemagne. Cette fois, le mauvais n’était pas l’hérétique mais l’étranger, voisin en l’occurrence. Lors des conflits, on avait jusqu’ici tiré surtout des coups de canon. Cette fois, on tirait beaucoup de papier imprimé : deux fois plus qu’à l’occasion de la guerre de Succession d’Espagne, par exemple. Ce qui suscite l’étonnement du Journal encyclopédique par une société des gens de lettres, lequel constate que la guerre franco-anglaise se fait autant sur le papier que sur mer.

Il est difficile d’estimer avec précision la diffusion de cette propagande imprimée. À titre indicatif, L’Observateur hollandois de Jacob-Nicolas Moreau était vendu à 8 000 exemplaires. Il ne faut pas perdre de vue qu’à l’époque seule une élite intellectuelle, généralement citadine, lisait couramment. En revanche, une gazette avait souvent plusieurs lecteurs, et autour de ceux-ci pouvaient se réunir un plus ou moins grand nombre d’auditeurs.

C’est cet organe de presse qui relata en l’instrumentalisant la mort de Jumonville, repris par de nombreux journaux étrangers. Cette exploitation ne faiblira pas tant que durera le conflit, avec pour points forts la prise de Port-Mahon et la mort héroïque du chevalier d’Assas en 1760 devant Clostercamp. Est-ce pour son dernier cri « À moi, Auvergne, ce sont les ennemis ! » ou parce qu’il a été glorifié par Voltaire lui-même ? Il restera célèbre auprès des écoliers jusqu’à nos générations, alors que la mémoire du malheureux Jumonville ne survivra pas à la Révolution.

L’on a entendu pire depuis, mais au siècle des Lumières et de la « courtoisie française », les termes employés pour qualifier l’ennemi anglais étaient relativement d’une violence inouïe : « vautours », « race perfide » qui « aveuglée par la colère » et conduite par une « haine inextinguible » s’est retranchée d’elle-même « de la République universelle qui réunit toutes les nations. »

(Suite de ce récit de l’anglophobie demain).

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Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

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