Ancien directeur de La Tribune de Genève et député à l’assemblée cantonale de Genève, d’abord sous l’étiquette démocrate-chrétienne, puis comme indépendant, le Russo-Suisse Guy Mettan vient de signer un essai qui mécontentera les européistes « bruxellobéats » et agacera les souverainistes nationaux, Le continent perdu. Plaidoyer pour une Europe démocratique et souveraine (les Éditions des Syrtes, 2019, 266 p., 19 €).
Il jette en effet un regard extérieur sur la question européenne ou, pour être plus précis, sur le devenir de l’Union européenne (UE). Guy Mettan commet néanmoins une erreur fréquente, celle de confondre l’Europe et cette Union dite européenne. L’auteur ne cache pas avoir été un chantre de l’adhésion suisse au grand ensemble continental voisin. Il en est aujourd’hui revenu au point de le qualifier de « machine déréglée (p. 109) » au « circuit législatif abscons (p. 123) » qui pratique « un coup d’État judiciaire permanent (p. 121) ». Il juge les institutions actuelles de l’UE pas à la hauteur des défis.
Fort des précédents historiques, Guy Mettan s’inquiète de l’inertie croissante du processus européen qui favorise une décomposition étatique inouïe avec le Brexit, générateur d’une incroyable instabilité politique outre-Manche, les revendications indépendantistes de la Catalogne, de l’Écosse, de la Flandre ou les tentations illibérales en Europe centrale. Ces phénomènes politiques profonds affaiblissent des États européens qui deviendront bientôt des proies faciles pour la Chine ou l’Inde. Il craint par ailleurs que le destin des nations européennes soit de finir digérées par les États-Unis comme les cités grecques le furent par Rome…
L’auteur déplore en outre la confrontation stérile entre de faux européistes qui voient l’UE en accélérateur de dépolitisation du monde au profit de la technique, du droit et de l’économie, et des souverainistes populistes qui préfèrent se rétracter sur le seul cadre national. Guy Mettan ose pour sa part proposer un projet européen souverainiste et fédéraliste, ce qui peut paraître contradictoire pour un esprit français. Pas du tout quand on s’inspire de l’exemple helvétique. Ainsi soutient-il que « l’Europe, plutôt que de vouloir devenir un empire non impérial, devrait au contraire avoir l’ambition de se transformer en un “anti-empire”, en un État fédéral fort, libre, démocratique, souverain et respectueux des autres (p. 222) ».
Hormis l’emploi dans une acception familière, inexacte et polémique du concept d’empire, l’auteur avance, à rebours de la doxa dominante, que le processus européen ne peut se concrétiser qu’autour de « la neutralité (ou le non-alignement) comme principe d’action (p. 248) ». Certes, « évoquer cette perspective, concède-t-il, fera naturellement bondir les atlantistes fanatiques et les intellectuels partisans de l’ingérence humanitaire et de la mission civilisatrice de l’Europe, censées apporter les lumières de la démocratie et des droits de l’homme au reste du monde plongé dans les ténèbres de la barbarie (idem) ». Si la neutralité coïncide avec la spécificité suisse, correspondrait-elle à l’âme européenne définie naguère par Robert Dun ? Or il existe une subtile différence entre la neutralité et le non-alignement.
Charles De Gaulle esquissa aux débuts de la Ve République une diplomatie non-alignée en vive opposition avec le bloc atlantique anglo-saxon. La neutralité suisse est par nature dépolitisante puisqu’elle récuse toute puissance. Or l’hypothétique non-alignement alter-européen qui impliquerait au préalable la fin de l’OTAN et de la présence militaire étatsunienne serait quant à lui résolument politisé, axé sur la notion de puissance, et s’incarnerait dans une « Europe cuirassée » comme l’entendait Maurice Bardèche. L’État européen de demain (ou d’après-demain ?) pourra bien sûr se mettre à l’heure de Genève mais à la condition impérative de se placer au centre du grand jeu tragique des rapports de force géopolitiques et non point à l’écart.
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Georges Feltin-Tracol, écrivain et collaborateur de nombreuses revues (notamment "Réfléchir & Agir") et site internet ; chroniqueur sur "Radio Libertés". Il se désigne aussi parfois comme un traditionaliste post-moderne ou un archéo-futuriste. Dernier livre paru : "Pour la troisième voie solidariste. Une autre approche de la question sociale" (Éd. Synthèse)