Europe : l’impuissance comme une évidence
Le sommet européen du 7 mars dernier avec la Turquie restera dans les annales comme une pâle réplique de la journée des dupes. On se souviendra que le 10 novembre 1630, tandis qu’elle ourdissait le renvoi de Richelieu, Principal ministre de Louis XIII, la Reine-mère, Marie de Médicis, en fut pour ses frais et, croyant avoir trompé la vigilance du Cardinal, fut dupée à son tour par le soutien inconditionnel que son fils accordera finalement à celui-ci, contraignant celle-là à l’exil.
Le 7 mars 2016, entre l’Allemagne, les Pays-Bas et la Turquie, ce fut, comme qui dirait, un conciliabule tenu dans le dos des autres États de l’Union européenne qui n’en purent mais, sauf à valider, lors du dernier Conseil européen des 17 et 18 mars une « position commune ». Ainsi, « les ‘‘nouveaux migrants irréguliers’’ arrivant de Turquie en Grèce, seront susceptibles d’être refoulés en Turquie. Ils pourront certes faire une demande d’asile en Grèce, et y auront droit à un examen individuel. Mais, la Grèce s’engageant à reconnaître la Turquie comme ‘’pays tiers sûr’’, cette requête pourra être refusée par les juges, particulièrement pour les Syriens, au motif que la Turquie leur offre des conditions de sécurité équivalentes à celles de réfugiés » (Le Monde, 19 mars). En contrepartie, la Sublime Porte a obtenu une rallonge de 3 milliards d’euros en vue de financer sa politique d’accueil des Syriens, un réexamen de sa demande d’exemption de visa pour les Turcs en voyage dans l’UE et la réouverture du processus de négociations de l’entrée de la Turquie dans l’UE. Martial, le mastodonte européen s’est fendu d’un énergique rappel à l’ordre d’Ankara, s’agissant de la liberté de la presse.
Entre faux-semblants et théâtre d’ombre, l’UE a montré sa face risible, tandis que la Turquie a solidement bandé les muscles de la puissance. Son double-jeu à l’égard de l’Etat islamiques, comme le problème kurde n’ont nullement entravé Recep Tayyip Erdogan, le « Poutine turc », dans son dessein de conquérir l’Europe. « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats » haranguait-il, prophétique, à l’occasion d’un meeting, le 6 décembre 1997, à Siirt, dans le sud-est de la Turquie.
Mais l’Union européenne s’enfonce aussi davantage dans le piège atlantiste, en laissant espérer à ce pays largement d’Asie, son entrée, un jour prochain, au sein de ce Babel de plus en plus cacophonique des vieilles nations européennes essoufflées. Washington renforcerait inévitablement son influence en Europe, d’autant que, membre de l’OTAN depuis 1952, la Turquie ne compte pas moins de 17 bases militaires américaines sur son sol (dont celle d’Incirlik dans le sud du pays qui accueille des avions américains chargés de bombarder les bases de l’État islamique). Dans le même temps, la Turquie tente d’occuper le leadership du monde arabo-musulman, refermant ainsi la parenthèse kémaliste.
Se joue ainsi sous nos yeux atones, la tragédie du XXIe siècle. La relégation de la vieille idée de puissance en Europe. « Écrasés par le poids des fautes passées, les peuples européens lui tournent le dos. (…) La puissance est une idée neuve, ou renaissante, en Asie, en Russie, chez tous les pays émergents et, bien sûr, aux États-Unis. Eux ne partagent pas les états d’âme des Européens, ils ne se posent pas de questions métaphysiques, ils assument la puissance comme une évidence » (Pascal Gauchon, Conflits, HS n°2, p.5).