Elon Musk : un peu de realpolitik !
Grotesque ! Ce fut le qualificatif donné sur France-Info aux propositions mardi d’Elon Musk. Il suggère une proposition de paix entre Kiev et Moscou fondée sur de nouveaux référendums sous supervision de l’ONU, l’abandon de la Crimée à la Russie et un statut neutre pour l’Ukraine. Mais est-ce vraiment grotesque de prétendre dissocier le sort de la Crimée de celui de l’Ukraine ?
Petit rappel historique : En 1921, 22,5 % de la production agricole de l’URSS et 18 % de sa production industrielle reposaient sur sa république d’Ukraine. Arrive Staline en 1924. Il mise sur l’exportation massive des céréales d’Ukraine pour se procurer des devises. Dès 1930, le pouvoir prélève 30 % des récoltes, ensuite 40 %. Les paysans se rebellent. Dépouillés, arrêtés, déportés, mais surtout affamés, c’est une répression impitoyable : Le 7 août 1932 est promulguée la « loi des épis » : dissimuler quelques grains de blé ou de seigle devient passible de peine de mort. L’effroyable famine conséquente sera la fameuse « Holodomor » terme Ukrainien pour « extermination ». Oubliée de l’Histoire, elle liquida pourtant 5 millions de personnes. On comprend mieux la détestation des Russes de la part des Ukrainiens et leur accueil enthousiaste des troupes nazies lors de l’invasion de l’URSS. Mais il n’en va pas de même pour la Crimée : pourtant russophone et partie intégrante de la Russie c’est en 1954 pour des raisons peu élucidées, que Khrouchtchev la rattache à la république d’Ukraine.
https://www.geo.fr/histoire/holodomor-lextermination-par-la-faim-en-ukraine-206333
Pour Poutine, l’annexion de la Crimée était donc justifiée par l’Histoire, la demande de ses populations russophones obligées par Kiev à une ukrainisation à marche forcée, et le désir d’arrêter l’expansionnisme de l’OTAN. Car si le 18 mai 1990 à Moscou, le secrétaire d’État Américain James Baker garantissait la bouche en cœur : « nos politiques ne visent pas à séparer l’Europe de l’Est de l’Union soviétique », la réalité fut toute autre : dissoudre l’OTAN c’était couper les États-Unis de leur influence idéologique et militaro-industrielle en Europe et surtout les priver du gigantesque débouché commercial pour leur vente d’armement. Alors, au grand dam de ces promesses et au mépris des accords Gorbatchev/Kohl de ne pas étendre l’OTAN après la dissolution du pacte de Varsovie, tous les prétextes seront bons pour construire un encerclement belliqueux de la Russie avec cinq vagues d’expansion de l’OTAN : 1999 (Pologne, Tchéquie, Hongrie) ; 2004 (Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ; 2009 (Albanie et Croatie) ; 2017 (Monténégro) et, en 2020, la Macédoine du Nord.
La réaction de Poutine, autocrate entiché de la puissance perdue de l’ex-URSS était évidemment prévisible. Et prévue ! Les analystes de l‘OTAN écrivaient en 1991 :
« Moscou ne manquerait pas de considérer comme une provocation intolérable toute tentative de repousser la frontière de l’OTAN jusqu’à la Bug. »
https://www.nato.int/docu/revue/1991/9102-03.htm
Imaginons la réaction des États-Unis si la Russie venait implanter des bases militaires au Mexique !
Quant à la Crimée, je ne le rappellerai jamais assez : avec l’annexion de Mayotte au mépris du gouvernement des Comores, la France, d’ailleurs condamnée à l’ONU, a fait exactement la même chose que la Russie. Mais les États-Unis se foutent des Comores, trop pauvres pour leur acheter des armes. Si notre sympathie va aux Ukrainiens indubitablement victimes d’une agression, n’oublions pas non plus les jeux troubles des États-Unis dans cette affaire et gardons un minimum de réalpolitik dans nos émois moralisateurs. Xénophon l’affirmait déjà : Il ne faut jamais acculer l’ennemi à un ravin. Dans cette chronique d’une défaite annoncée, et sauf à prendre le risque d’un affrontement engageant des armes nucléaires de théâtre d’opération, il faut envisager de sauver les apparences pour Poutine en lui ménageant une porte de sortie. Les propositions d’Elon Musk ne visent pas autre chose. Grotesques ?
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