La semaine dernière a vu l’ouverture des feux pour les négociations officielles du Brexit entre le Royaume-Uni et les instances européennes de Bruxelles. Ces quatre jours de palabres, du 17 au 21 juillet, ont été suivis de si peu de résultats que les médias ne les évoquèrent que du bout des lèvres.
Il faut dire que l’ouverture de ce premier round ne débutait pas sous les meilleurs auspices. Menés par Michel Barnier, les Européens faisaient des calculs pour estimer la somme que les Anglais devraient verser comme solde de tout compte pour leurs engagements pré-Brexit, articulant des montants de plusieurs dizaines de milliards d’euros. En face d’eux, le gouvernement anglais refusa tout net cette approche. Avec son franc-parler coutumier, Boris Johnson résuma pudiquement son point de vue:
Les sommes que [les responsables européens] proposent de réclamer à ce pays me semblent exorbitantes et je pense que « ils peuvent toujours courir » est une expression tout à fait appropriée.
Ambiance.
Avant même l’entrée dans la salle de négociation, l’échange ne pouvait tourner qu’au dialogue de sourds. Mais la pression monte gentiment des deux côtés. Les médias, les analystes et les politiciens européens ont beau expliquer doctement que la Grande-Bretagne a tout à perdre à mal négocier le Brexit, l’Union Européenne, bien qu’elle s’en défende, a elle aussi misé un sacré paquet de jetons sur le tapis.
Analysons les dossiers les plus chauds, qui sont autant de problèmes insolubles…
1. La nouvelle frontière extérieure de l’Union en Irlande
Comme petite mise en bouche, une question toute symbolique: le devenir de la frontière entre le Royaume-Uni et l’Irlande. Jusqu’ici, tout allait bien puisque les deux pays étaient membres de l’UE, bien qu’ils ne fassent ni l’un ni l’autre partie de l’Espace Schengen. Mais à terme cette limite entre les deux pays deviendra une « frontière extérieure de l’UE » – d’ailleurs, la seule frontière terrestre du Royaume-Uni avec le reste du continent.
Tout cela ne pourrait relever que de l’anecdote, mais les défis impliqués sont nombreux. Jusqu’ici la libre-circulation prévalait, mais ce régime devra cesser au départ du Royaume-Uni. Comment sera gérée la frontière de 360 km et de 200 points de passage entre l’Irlande et l’Irlande du Nord? Les Anglais auront probablement peu de raisons d’ériger des barrières vis-à-vis des 177’000 camions, 208’000 vans et 1’850’000 véhicules qui traversent mensuellement la frontière. 30’000 personnes la traversent quotidiennement, habitant d’un côté et travaillant de l’autre.
Mais l’UE acceptera-t-elle à son tour de fermer les yeux? Après tout, selon les règlements européens et le principe de non-discrimination, il n’y a à priori pas de raison de moins surveiller cette frontière que celle qui sépare la Pologne de la Russie ou la Grèce de la Turquie… Des divergences de traitement qui, si elles se concrétisent, provoqueront certainement les remous courroucés de pays frontaliers avec l’UE – on imagine mal la Turquie ne pas dénoncer une inadmissible discrimination.
Le bon sens voudrait que l’Irlande négocie un accord de libre-circulation spécifique avec le Royaume-Uni, mais pareil accord est spécifiquement interdit par les règlements européens. L’uniformité est la seule norme admise. Les seules perspectives sont donc:
- le Royaume-Uni renonce finalement à remettre en cause la libre-circulation avec l’UE ;
- l’Irlande érige au nom de l’UE des frontières gardées sur 360 km et pourrit la vie de ses habitants et de ceux de l’Irlande du Nord, sans que nul ne sache encore qui payera la facture de ces douaniers ;
- l’Irlande établit des règles particulières de libre-circulation exclusives avec le Royaume-Uni, provoquant l’ire de Bruxelles et enfonçant un coin dans l’intégration européenne ;
- l’Irlande quitte l’UE à son tour.
Bien malin qui peut dire quelle sera l’option choisie, mais n’oublions pas les attaques récentes de Bruxelles contre le modèle d’affaire irlandais et son faible taux d’imposition des entreprises, fort peu goûtées par Dublin. Quant à imaginer que le Royaume-Uni renonce à résilier la libre-circulation, cela semble infiniment peu probable vis-à-vis de la campagne référendaire du Brexit.
2. Le futur statut des expatriés européens
La question est double: que faire des ressortissants britanniques résidant sur le sol de l’UE, et des ressortissants européens sur le sol britannique? Là encore, le bon sens voudrait que chacun accepte les étrangers sur son sol jusqu’au Brexit, et que les règles établies ensuite ne s’appliquent qu’à ceux qui voudraient immigrer après cette date. Mais le bon sens n’a guère droit de cité dans ces négociations.
Theresa May eut beau rappeler à plusieurs reprises qu’elle était favorable au maintien des immigrés européens sur sol britannique, l’idée fut froidement accueillie à Bruxelles. Le chef des négociateurs européens, Michel Barnier, redouterait que les Britanniques n’en profitent pour jouer sur plusieurs tableaux, « prenant en otage » la question des 3,2 millions d’Européens installés au Royaume-Uni pour décrocher des concessions. Mais il oublie ce faisant plus d’un million de Britanniques résidant dans le reste de l’Union.
Si chacun reprenait ses ressortissants, le Royaume-Uni serait-il gagnant? Il récupérerait des milliers retraités à l’abri du besoin, qui coûtent la même chose au système de retraite britannique où qu’ils se trouvent, et auraient au moins l’avantage de consommer sur place – avec le bémol des coûts de la santé. Mais il renverrait de son côté des centaines de milliers de travailleurs étrangers installés en Angleterre, qui libèreraient en grande partie les emplois qu’ils occupent, et deviendraient probablement autant de chômeurs à la charge de leur pays d’origine une fois revenus là-bas. Des coûts de santé pour le Royaume-Uni contre des centaines de milliers de chômeurs en plus pour l’UE…
Il est peu probable que pareil scénario se concrétise mais il est assez symptomatique pour les médias de présenter seulement l’aspect anglais des choses, comme si l’UE n’avait elle-même jamais rien à perdre.
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