Catalogne : L’arbitrage manqué du roi d’Espagne
Derrière la vitrine des autonomies espagnoles, se cache, en réalité, un centralisme qui ne dirait pas son nom sauf à revêtir les oripeaux de la « démocratie » et de « l’État de droit » – pour reprendre les mantras utilisés par le roi d’Espagne, Felipe VI – arguments aussi creux qu’inefficaces pour justifier précisément les dérapages de ce même prétendu État de droit.
Que le roi d’Espagne soit sorti de sa réserve constitutionnelle n’est pas, en soi, critiquable en une telle situation de crise. Cependant, il convient de reconnaître que ses propos n’ont rien à envier à ceux qu’aurait éventuellement tenus un vulgaire président élu peu soucieux de l’avenir, celui-ci échéant à un successeur qui devra en faire son affaire. En d’autres termes, il a, comme on dit familièrement, « jeté de l’huile sur le feu ».
Ainsi, quand il accuse la Généralité de Catalogne de « grande déloyauté envers les institutions » pour avoir osé organiser un référendum d’autodétermination, martelant que les autorités catalanes auraient « bafoué l’État démocratique » et « réussi à diviser la société », l’on se sent irrémédiablement attiré dans un abîme de perplexité. Les candides monarchistes dont nous faisons partie auraient pourtant pensé que le roi devait se comporter, en toutes circonstances, comme l’ultime recours mettant fin aux antagonismes, pansant les plaies de son royaume déchiré, réconfortant ses sujets sans dénigrer le pouvoir politique.
Précisons que le roi d’Espagne, aux termes de l’article 56 de la Constitution du 29 décembre 1978 « est le chef de l’État, symbole de son unité et de sa permanence. Il est l’arbitre et le modérateur du fonctionnement régulier des institutions » et que d’après l’article 61 il se doit « de respecter les droits des citoyens et des Communautés autonomes », serment qu’il prononce devant les Cortès au moment de sa montée sur le trône.
De telles dispositions ne sont pas sans rappeler les termes quasi identiques de l’article 5 de notre Constitution française qui dispose, notamment, que « le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État ». Cette rédaction, fortement marquée par l’empreinte du général de Gaulle se voulant à sa façon l’héritier républicain des « quarante rois qui en mille ans firent la France », a contribué à instiller dans l’opinion l’idée d’une « monarchie républicaine » – dont Maurice Duverger ne fut pas le moindre des précurseurs grâce à un célèbre ouvrage éponyme.
Mais arrêtons-nous sur ce vocable d’arbitre qui, tout au moins de ce côté-ci des Pyrénées, a fait couler beaucoup d’encre. Dans un article publié il y a trente ans dans la prestigieuse revue Pouvoirs, le constitutionnaliste Philippe Ardant soupesait ce qu’il fallait entendre par ce concept auquel l’usage présidentiel français aura conféré une certaine élasticité, jusqu’à lui en faire perdre son sens véritable. Notre juriste écrivait que « l’arbitre prend des décisions et qu’on attend de lui qu’il tranche en toute impartialité entre plusieurs points de vue, qu’il soit étranger aux intérêts qui s’opposent ». Le chef de l’État doit donc se tenir au-dessus des querelles de tous ordres.
Surtout – et nous revenons au texte de la Constitution espagnole – la fonction politique d’arbitrage consiste à maintenir l’équilibre entre « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État » et le respect des « droits des citoyens et des Communautés autonomes ».
Felipe VI a eu beau opérer le distinguo entre le gouvernement « irresponsable » de la Généralité et « les Catalans gagnés par l’inquiétude à cause des agissements des autorités régionales » – en les érigeant en victimes involontaires de leurs dirigeants autonomistes –, il jeta, telle la déesse Eris, la pomme de discorde au milieu de la mêlée. La portée médiatique de son discours où les mots ne furent, d’évidence, guère pesés au trébuchet d’une sage impartialité et d’une prudente hauteur de vue. Sous l’emprise de la passion, Felipe VI a manqué l’occasion d’apparaître comme un véritable monarque, gardien scrupuleux d’un héritage historique indivis – profondément marqué par l’irrédentisme catalan depuis la « naissance » de la province lors du concile de Troyes de 878 – autant que garant de l’avenir à proportion de ce qu’il aura su transmettre cet héritage.
Le comportement du souverain espagnol est malheureusement symptomatique de l’état de décrépitude avancée affectant les monarchies européennes, gangrenées par les pires folies engendrées par la modernité autant que corrompues par le relativisme de l’esprit démocratique – que Louis Rougier appelait la « mystique démocratique ».
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Philippe Randa,
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