15 juillet 2016

Travailleurs détachés versus égoïsmes nationaux

Par Aristide Leucate

Le 8 mars dernier, par la voix de Marianne Thyssen, commissaire à l’emploi et à la mobilité des travailleurs, la Commission européenne proposa une réforme des directives de 1996 et 2014 sur le détachement des travailleurs. En l’état actuel, cette directive permet à une entreprise européenne de recourir à de la main-d’œuvre d’un autre pays européen, aux conditions sociales du pays d’origine.

La réforme projetée consiste, selon les mots de la commissaire à l’emploi et à la mobilité des travailleurs, à instaurer le principe « travail égal, salaire égal », mais sans pour autant que soit remise en cause la règle initiale selon laquelle le salarié payé aux conditions du pays d’accueil est assujetti au système de Sécurité sociale de son pays d’origine. La proposition de réforme limite également la durée du détachement à deux ans.

Selon les estimations du ministère français de l’Emploi, les travailleurs détachés avoisineraient le nombre de 210 000 salariés, quand il atteint celui de deux millions de personnes sur l’ensemble de l’UE. Selon les données Eurostat pour 2014, une heure de travail coûterait en moyenne à l’employeur 39 euros en Belgique ou 40 euros au Danemark, alors qu’elle ne coûte que 8,40 euros en Pologne, 4,60 euros en Roumanie ou 3,80 euros en Bulgarie.

Paris et Berlin se félicitent de ce progrès dans la lutte contre le dumping social. Chez les principaux pourvoyeurs de salariés détachés, la musique est quelque peu différente. Ainsi, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Croatie et Bulgarie sont-ils vent debout contre ce qu’ils estiment être une atteinte à la compétitivité de leurs entreprises face à leurs concurrentes des pays plus riches (France, Allemagne, Belgique, principales destinations des travailleurs détachés), chacun tirant la couverture à soi.

En application d’une procédure rarissime, dite du « carton jaune », prévue à l’article 5, paragraphe 3 du traité de Lisbonne, les parlements des dix pays précités et le Danemark ont adressé au président de la Commission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles ils considèrent que le projet de directive ne respecte pas le principe de subsidiarité.

Marianne Thyssen ayant répliqué que « les objectifs de la proposition de directive sur les travailleurs détachés seront mieux accomplis au niveau européen » a balayé d’un revers de main les velléités étatiques de réglementer, pro se, une question économique d’intérêt national.

À l’évidence, ces demandes légitimes de plus grande liberté, sinon de plus grande souveraineté, étaient vouées à une fin de non-recevoir, sauf à entamer sérieusement le dogme tutélaire de la concurrence libre et non faussée. D’un autre côté, les requêtes de ces pays principalement issus du bloc communiste (excepté le Danemark), révèlent, à l’envi, les profondes disparités économiques entre les zones « développées » de l’Ouest et celles « moins avancées » de l’Est.

C’est un fait que les directives européennes « travailleurs détachés » fragilisent le tissu social des pays « riches » tout en paupérisant leurs classes moyennes, pendant que les firmes multinationales occidentales délocalisent massivement vers l’Est. Un tel cannibalisme social participe de la tendance générale à la raréfaction du travail, l’emploi jetable et mobile devenant une variable d’ajustement financière pouvant même s’avérer rapidement rentable si un environnement juridique et fiscal des plus allégés le permet.

Dès lors, l’appel pathétique à la subsidiarité, notion philosophique où proudhonisme et personnalisme se donnent la main, se brise devant la froide réalité capitalistique.

Vous avez aimé cet article ?

EuroLibertés n’est pas qu’un simple blog qui pourra se contenter ad vitam aeternam de bonnes volontés aussi dévouées soient elles… Sa promotion, son développement, sa gestion, les contacts avec les auteurs nécessitent une équipe de collaborateurs compétents et disponibles et donc des ressources financières, même si EuroLibertés n’a pas de vocation commerciale… C’est pourquoi, je lance un appel à nos lecteurs : NOUS AVONS BESOIN DE VOUS DÈS MAINTENANT car je doute que George Soros, David Rockefeller, la Carnegie Corporation, la Fondation Ford et autres Goldman-Sachs ne soient prêts à nous aider ; il faut dire qu’ils sont très sollicités par les medias institutionnels… et, comment dire, j’ai comme l’impression qu’EuroLibertés et eux, c’est assez incompatible !… En revanche, avec vous, chers lecteurs, je prends le pari contraire ! Trois solutions pour nous soutenir : cliquez ici.

Philippe Randa,
Directeur d’EuroLibertés.

Partager :