par Robert Bibeau
Un média à la solde, la revue Marianne, déconcertée par la délocalisation annoncée de l’industrie « nationale » française, titre rageusement : « France, ton industrie fout le camp! », tentant ainsi de culpabiliser le « peuple citoyen » (ceux d’en bas), pour la concentration de l’économie européenne par en haut. Sur les médias sociaux, des pèquenots reprennent cette sentence et proclament que « Alstom est bradée à l’Allemagne des boches. Bradage de « notre » industrie française » comme si ce pauvre bougre était milliardaire et propriétaire de « notre » industrie française… Mais elle n’est pas à nous l’industrie de France. De plus, le fait que l’actionnariat soit français ne protège nullement les emplois du prolétariat français… comme en fait foi cette fusion intercapitaliste (1). Incidemment, Alstom possède du capital (des usines) au Canada où elle concurrence Bombardier la multinationale canadienne. Cette fusion Siemens – Alstom est donc une transaction mondiale que nous allons examiner succinctement.
Si la Française Alstom est absorbée par l’Allemande Siemens, les usines changeant peut-être de propriétaires, mais pas de prolétaires. Le capital financier lui, qui représente ce capital productif (usines, main-d’œuvre, technologie et brevets) change de main, passant de Francfort à Paris, consolidant ainsi l’union capitalistique France-Allemagne et menaçant le capital financier canadien et américain (Bombardier) et chinois (CSR). Nous le répétons inlassablement, la politique impérialiste est le reflet de l’économie capitaliste, en voici la preuve évidente avec cette fusion géante. Siemens en avalant les capacités productives d’Alstom s’approprie aussi le carnet de commande de la Française. Parions que l’Allemande se départira du prolétariat français, mais jamais du carnet de commandes…
Mais pourquoi ce jeu de chaise musicale entre ces deux capitales du grand capital ? C’est que depuis des années le grand capital français s’est financiarisé en accélérée, et les milliardaires français sont devenus essentiellement des commerçants et des usuriers, bref, des spéculateurs boursiers, des « tondeurs de coupons » disaient Lénine, bien avant l’ère de la numérisation Internet. Peu importe aux milliardaires apatrides, occasionnellement résidents de l’hexagone, que ce soient des ouvriers français, canadiens, allemands ou chinois qui rapportent la plus-value pourvu que leurs actions en bourse (à la City, pour le moment), à Francfort et à Paris, fluctuent à la hausse – ce qui est le cas présentement. Historiquement, le grand capital allemand s’est vu attribuer le rôle de père Fouettard du capital manufacturier, charger de presser le citron ouvrier jusqu’à l’étrangler, ce en quoi il a excellé, performance que Macron ne parviendra pas à inverser malgré sa volonté et ses mesures d’austérité.
Chacun son métier, la trique est allemande, le prêt usuraire est français, en tandem, l’un est spéculateur boursier, l’autre extracteur de plus-value sous-évaluer. Vous comprenez maintenant pourquoi le CAC40 s’approprie des profits mirobolants alors que l’économie française stagne. Qui pourrait contester cette distribution des rôles sur l’échiquier impérialiste mondialisé ? Certainement pas l’État fétiche – majordome des riches – des deux côtés du Rhin. Et encore moins les ouvriers que ces milliardaires méprisent au plus haut point… de la chair d’expatriés – de la graine d’exploités – quand ce n’est pas de la chair à canon pour les tranchés. Voilà un excellent motif pour les routiers de bloquer les routes de France et les raffineries des franchisés.
Les go-gauches écolos-écono-nationalistes
Les gauchistes nationalistes sponsorisés voudraient que l’ouvrier sacrifie sa vie pour conserver le patrimoine industriel français au pays de l’hexagone et cela contre le gré de ses propriétaires nationaux avérés, des Celtes de souche pétrifiés(2). Engoncés dans leur écharpe tricolore, socialistes et communistes « insoumis » peuvent aller se rhabiller, les milliardaires mondialisés n’ont rien à faire de leurs remontrances nationalistes. Le prolétariat français n’est pas concerné par cette France d’en haut qu’il méprise. Pour l’ouvrier français ce qui lui reste à faire ce n’est pas d’empêcher le grand capital de l’hexagone de forniquer avec le capital allemand pour consolider leur division internationale du capital – mais de se battre pour conserver ses emplois, ses conditions de vie et de travail – sans compter sur l’État des riches, en attendant de renverser ce système capitaliste.
Le divorce Boeing – Bombardier
Alors que d’aucuns se marient, d’autres se divorcent. En Amérique, deux factions du grand capital atlantique se disputent le marché lucratif de l’aéronautique. Le géant multinational Boeing attaque la multinationale Bombardier. Assurément, Boeing (143 000 employés et 94 milliards USD par année) est une grosse bouchée comparée à Bombardier (71 000 employés et 18 milliards USD par année), pourtant trois facteurs avantagent Bombardier. D’abord, l’importance de l’entreprise de Montréal dans l’économie industrielle canadienne. Le gouvernement des riches canadiens ne peut laisser tomber Bombardier. Ensuite, la solidité relative du capital financier canadien (comparée à la superstructure financière américaine). Enfin, en Irlande du Nord, Bombardier emploie 8 000 salariés ce qui signifie que la décision du secrétariat américain au Commerce d’imposer des droits compensatoires de 220 % sur la valeur du contrat de Delta Airlines bouscule les intérêts britanniques et ceux de Delta-USA. D’ailleurs, l’exagération de la sanction est l’assurance d’une stratégie de « négociation ». D’autant plus que les avions de la CSérie, vendus par Bombardier, sont d’une catégorie intermédiaire (110 à 160 passagers) ce que Boeing ne produit plus depuis une décennie. Les deux avionneurs s’activent sur des marchés différents, non concurrents.
Le prolétariat canadien
Peu importe que Boeing soit en service commandé pour le compte du Département du commerce américain en train de renégocier le pacte de « libre échange » (sic) de l’ALENA (États-Unis-Canada-Mexique). Le prolétariat canadien n’a pas à se sacrifier pour défendre les capitalistes canadiens contre les capitalistes américains. Les deux sont solidement intégrés au sein de la même structure monétaire où tout s’équilibre de toute manière (comme pour Alstom-Siemens). Si ce n’est pas Bombardier qui récolte la plus-value ouvrière canadienne, ce sera Boeing – qui promet des milliers d’emplois au Canada suite aux contrats d’achats des avions militaires FA-18 Hornet par le gouvernement militariste canadien. Comme son camarade de France, le prolétaire canadien doit défendre ses conditions de vie et de travail, quelle que soit la multinationale spoliatrice au drapeau étoilé ou à la feuille d’érable unifoliée qui l’exploite, et ce jusqu’au jour où il pourra lui aussi renverser la dictature des riches.
Notes
- https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/alstom-siemens-stx-le-nouveau-197228
- Robert Bibeau (2017). Question nationale et révolution prolétarienne sous l’impérialisme moderne. L’Harmattan. Paris. 2017.
- Article paru sur le site Les 7 du Québec.
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