La Catalogne du Nord comme affirmation territoriale
Il y a quelques années, je publiais un essai, L’Europe des peuples face à l’Union européenne (L’Æncre éditeur, 2017), sur l’émergence et la pérennité des mouvements régionalistes en Europe, c’est-à-dire des groupes dont la revendication s’inscrit dans un territoire distinct, sans lui être forcément opposé, de celui des contours de l’État-nation dont il fait partie.
Sans reprendre le contenu (disponible auprès de l’auteur ou de l’éditeur) de cet essai, j’indiquais qu’il existait, en Europe, des peuples divisés au sein de plusieurs États-nations. Ainsi, les Normands sont partagés depuis 1214 entre le Royaume-Uni (les îles Anglo-Normandes) et la France (les cinq départements constitutifs de la région normande, réunie depuis 2016), les Basques et les Catalans, entre France et Espagne ou d’autres, ce triple exemple n’ayant pas la prétention de l’exhaustivité.
Concernant les Catalans, ils sont divisés entre la Catalogne du Sud, le territoire le plus important avec la capitale régionale Barcelone, qui constitue une « généralité » au sein de l’Espagne, région qui a défrayé la chronique ces dernières années avec l’exil forcé fin 2017 du président d’alors de la généralité, Carles Puigdemont, et la Catalogne du Nord, qui désigne la partie du département français des Pyrénées-Orientales, de langue et culture catalanes, par opposition aux Fenouillèdes occitanes.
Llorenç Perrié Albanell a publié, en 2020, un opuscule consacré aux Mouvements et partis politiques nord-catalans, ouvrage sous-titré par un constat, même si un point d’interrogation subsiste : Un marasme ? (édité par le Cercle Català del Rosselló en août 2020).
L’auteur, fervent partisan et défenseur de l’identité catalane, nous entraîne dans les méandres du « catalanisme » politique en nous présentant ses tendances plurielles, récoltant des scores électoraux résiduels depuis le début des années 1970. Regrettant cette situation qui réduit le « catalanisme » à une minorité politique sans avenir, l’auteur-militant rejette l’identification du combat identitaire catalan (ou nord-catalan, sachant que chaque partie du territoire devrait développer son identité avant de se réunir dans une conception d’autonomie politique) aux dérives d’ultra-gauche ou écologiques « de type pastèque » (vert à l’extérieur mais rouge à l’intérieur). Les mouvements les plus représentatifs, même s’ils demeurent électoralement très faibles, privilégient, en effet, les alliances avec les partis de gauche (parfois dès le premier tour, évitant d’onéreuses dépenses et la visibilité d’un faible score), voire avec La République en marche (LREM), notamment lors des municipales de 2020 à Perpignan (dont le maire est Louis Aliot, membre du Rassemblement national, qui a battu le maire sortant de droite avec 53 % des suffrages exprimés, offrant au RN une commune de plus de 100 000 habitants).
L’échec politique du « catalanisme » laisse l‘auteur dubitatif. En effet, la version culturelle de l’identité catalane ne laisse indifférent aucun habitant, ni même aucun visiteur, pour qui la passion catalane est une permanence de la représentation régionale. Mais, selon l’avis d’Albanell, cet aspect, pour valorisant qu’il soit, est insuffisant ; seule une institution politique serait à même de garantir la défense du pays nord-catalan. Ce que préconise Albanell, c’est de ne pas se contenter de la nostalgie, mais de vivre le « catalanisme » comme une histoire en marche, avec un passé, un présent et un futur. La langue catalane en est l’expression vivante, y compris sur l’ensemble des panneaux de signalisation routière (comme en Bretagne, par exemple). Le mode de vie différencié, comme l’appelle l’auteur, doit être préservé, voire accentué par des écoles dites immersives.
Le lien entre les deux Catalogne est parfois d’une gestion difficile car nombre de Catalans du Nord attendent les orientations de ceux du Sud, plus puissants, et deviennent inféodés à des mouvements politiques hors de l’espace hexagonal, rendant difficile leur action régionale au sein de la France.
L’auteur indique avec justesse qu’il ne peut y avoir un seul « parti catalan » car chaque peuple, pour identitaire qu’il soit, comprend différentes sensibilités. Pour aller dans ce sens de la pluralité démocratique, il suffit de voir l’exemple corse : un mouvement autonomiste dirige l’exécutif insulaire depuis 2016 mais d’autres partis, plus indépendantistes qu’autonomistes, concourent aussi aux élections : tous « corses » mais aux aspirations différentes et cela n’empêche pas la liste Fà Populu Inseme de Gilles Siméoni, dirigeant de l’exécutif régional, d’atteindre 41 % au second tour tandis que deux autres listes « corses » raflaient 27 % des suffrages laissant à la droite régionaliste insulaire à peine un tiers des électeurs.
L’auteur insiste sur ce point. Le « catalanisme » politique est nécessaire mais il se doit d’être indépendant, au moins dans un premier temps, des mouvements du Sud et surtout, il se doit d’être représentatif du peuple, sans exclusive.
Albanell s’insurge à juste titre lorsque les Catalans les plus extrémistes lancent des slogans inquisiteurs et sectaires comme « un électeur du RN n’est pas un Catalan » (sic). Pourquoi le vote catalan n’aurait-il pas une « aile droite », une aile conservatrice ? En 1978, la Catalogne du Sud voyait la naissance du mouvement CIU – Convergence et union (en catalan : Convergència i Unió, abrégé en CiU) : une fédération de deux partis politiques catalans centristes et catalanistes, qui a constitué le pivot de la vie politique catalane jusqu’en 2015. Albanell n’aurait rien contre la fondation d’un tel parti « à la française » ou, plus exactement, « à la nord-catalane ».
L’auteur termine sur l’essentiel : un mouvement identitaire doit s’appuyer sur un trépied : le culturel, le politique et l’économique. La vie économique doit montrer l’exemple, celui de la possibilité d’un localisme viable. Être Catalan comme être Normand, c’est aussi tirer de la terre et de la force de la population qui la constitue, l’ensemble des ressources qui sont susceptibles de faire vivre un ensemble, un « pays ».
La question politique, celle de l’autonomie fédérative (celle qui reste du domaine du possible avec le système des « eurorégions » reconnues par l’Union européenne), de l’indépendance, de l’union nationale interétatique, n’est pas la seule. Elle viendra, c’est du moins ce que souhaite l’auteur mais elle ne doit pas être, nécessairement, la priorité. La mentalité politique vient après le culturel, c’est ce que l’auteur retient du communiste italien Gramsci.
Une culture catalane affirmée et une économie de proximité avec une relocalisation des productions sont des axes essentiels avant d’aborder le projet politique catalan binational.
Il y a quelques années, en touriste, j’étais monté dans « Le Train jaune » dans les Pyrénées catalanes. Et, en parcourant les 63 kilomètres de voie ferrée, comment ne pas penser à l’identité de ce pays, loin de tout jacobinisme, français ou… catalan d’Espagne ! Entre Paris et Barcelone, la voie de la Catalogne du Nord reste encore à écrire mais les femmes et les hommes de ce territoire, eux, l’ont compris… l’histoire s’écrit chaque jour.
Je vous recommande de lire cet ouvrage. Même si son titre est un peu pessimiste (« Un marasme ? »), le point d’interrogation maintenu par l’auteur nous laisse espérer que la voie politique n’est pas qu’une impasse.
Mouvements et partis politiques nord-catalans, un marasme ?, Llorenç Perrié Albanell, cercle Catala del rossello, 114 pages, 8 € (+3,20 par correspondance pour la France).
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